« Je parle français par cœur » : un slogan inapproprié ?

2019/12/05 | Par Léonce Naud Deschambault

Jusqu’à présent, personne ne semble avoir recherché l’origine géographique de cette expression. Se peut-il qu’elle soit née dans un univers culturel fort différent de celui du Québec, un endroit de marécages, de bayous, peuplé par d’improbables descendants d’Acadiens autrefois déportés par l’Angleterre? Selon mon souvenir, il y a de cela plusieurs décennies, un nationaliste canadien-français dont j’oublie le nom — Beauceron d’origine je crois — revint d’un voyage en Louisiane porteur d’un slogan qu’il avait trouvé génial : « Je parle français par cœur ».

Au Québec, jamais auparavant n’avait-on eu l’idée de pareille chose. Jusque-là, tout le monde parlait français parce que c’était normal de parler français. L’idée de « parler français par cœur », naturel en Louisiane où la langue française n’est plus qu’un reliquat atomisé d’une époque révolue, s’incrusta hélas dans quelques « grosses têtes » de chez nous. De son côté, l’immense majorité de la population québécoise continua de parler français pour la raison qu’au Québec il est normal et naturel de parler français, voire d’imposer cette langue à d’autres au besoin. 

Le slogan qui propose de « parler français par cœur » remet en question la normalité de l’usage du français au Québec. Il laisse entendre que ce n’est pas vraiment normal de parler français, que ça prend une raison affective pour parler français. En Israël, dit-on : « Je parle hébreu par cœur » ? Aux États-Unis,  parle-t-on anglais « par cœur » ? En Pologne, parle-t-on polonais « par cœur » ? Les Suédois parlent-ils suédois « par cœur » ? Les Japonais parlent-ils japonais « par cœur » ? On voit bien qu’aucune nation au monde n’est à ce point simple d’esprit — hormis la nôtre — pour en venir à se donner des élites qui pensent de cette façon. 

Bref, l’expansion des langues procède de la force culturelle, politique, économique et militaire des tribus ou des nations dont elles sont le moyen d’expression et leur régression procède de leur faiblesse. Cela n’a rien à voir avec l’amour, la fierté ou le cœur.