Réacteurs modulaires nucléaires, une chimère

2019/12/06 | Par Collectif

Voix des Femmes : Les jeunes Beze Gray (à l’avant-droit), Sophia Mathur (à l’avant-gauche) et Zoe Keary-Matzner (à l’avant, 2e à partir de la droite) engagent une poursuite judiciaire contre le Gouvernement Ford pour avoir affaibli les politiques contre les changements climatiques. Détails sur : 

https://www.support.ecojustice.ca/page/52098/action/1

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Article basé sur la recherche scientifique de Gordon Edwards PhD, président-fondateur du Regroupement pour la surveillance du Nucléaire, sur des consultations effectuées par Michel Duguay, PhD, professeur à l'Université Laval & par Pierre Jasmin, UQAM, Mouvement Québécois pour la Paix et Artiste pour la Paix.

De g. à dr., les Premiers ministres conservateurs NB Blaine Higgs, ONT Doug Ford & SASK Scott Moe


Contexte

Le vendredi 13 septembre 2019, la première page du St John Telegraph-Journal est occupée par ce que de nombreux participants crédules espèrent être une bonne histoire pour le Nouveau-Brunswick, qui deviendrait une entreprise de réacteurs nucléaires en plein essor et prospère pour le monde entier. Après de nombreux mois de réunions dans les coulisses avec des dirigeants de sociétés de services publics, des politiciens provinciaux, des représentants du gouvernement fédéral, des maires de municipalités et des Premières Nations, deux entreprises nucléaires ont présenté le rêve éblouissant de milliers d'emplois, – ou plutôt de dizaines de milliers d'emplois! -- au Nouveau-Brunswick, la production et la vente en série de composants destinés à des réacteurs modulaires nucléaires non encore testés dont on espère qu’ils seront installés dans le monde entier par centaines!

Cette semaine, se sont jointes à ce projet la Saskatchewan qui a cruellement besoin de nouveaux marchés pour son uranium[i], mais aussi l’Ontario avec des projets téméraires

-  de renouvellement de ses vieilles centrales nucléaires et

- de construction d’un dangereux dépôt de déchets nucléaires à Chalk River, auquel s’opposent l’immense majorité des Premières Nations et de nombreux scientifiques (Science pour la paix). Porte-parole du Ralliement contre la pollution radioactive et ancien journaliste spécialiste de l'environnement au Devoir, Gilles Provost, dans une entrevue accordée à QUB (Mario Dumont, le 2 décembre), a critiqué cette annonce comme étant prématurée, car aucun des prototypes sur papier n'existe en réalité. Ce qui contraste avec la déclaration des trois premiers ministres, affirmant avec audace qu’ils disposent d’une solution autre que ce qu’ils appellent « la taxe » sur le carbone pour répondre à la question urgente du changement climatique: fausse nouvelle ou mensonge honteux?

 

1. « La renaissance nucléaire » - conséquences dramatiques dans le monde entier

Ce battage médiatique rappelle très fortement les battements de tambour des attentes grandioses lancées en 2000, anticipant une renaissance nucléaire qui verrait des milliers de nouveaux réacteurs - énormes! - être construits sur toute la planète. Cette vision s’est avérée être un échec total, un fiasco total de relations publiques incontrôlées, menant tout d’abord à la faillite ou à la quasi-faillite de certaines des plus grandes sociétés nucléaires du monde - telles que Areva et Westinghouse - et entraînant le retrait d’autres sociétés du secteur nucléaire - comme Siemens.

Les spéculations sur cette promesse de la Renaissance nucléaire ont également entraîné une flambée des prix de l'uranium (totalement irréaliste), stimulant les activités d'exploration d'uranium à une échelle sans précédent, mais se terminant par un effondrement catastrophique des prix de l'uranium lors de l'éclatement de la bulle. Cameco, en Saskatchewan, a fermé certaines de ses mines les plus productives et licencié des milliers de travailleurs. Le prix de l'uranium n'a toujours pas récupéré de sa chute.

Les gros réacteurs nucléaires se sont essentiellement éliminés du marché futur, parce qu'ils sont trop coûteux. Seules la Russie et la Chine ont réussi à échapper à la réalité du marché, à cause de l’implication de leurs monopoles d’État. Néanmoins, la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité est tombée de 17% en 1997 à moins de 10% en 2018. En Amérique du Nord et en Europe occidentale, les perspectives de construction de nouveaux grands réacteurs sont quasi nulles et de nombreux réacteurs plus vieux ferment leurs portes en permanence. 

 

2. Prétexte des changements climatiques, l'Allemagne et l’ONU en contre-exemples

Beaucoup de gens, préoccupés par le changement climatique, veulent en savoir plus sur les choix moraux et éthiques concernant les technologies à faibles émissions de carbone: «N'avons-nous pas la responsabilité d'utiliser le nucléaire?» Réponse brève: le nucléaire est trop lent et trop coûteux, le classement des options devrait être basé sur ce qui est le moins cher et le plus rapide - en commençant par l’efficacité énergétique, puis en passant aux énergies renouvelables disponibles telles que l’énergie éolienne et solaire.

