Pétrole, militarisme et Amazon vs la liberté de presse

2019/11/29 | Par Pierre Jasmin

Un article[i] endossé par douze militantEs de la paix[ii] a été acheminé en vain aux principaux journaux pour faire pression afin que M. Trudeau dirige un Canada anti-nucléaire, non pétrolier et pour la paix mondiale. Au lieu de quoi[iii], on a toujours :

1- Un Canada pétrolier et guerrier

L’agrandissement projeté de Trans Mountain, objet de contestations autochtones sur sa portion terrestre (voir photo no 1), mettra aussi en danger la sécurité des eaux du détroit de Vancouver et la survie d’espèces animales. Radio-Canada révèle qu’après neuf mois d’exploitation, le vieux pipeline Kinder Morgan acheté 4,5 milliards $ par nos taxes sur décision de Trudeau a engrangé 88 millions $ de …déficit. Et Trudeau veut en tripler le débit!

Non seulement il ouvre la porte à la dégradation en effets de serres de la planète et à la pollution par des fuites, mais il nous appauvrit collectivement, les bénéfices étant réservés aux pétrolières à qui le gouvernement libéral accorde en plus des subventions milliardaires!

Le réchauffement climatique mondial est une conséquence du besoin de nos sociétés post-industrialisées extrêmement voraces en pétrole, charbon et gaz. Les publicités de VUS qui inondent nos journaux sont-elles responsables du manque de courage de nos éditorialistes à endosser les alarmes scientifiques du GIEC (ONU)?

Dans le dernier numéro de l’aut’journal.info, j’espérais que Chrystia Freeland utilise son sens tacticien diplomatique (aiguisé lors de ses face à face avec Donald Trump), cette fois pour contrer les non moins hargneux et conservateurs premiers ministres de l’Alberta des sables bitumineux, de la Saskatchewan de la potasse et de l’uranium et du Nouveau-Brunswick d’Irving. Notre article répétait[iv] que ce géant pétrolier fabrique avec Lockheed Martin des navires de guerre qui coûteront 70 milliards de $ aux Canadiens.

Or, on vient d’apprendre par Radio-Canada que la compagnie est aussi propriétaire de 97% des journaux anglophones de sa province : les électeurs néobrunswickois ont-ils été informés de ce gaspillage militaire naval avant d’exercer leur libre devoir électoral (en élisant au moins UNE députée verte) ? Doit-on s’étonner que nos dénonciations ne soient pas relayées par les médias, vu leur fusion accélérée avec des industries militarisées ?

Quant à notre demande raisonnable à M. Trudeau de se prononcer pour la paix mondiale du côté de l’ONU et contre le militarisme de l’OTAN, il est assez représentatif de l’inquiétant manque de liberté de presse au Canada que même le Devoir n’a pas publié notre appel.

N’est-il pas aberrant que le collectif Échec à la guerre ait dû payer pour que le journal lui consacre une page complète de statistiques éloquentes à propos des pertes civiles lors des guerres, du surarmement américain greyé de 800 bases militaires à travers le monde et, ajouté-je, de leur budget militaire supérieur à celui réuni des six nations en 2e, 3e, 4e, 5e, 6e et 7e places mondiales (Stockholm International Peace Research Institute)?

Les journaux et médias n’en finissent plus de lancer de fausses alarmes contre « la Russie expansionniste de Poutine[v] », pour que personne n’ose endosser notre appel à retirer le Canada de l’OTAN et à scraper les bateaux Irving/Lockheed Martin.

Pourtant, notre démarche me semble semblable aux courageux appels civils de Heidi Rathjen pour un moratoire immédiat sur la vente des armes d’assaut, ainsi que pour une interdiction permanente sur l’importation et la fabrication des armes de poing responsables de la recrudescence des meurtres à Toronto.

On s’apprête à commémorer le 30e anniversaire du massacre misogyne de Polytechnique alors que les États-Unis s’enfoncent dans une série de massacres sans que la National Rifle Association ne s’en émeuve, vu leurs dollars engrangés au service de Trump.

Est-ce la même logique bassement pécunière qui a empêché les médias de relayer notre appel?  Le petit journal communautaire de jeunes de Sherbrooke ENTRÉE LIBRE, en le publiant, a respecté la promesse contenue dans son appellation, davantage que LE DEVOIR qui n’a pas effectué le sien…

 

2 - Un Canada pro-nucléaire

Vatican News / Greta Thunberg recevant la bénédiction du pape François au printemps dernier

Notre article était illustré originalement par la photo ci-dessus de Greta Thunberg avec le pape François qui a réitéré cette semaine son anathème contre l’inhumanité des bombes nucléaires monopolisant des milliers de milliards de $. Il a franchi une autre étape en dénonçant à bon droit cette semaine la supposée politique de dissuasion, cet affreux chantage des (im)puissances nucléaires appelé deterrence ou MAD, acronyme anglais pour destruction mutuelle assurée.

La déclaration papale a réussi à traverser, le 25 novembre, le mur de censure de rares médias, qui jamais n’avaient relayé nos articles informatifs sur Ray Acheson[vi] et ICAN.org, pourtant récompensée par le prix Nobel de la Paix 2017. On ne s’étonne plus que notre dénonciation (et celle de Gordon Edwards) de SNC-Lavalin, à qui Harper et Trudeau ont confié une partie de l’infrastructure civile nucléaire, ne réussit pas non plus à être publiée, au moment où la compagnie entreprend la construction d’un monceau de déchets nucléaires à Chalk River, menaçant l’eau potable de millions d’individus notamment à Montréal et à Ottawa.

