L'oeuvre de Matzneff

2020/01/10 | Par Guy Roy

L'épuration politique est, selon Wikipédia, «l’élimination du corps social des membres jugés indignes d’en faire partie ou considérés comme indésirables».

C'est donc dans le contexte d'une prise en compte de l'histoire et de ses turbulences que je réponds à Monsieur Victor Teboul de Tolerance.ca.

Des oeuvres ont été exclues un temps de la présence publique sans que ne soient altérés les principes de la démocratie qui ne saurait être autre chose qu'un perpétuel affrontement de convictions anciennes et nouvelles qui disparaissent et réapparaissent au fil des débats et de l'évolution des moeurs. Le traitement fait à l'oeuvre du pédophile Matzneff ne saurait être prise pour mesure de la qualité de la tolérance ou de la démocratie dans nos sociétés. Il s'agit d'un faux débat initié hors du contexte historique dans lequel il s'est tenu et dans lequel il se renouvelle maintenant.

Le Marquis de Sade serait condamné aujourd'hui comme hier et ses livres censurés. Mein Kampf n'a été ré-édité que longtemps après que l'on en ait démontré «l'indignité» historique. L'épuration la plus connue est celle des nazis de l'appareil politique français après la guerre de Résistance d'une grande partie de la France. Et seuls les nazis actuels crient à l'intolérance et à la censure.

Matzneff mérite l'opprobre dont il est l'objet après tant d'années de tolérance et il est pour le moins douteux de tolérer l'intolérance des pédophiles face à l'intégrité physique des enfants même à une époque où l'on s'aveuglait là-dessus et en arguant que l'on est contre de telles pratiques. Si l'oeuvre de Matzneff doit être conservée pour l'illustration d'un abus de la tolérance, elle ne devrait être publiée qu'avec une version du «Consentement» pour bien montrer qu'elle est l'objet d'une contestation radicale et sans censure de l'intolérable sort fait à l'adolescente par Matzneff dont il a censuré les excès tortionnaires.

Si l'histoire et l'édition ont leurs droits, elles ne peuvent faire l'économie de l'évolution des moeurs. Une oeuvre homosexuelle est aujourd'hui pertinente dans un contexte où les moeurs ont évolué. Si le raffinement social ne tolère plus la pédophilie exposée comme oeuvre d'art, c'est que la société s'est préoccupée du «massacre» des femmes et des enfants comme en parlait en son temps Andrea Dworkin, la féministe radicale qui identifiait la pornographie au viol. Ce qui n'est pas très loin du plaidoyer de la «Fabrique du viol» comme argumentaire contre «la culture du viol». Mais le sort de la pornographie n'est pas encore réglé et son «indignité» pas suffisamment démontrée !

Aux oeuvres ignobles finissent par répondre d'autres oeuvres qui restaurent la vérité. Mais la censure n'est pas épuration au sens où on l'entend chez Tolerance.ca. Elle est une réaction à l'intolérable. On a hésité à raison à ré-éditer Mein Kampf, mais l'histoire veut que l'oeuvre ait été marquée du sceau de l'ignominie bien avant sa ré-édition. Ce qui fait de sa publication une anecdote de l'histoire contemporaine épurée du nazisme. Le sort fait à l'oeuvre de Matzneff ne saurait suscité plus de compassion que celui fait aux oeuvres du Marquis de Sade qui sont éditées en «livres jaunes» en textes bons marchés pour les esprits tordus ou les adolescents en mal de découvertes sexuelles.

Dans le contexte de l'évolution des moeurs provoquée par le féminisme et les luttes anti-coloniales, la censure se mesure au grand cas qu'on fait de la préséance de l'ancien sur le nouveau quand celui-ci a démontré sa pertinence pour écrire l'histoire avec un regard neuf dont les sédimentations ne sauraient être invoquées par simple réaction à l'innovation. L'épuration a donc tout lieu d'être si elle confirme l'affirmation de la préséance du nouveau sur l'ancien. 

Est-ce que l'art y perdrait en substance si Roméo et Juliette était joué devant des pédophiles en mal du spectacle d'une adolescente nue et consentante à un acte sexuel avec un adulte ? Ce serait dénaturer la trame de l'histoire du texte et de sa présentation théâtrale dans l'histoire elle-même. Roméo n'était-il pas adolescent lui-même ? Ce qui présente l'histoire sous un autre jour que celui de la présumée pédophilie de Shakespeare.

Il faut mettre les choses en perspective et ne pas plaider pour plaider comme maître Julius Grey sait le faire.