Le Dr David Jacobs, expert allemand en matière d'énergie propre, avait rendu visite au Canada pour dissiper quelques mythes au sujet de leur Energiewende. Jacobs a évoqué les leçons que les pays d’Amérique du Nord peuvent tirer de l’initiative de l’Allemagne en faveur d’une énergie totalement durable. Fondateur et directeur d’International Energy Transition Consulting, il a rendu visite à Clean Energy Canada dans le cadre de sa série de conférences sur le leadership en matière de réduction des émissions de carbone. Jacobs s'est concentré sur la vigueur de l'économie allemande et les contributions du secteur d'énergie verte à la réalisation du taux de chômage le plus bas depuis la réunification au début des années 90. Jacobs a déclaré que bon nombre des coûts associés à la transition verte en Allemagne étaient des coûts historiques, tels que l'achat de panneaux solaires lorsque le coût de cet équipement était beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui. La baisse constante du coût de l'énergie solaire signifie que les autres pays qui souhaitent se lancer sont dans une meilleure position de départ. «Si vous investissez dans le photovoltaïque aujourd’hui, vous partez d’une toute autre référence et vous pouvez bénéficier de la réduction des coûts d’autres pays.»

L’Allemagne a installé plus de 30 000 mégawatts de capacité éolienne en seulement 8 ans. 30 000 MWe représentent plus du double de la capacité nucléaire totale installée en exploitation au Canada et il serait impossible de construire 30 000 MW nucléaires en seulement 8 ans. Également avec l'énergie éolienne ou solaire, on bénéficie d'une réduction des émissions de dioxyde de carbone dès la première année, puis d'un avantage supplémentaire la deuxième et encore plus lors de la troisième année, et ainsi de suite, pour atteindre un volume cumulé de 30 000 MWe après 8 ans.

Avec le nucléaire, même si vous POUVIEZ construire 30 000 MWe en 8 ans, vous n'auriez ABSOLUMENT AUCUN AVANTAGE pendant toute la période de construction de 8 ans. En fait, vous aggraveriez le problème en extrayant de l'uranium, en fabriquant du combustible, en coulant du béton et en construisant le cœur et les composants du réacteur, ce qui ajoutera aux émissions de gaz à effet de serre, sans bénéfice tant que tout n'est pas prêt à fonctionner (si…). Entre temps (10 à 20 ans), vous aurez privé l’efficacité énergétique des solutions de rechange renouvelables, des fonds disponibles et de la volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre des technologies qui auraient VRAIMENT un impact immédiat et substantiel sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, selon les besoins exprimés par le Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat le 3 décembre à Madrid pour la COP25.

Aux États-Unis, des ingénieurs et même des PDG de certaines des plus grandes sociétés nucléaires reconnaissent que l’ère de l’énergie nucléaire est pratiquement révolue en Amérique du Nord. Ce jugement négatif ne vient pas de personnes opposées au nucléaire, bien au contraire, de personnes se lamentant de son déclin. Veuillez consulter ce rapport important de la faculté d'ingénierie de l'Université Carnegie-Mellon[ii].
 

3. Petits réacteurs nucléaires modulaires

Ce rapport inclut dans son analyse les petits réacteurs nucléaires modulaires, sans leur accorder plus d'espoir, principalement parce qu'une nouvelle génération de réacteurs plus petits, tels que ceux promis pour le Nouveau-Brunswick, coûterait nécessairement plus cher par unité d'énergie produite, si elle était fabriquée individuellement. La forte augmentation du prix peut être partiellement compensée par la production en série de composantes préfabriquées; d’où la nécessité de vendre des centaines, voire des milliers de ces petites unités pour atteindre le seuil de rentabilité et réaliser des bénéfices. Cependant, le carnet de commandes est rempli de pages vierges - il n'y a pas de clients ! Cela étant, trouver des investisseurs n’est pas facile. Les entrepreneurs cherchent donc à convaincre les gouvernements de dépenser l’argent des contribuables, dans l’espoir que cette deuxième tentative de renaissance nucléaire ne sera pas la débâcle totale connue par la première.

Les chances sont très minces cependant. Il existe environ 150 modèles différents de «petits réacteurs modulaires nucléaires». Aucun d'entre eux n'a été construit, testé, sous licence ou déployé. À Chalk River, en Ontario, un consortium de sociétés multinationales privées, composé de SNC-Lavalin et de deux entreprises partenaires, fonctionnant sous le nom de «Laboratoires nucléaires canadiens» (LNC), est prêt à accueillir six ou sept conceptions différentes de petits réacteurs nucléaires modulaires. - Aucune d’elles n’est identique aux deux proposées pour le Nouveau-Brunswick - et toutes ces conceptions seront en concurrence les unes avec les autres. La description du projet du premier prototype de Chalk River a déjà reçu plus de 40 commentaires qui sont affichés sur le site Web de la Commission Canadienne de Sécurité Nucléaire, et presque tous sont négatifs.