 

Guilbeault vs Amazon

Ces manifestants clament : Nous sommes des êtres humains, pas des données informatiques!

À l’ancien directeur d’Équiterre, Steven Guilbeault, à qui a échappé le ministère de l’Environnement, on souhaite qu’il exerce au ministère du Patrimoine une influence positive sur notre culture, vu qu’il a déjà nommé le président d’honneur des Artistes pour la Paix, Richard Séguin, comme source notable de sa propre richesse culturelle.

Sympathique, mais Guilbeault fera-t-il le poids pour défendre la liberté de notre culture et de nos médias contre les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft)?

Christine Labrie de Québec Solidaire fait une remarquable sortie sur les grossières et violentes épithètes dont les trolls sur ces réseaux la qualifient, ainsi que sa consoeur Catherine Dorion. Mais au fédéral, quel ministre ou député dénonce le contrôle des GAFAM et de leurs richissimes tentacules d’industries militaires pour évacuer tout questionnement essentiel sur la paix mondiale qu’elles menacent? Ni le NPD, ni le Parti Vert ni même le Bloc Québécois n’ont jusqu’à présent fait ces liens : seraient-ils influencés par les lobbyistes des GAFAM qui selon l’ONG Sum of us ont dépensé aux États-Unis seulement, $3,400,000,000 pour faire pression sur les médias et influencer les politiciens?

Le monde selon Amazon est un documentaire percutant dont la narration est assurée par Richard Desjardins pour la version québécoise. Numéro un de la vente en ligne distribuant annuellement 5 milliards de colis à plus de 300 millions de clients dans le monde, Jeff Bezos et Amazon ont développé un inquiétant empire planétaire en n’hésitant pas à s’allier la CIA en Virginie, l’aérospatiale au Texas et une flotte d’avions basée au Cincinnati/Northern Kentucky International Airport!

On dit de cette entreprise planétaire qu’elle instaure son pouvoir dans une première étape en cassant les prix du domaine qu’elle envahit, pour attirer les clients de telle sorte que les autres commerçants ne peuvent suivre et font faillite : pour une job qui ouvre chez Amazon, on calcule que deux commerçants ferment boutique.

Et l’entreprise basée à Seattle, petite ville de 700 000 habitants, est si puissante qu’en y attirant ingénieurs et informaticiens, elle a chassé des maisons, dont les prix ont triplé, leurs locataires devenus itinérants : ils survivent en servant de commis occasionnels (dans le temps des Fêtes, par exemple) avec salaires de misère, n’étant pas syndiqués, donc exempts de couverture sociale ni médicale; or les statistiques montrent des accidents dans les chaînes de montage d’Amazon deux fois et demi supérieurs à la moyenne américaine.

Le film qui dénonce cette ubérisation mondiale est aussi une grande fresque sociale, grâce à des témoignages par ses employés, de la Pologne jusqu’à l’Inde, un pays qui offre une résistance culturelle particulière.

Écrit par Alexandre Sheldon, Adrien Pinon et Thomas Lafarge, ces deux derniers en sont les réalisateurs. La direction de la photographie est signée aussi par Katerine Giguère et Suyash Shrivastava, le montage est de Matthieu Lere et la conception sonore de Daniel Toussaint. Medhat Hanbali a composé la musique originale du film.

Le monde selon Amazon sort en salles aujourd’hui même aux cinémas Beaubien, du Parc (Montréal) et Cartier (Québec) et la semaine prochaine à Sherbrooke et Trois-Rivières; c’est une production par Valérie Montmartin et Sylvie Van Brabant pour Little Big Story et Les Productions du Rapide-Blanc[vii]. Bande annonce : http://bit.ly/lemondeselonamazon

 

[ii] Dr Éric Notebaert, Association Québécoise des Médecins pour l’Environnement; Pascale Frémont, présidente des Religions pour la Paix (Canada); Ginette Charbonneau, physicienne, et Lucie Massé, toutes deux du Ralliement contre la pollution radioactive; Michel Duguay, docteur en physique nucléaire de l’Université Yale, membre de Science for Peace et professeur en génie électrique Université Laval; Pierre Jasmin, président d’honneur Mouvement Québécois pour la Paix, Artiste pour la Paix, membre Pugwash Canada et Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire; Nancy K. Brown, membre Mouvement Québécois pour la Paix, Amnistie internationale, LEAP Montréal et Échec à la guerre (traductrice de ce document en anglais); Philippe Giroul, Eau-Secours, membre du PQ à Trois-Rivières, co-coordonnateur du Mouvement Sortons le Québec du Nucléaire (2008-2013); Stone Iwaasa, émissaire du Conseil Traditionnel Mohawk de Kahnawake (Clan de l’ours); Nadia Alexan, Action Citoyenne - organisation altermondialiste et militante laïque; Phyllis Creighton, Ordre de l’Ontario, conseillère spéciale au Bureau International de la Paix (fondé en 1891) et organisatrice des cérémonies en commémoration d’Hiroshima à Toronto; Pascale Camirand, éthicienne féministe et fondatrice de la Société des femmes philosophes.

[v] SIPRI démontre que la Russie a baissé ses dépenses militaires dans ses deux derniers budgets annuels, alors que les États-Unis et les pays de l’Europe de l’Est ont augmenté les leurs d’au moins 10%.

[vii] Merci à Amélie Labrecque-Girouard chez IXION Communications.