Pour la sauvegarde du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)

2020/02/03 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est militant anti-nucléaire

En cette fin janvier 2020, deux lettres ont été envoyées au Premier ministre Trudeau par des Canadiens opposés à la bombe nucléaire. On sait que Trudeau nous a fait l’insulte de ne même pas accuser réception de nos lettres bi-annuelles depuis son élection en 2015. Notre dernière datait du 18 novembre, avant la formation de son conseil ministériel.[i]

Une première, en anglais uniquement – que j’ai refusé d’endosser -, datée du 20 janvier, émanant du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire (CNANW), invitait le Premier ministre à honorer de sa présence la commémoration à Ottawa du 75e anniversaire de la bombe d’Hiroshima le 6 août prochain. N’y a-t-il pas des limites à s’aplatventrer?

La deuxième, datée du 23 janvier et signée par une centaine des mille membres de l’Ordre du Canada regroupés au Rassemblement canadien pour une convention sur les armes nucléaires, reprend les arguments habituels rationnels, plus d’autres qui s’additionnent, vu l’actualité décourageante. Le groupe, qui se remet à peine de la mort de son fondateur nonagénaire Murray Thomson, espère rejoindre une fibre de paix chez ce Premier ministre, chahuté par les Artistes pour la Paix, l’Aut’Journal et les trois cents manifestants du 25 janvier dans la rue à Montréal (voir mon discours reproduit par le site Échec à la guerre[ii]). Voici des extraits de la lettre fort bien documentée (les caractères gras sont de mon cru) :

- que le Canada travaille diligemment à l’obtention d’un consensus international autour de la sauvegarde du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) à la Conférence d’examen du TNP de 2020.

Il y a trente ans, la Guerre froide s’est terminée sur des réductions importantes des arsenaux nucléaires et une montée d’espoir que cette folie d’aspirer à la sécurité par l’assurance d’une destruction mutuelle serait bientôt reléguée à l’histoire. Mais les relations entre l’Occident et la Russie se sont de nouveau envenimées. L’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement a déclaré récemment que le risque du recours aux armes nucléaires n’a jamais été aussi élevé depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les puissances nucléarisées dépensent des milliards de dollars à la « modernisation » de leurs arsenaux. Cette course renouvelée aux armes nucléaires se déroule dans un contexte qui ne cesse de se détériorer sur le plan de la sécurité mondiale et dans lequel on assiste à l’écroulement des institutions et des accords voués à l’avancement du contrôle des armes et du désarmement. Cet écroulement est rendu au point que, si l’accord New START américano-russe de 2010 n’est pas renouvelé avant son échéance de février 2021, il ne restera plus un seul traité international susceptible d’imposer des limites précises sur les arsenaux.

Depuis l’an 2000, une série de traités clés ont été abandonnés : le Traité sur les missiles antimissiles balistiques Traité ABM de 2001, le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe de 2007, le pacte nucléaire iranien (abandonné par les USA en 2018) et le Traité de limitation des armes nucléaires à moyenne portée de 2019. L’Administration Trump menace maintenant de se retirer également du Traité  « Ciel ouvert » de 2002, cet accord qui permet aux membres, y compris la Russie et les États-Unis, de survoler leurs territoires réciproques, suivant le conseil célèbre de Ronald Reagan de « faire confiance tout en vérifiant » (le Canada a joué un rôle clé dans l’élaboration de ce traité et est un des États dépositaires). Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires de 1996 a toujours besoin de ratifications clés pour entrer en vigueur. Pendant plus de deux décennies, le forum désigné par l’ONU pour la négociation des traités, à savoir la Conférence sur le désarmement à Genève, est resté dans une impasse et n’a fait aucun progrès vers le traité promis, dont le Canada s’est fait le champion, visant à stopper la production de matière fissile aux fins d’armement.

Le TNP, quoique sérieusement diminué, demeure crucial en ce qu’il impose à tous les États l’obligation légale d’éliminer leurs armes nucléaires. Sa grande faiblesse, cependant, c’est qu’il ne fixe aucune échéance, même pas un échéancier progressif, pour le désarmement et ne prescrit pas un calendrier précis pour la réduction des arsenaux. Il n’en faut pas plus pour que les puissances nucléaires continuent de refuser effrontément d’honorer leurs obligations légales, si bien que le Traité lui-même est menacé d’abandon, non par les puissances nucléaires, mais par le nombre croissant d’États non nucléarisés qui doutent que les États nucléarisés se débarrassent vraiment de leurs armes nucléaires. Si l’intransigeance des puissances nucléaires continue d’alimenter cette perception, certains États non nucléarisés du Moyen-Orient vont inévitablement conclure qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se munir d’armes nucléaires.