Il est peu probable que le marché soit suffisamment rentable pour devenir viable sur le plan financier. Ainsi, la deuxième Renaissance nucléaire peut porter en soi les germes de sa propre destruction dès le début. Malheureusement, les gouvernements ne sont pas bien équipés pour mener une enquête indépendante sérieuse sur la validité des affirmations enivrantes faites par les promoteurs, qui oublient toujours le problème persistant des déchets nucléaires et son énorme problème écologique pour les générations à venir.

« En bref, les petits réacteurs sont une autre source de distraction de la part de la Saskatchewan, qui affiche les niveaux de GES les plus élevés de la planète - près de 70 tonnes métriques par habitant. Alors que le reste du Canada a réduit ses émissions, la Saskatchewan, ainsi que l'Alberta et ses sables bitumineux à haute teneur en carbone, ont continué à les augmenter. Les émissions de la Saskatchewan et de l’Alberta sont maintenant presque égales à celles du reste du Canada. Honte à nous! » Jim Harding, 2 décembre 2019!

Enfin, dans la liste des projets à l’étude, on retrouve un vieux projet abandonné sous Jimmy Carter et par le groupe français opérant le SuperPhénix, en raison de son caractère extrêmement dangereux, c'est-à-dire un réacteur dont le cœur serait refroidi par du sodium liquide. Ce réacteur, similaire à celui de type «breeder» de Clinch River au Tennessee, a été jugé capable d’empoisonner une douzaine d'états américains (et le SuperPhénix une partie importante de la France), car lors du moindre accident, le sodium liquide exploserait au contact de l'air ou de l'eau, en répandant des quantités mortelles de plutonium.

Certains observateurs se demandent si les trois compères veulent explorer ce genre d’avenues insensées pour extorquer rapidement de l'argent au gouvernement fédéral et pour éviter d’assumer la responsabilité de leur inaction face aux changements climatiques.  

 

4. Soutien de nombreux organismes

 

Nos analyses appuyées par de nombreux experts et militants écologistes, dont nous enverrons la liste sur demande, il s’agit d’une vague de protestations sans précédent depuis :

1. le Mouvement pour Sortir le Québec du Nucléaire[iii] (MSQN), suivi de

2. le Symposium International Québécois sur l’Uranium[iv] en avril 2015, organisé par Ugo Lapointe (Mining watch.ca) et les Cris, qui a conduit à ce que

3. Le Bureau d’Audiences Publiques en Environnement du gouvernement du Québec (juin 2015), prononce, sous l’autorité de Louis-Gilles Francoeur aujourd'hui à la retraite, un avis unanime contre l’exploration et l’exploitation de l’uranium au Québec.

4. Ces opinions autorisées se sont aussi retrouvées dans une résolution officielle émise par le Forum Social Mondial de Montréal en août 2106.

 

D’autres oppositions motivées se sont exprimées par exemple par les voix de:

5- Edwin Lyman de l’Union of Concerned Scientists in Washington qui qualifie l’annonce des trois premiers ministres de “chimère”.  Son entrevue dure 22 minutes :

   https://www.cbc.ca/listen/live-radio/1-63-the-current/clip/15749583-provincial-premiers-demands-mini-nuclear-plants

6- Theresa McClenaghan, de l’Association canadienne en droit environnemental, qui a exprimé à Radio-Canada (Nouveau-Brunswick) ses doutes que les Réacteurs Modulaires représentent une réponse efficace aux changements climatiques. L’entrevue de 3 minutes débute à 17:37 minutes de l’enregistrement:

https://www.cbc.ca/player/news/canada/nb

7- Dr Michael Dworkind qui lance un appel sur une problématique nucléaire connexe[v];

8- Stone Iwaasa qui nous appuie, en respect de la loi du wampum à deux voies de la sagesse Mohawk du conseil traditionnel KAIENKÉHAKA

9- de Gilles Provost, Dr David Jacobs et Jim Harding dont les opinions sont dans le texte.

Nous vous remercions pour votre attention,

Dr. Gordon Edwards, ccnr@web.ca

Michel.Duguay@gel.ulaval.ca

Jasmin.pierre@uqam.ca

 

 

[i] Contraires aux règles de non-prolifération édictées par l’ONU dans son traité de 1970, les vieux marchés de la Saskatchewan ont inclus l’Inde et le Pakistan, dont les deux gouvernements se menacent mutuellement de bombardements nucléaires.

[ii] Article par Scarlett Evans, Power Technology, July 5 2018.

https://www.power-technology.com/news/nuclear-power-predicted-virtually-disappear-us/

[v] L’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire invite les activistes antinucléaires à se joindre à un projet d’utiliser les Olympiques 2020 au Japon pour sensibiliser le monde entier sur la contamination radioactive continue provenant du désastre de Fukushima (11 mars 2011). Nous lançons un appel médical urgent pour empêcher l’exposition irresponsable des athlètes et du public à cette menace invisible à court terme aux enfants et aux fœtus exposés à des doses cinq fois supérieures aux normes de sécurité concernant entre autres la leucémie et les cancers du poumon qui pourraient survenir dans une perspective de 20 ans. Ce serait injuste de les tenir dans l’ignorance. Je suis disponible pour des conférences à ce sujet. Solidairement, Michael.