Retraites : les leçons françaises (2)

2020/01/07 | Par Pierre Dubuc

Au moment où ces lignes sont écrites – 5 janvier 2020 – il est difficile de prévoir si le président Macron réussira à imposer sa réforme des retraites (pour une description de la réforme, voir cet autre article). Le projet fait face à une forte contestation dans les lieux de travail, dans la rue et dans l’opinion publique.

Mais l’opposition syndicale est divisée. Deux organisations syndicales – la CFDT et l’UNSA – sont favorables à la philosophie générale de la réforme proposée, soit un régime universel « à points » (une formule où du temps de travail salarié permettra d’accumuler des « points », qui à la retraite détermineront le montant de la prestation du salarié retraité), mais refusent l’allongement de deux ans de la durée du travail avec la fixation de l’âge de la retraite à 64 ans et réclament des exceptions pour les travailleurs occupant des tâches pénibles.

Deux autres organisations syndicales, la CGT et l’Union syndicale solidaires – connue sous l'acronyme SUD (pour « solidaires, unitaires, démocratiques ») – s’opposent au principe même du système « à points » et ont rallié à cette opposition, au cours de la lutte en cours, des adhérents des deux autres centrales. Elles forment le cœur de la mobilisation contre la réforme.

Le président Emmanuel Macron et son premier ministre Édouard Philippe cherchent à rallier la CFDT et l’UNSA par des concessions accordées aux travailleurs actuels avec des clauses « du grand-père » (maintien des droits acquis) et différentes autres dispositions, entre autres en fonction de la pénibilité du travail.


Le programme néolibéral de Macron

Depuis son accession au pouvoir en 2017, le président Macron a entrepris une offensive en règle contre les droits syndicaux et sociaux. Le Code du travail a été modifié au détriment des travailleurs. Les accords nationaux ont été remplacés par des conventions collectives au niveau des entreprises, avec pour conséquence d’affaiblir les obligations patronales en matière de licenciement, de conditions de travail, etc. Le statut de cheminot a été aboli à la SNCF. L’assurance-chômage a été modifiée en rognant les droits des chômeurs; l’État veut économiser plus d’un milliard d’euros et contraindre les demandeurs d’emploi à occuper n’importe quel poste.

Maintenant, avec la réforme des retraites, l’objectif global est, comme le soulignait le Monde Diplomatique dans son édition de janvier 2020, de « briser le collectif » et reporter « tous les risques sur les assurés ». L’esprit de la loi est le même que celui de la conversion au Québec des régimes à prestations déterminées en des régimes à cotisations déterminées. La valeur du « point » de la réforme Macron sera soumise aux mêmes aléas financiers que le montant des retraites des régimes à cotisations déterminées, comme l’ont souligné plusieurs commentateurs en France. Déjà, le système oblige les salariés avec des revenus supérieurs à 120 000 euros à cotiser à des régimes complémentaires privés et incitera tous les travailleurs à faire de même.


La bataille de la durée du travail

L’insécurité des revenus découlant de la réforme entraînera l’allongement de la carrière des travailleuses et des travailleurs, si bien que certains commentateurs invitent le gouvernement Macron-Philippe à laisser tomber « l’âge pivot » de 64 ans. Ils font remarquer que les salariés du privé travaillent déjà jusqu’à l’âge de 63 ans.

La durée du travail est au cœur de l’affrontement entre les salariés et le patronat depuis les débuts du capitalisme. Au départ, il concernait la journée de travail. De longues luttes ouvrières entraînèrent sa réduction à 12, 10 et 8 heures.

À cette époque, Marx a décrit la conquête de la journée de 10 heures comme étant le résultat de « la grande querelle entre le jeu de l’offre et de la demande, qui est toute l’économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l’économie politique de la classe ouvrière ».

C’est bien de cela qu’il est question avec la réforme Macron-Philippe et l’allongement de la carrière des travailleuses et travailleurs. Avec cette réforme, le montant des retraites et, par voie de conséquence, la durée du travail seront soumis « au jeu de l’offre et de la demande » sur les marchés financiers, alors qu’au cours des 70 dernières années, une certaine « prévoyance » étatique, basée sur les gains de productivité, la croissance et le progrès social, avait permis en France de plus que doubler le temps de vie en retraite.

Dorénavant, les futurs gains de productivité ne profiteront plus au travail et à la partie différée du salaire servie en retraite, mais à enrichir le 1% de la population mondiale qui accapare déjà plus de 80 % de la richesse.
 

Au Québec et au Canada

La question du financement des retraites se pose aussi au Québec avec la fragilité de plusieurs des fonds de pension, comme nous le démontre le cas des retraités du Groupe Capitales Média, qui voient fondre de 30% leurs prestations. D’autre part, les régimes avec des clauses « orphelin » (disparité du traitement pour les nouveaux employés) sont aussi remis en question, comme ce fut le cas dernièrement chez Paccar, alors que 1100 des 1400 travailleurs, victimes d’une telle discrimination, ont rejeté dans un premier temps le projet de convention collective. Leur cas n’est pas unique et la direction d’Unifor a fait valoir la nécessité d’une intervention gouvernementale.

De plus, comme le soulignait dernièrement le Globe and Mail, en faisant référence à une annexe du dernier Énoncé économique du gouvernement fédéral, la principale rubrique des dépenses pour l’année 2019-2020 est constituée des montants prévus pour les personnes âgées, soit 56,1 milliards $, une augmentation de 2,7 milliards $ par rapport à l’année précédente, avec une augmentation prévue de 3,4 milliards $ pour l’an prochain.

En 2025, les prévisions de dépenses pour les personnes âgées – ce qui inclut la Sécurité de la vieillesse, le Supplément de revenu garanti et différentes allocations – atteindront annuellement 74,2 milliards $. Elles sont déjà supérieures aux transferts en santé aux provinces. Dans cinq ans, Ottawa dépensera plus pour les personnes âgées que pour la santé et la péréquation.

Et le gouvernement de Justin Trudeau a promis, au cours de la dernière campagne électorale, des paiements supplémentaires au coût de 8,8 milliards $ par année pour les quatre prochaines années, au chapitre de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes âgées de plus de 75 ans.

Nul doute que ce n’est qu’une question de temps avant que les tenants du néolibéralisme remettent en cause le montant des pensions et demandent le report de l’âge de la retraite, comme c’est le cas actuellement en France.