Tout comme dans le cas de son engagement [?!?, interjections personnelles] face à la crise climatique, le Canada ne pourra seul parvenir à désamorcer la crise nucléaire. Il reste que, dans le passé, le Canada s’est rendu utile en collaborant activement au renforcement du TNP avec des pays aux vues similaires. Voilà qu’une autre occasion similaire s’offre à lui de faire preuve de diplomatie créative. Le Canada est mis au défi de puiser dans sa réserve d’expérience politique et d’habileté diplomatique pour travailler à la sauvegarde du TNP à sa Conférence d’examen du 27 avril au 22 mai 2020. Un pont peut être érigé entre les États nucléarisés et non nucléarisés par l’adoption des recommandations mises de l’avant l’an dernier par le président du processus préparatoire du TNP.à

Le Canada devrait ainsi faire figure de proue dans le mouvement pour que la prochaine Conférence d’examen du TNP s’ouvre sur une déclaration au niveau ministériel qui viendrait appuyer dans l’ensemble ces recommandations :

a) en reconnaissant la menace nucléaire existentielle et en renforçant l’urgence d’agir;

b) en reconnaissant les conséquences humanitaires catastrophiques d’un recours au nucléaire, suivant la formule Reagan-Gorbatchev selon laquelle « une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être engagée »;

c) en réaffirmant les mesures de désarmement – y compris « l’engagement sans équivoque » des puissances nucléaires de « réaliser l’élimination totale de leurs arsenaux nucléaires » – qui ont été approuvées par consensus aux Conférences d’examen de 2000 et de 2010.

Nous engageons aussi le Canada à faire pression publiquement pour des mesures immédiates visant la réduction des risques du recours au nucléaire et l’instauration d’un climat politique plus favorable au désarmement, notamment :

  • en pressant les États-Unis d’accepter l’offre qu’aurait faite récemment la Russie de prolonger immédiatement la durée de l’accord New START;
  • en exhortant les États nucléarisés à retirer toutes leurs armes nucléaires qui entraînent un état d’alerte; en pressant les États-Unis de retirer toutes les armes nucléaires tactiques des territoires des États partenaires de l’OTAN en Europe;
  • en pressant les États-Unis (avec l’OTAN) et la Russie de déclarer qu’ils ne seront jamais les premiers à recourir aux armes nucléaires;
  • en appuyant la demande réitérée bien des fois d’établir un processus crédible d’élaboration d’un traité visant à faire du Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive;
  • en reconnaissant le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires comme initiative souhaitable et efficace, entièrement compatible avec le TNP;
  • en exhortant l’OTAN, la Russie et la Chine à entamer des pourparlers continus sur les conditions préalables à la stabilité et au désarmement à long terme.

De nouveaux efforts sont maintenant faits pour renforcer la coopération internationale, notamment par l’intermédiaire de l’Alliance pour le multilatéralisme, sous la direction de l’Allemagne et de la France. Nous engageons le Canada à faire preuve de leadership dans la restauration d’un ordre international fondé sur les règles, en particulier en travaillant à la sauvegarde du TNP. Car, comme Mikhaïl Gorbatchev l’affirmait récemment, les dangers nucléaires actuels sont « colossaux ».

Dans l’espoir de recevoir bientôt des détails sur la façon dont votre nouveau gouvernement entend contrer la menace existentielle des armes nucléaires, nous vous prions d’agréer, Monsieur le premier ministre, l’expression de nos sentiments les plus distingués.

Parmi la centaine de co-signataires de cet appel au bon sens, on reconnaît Ed Broadbent, le cinéaste David Cronenberg, Thomas de Koninck, le professeur émérite à l’UQAM Jacques Lévesque, Stephen Lewis, Audrey McLaughlin, le prix Nobel John Polanyi, Ernie Regehr, Douglas Roche, Jennifer Simons, Gérard Snow, Jane Urquhart, Michel Vennat et Salim Yusuf.