Pour un féminisme universaliste

2020/02/05 | Par Collectif

Nadia El-Mabrouk, Leila Lesbet et Michèle Sirois
Les auteures sont des militantes féministes
 

Nous déplorons l’image caricaturale du féminisme générée par les dérapages de la présidence actuelle de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Ce n’est pas sans tristesse que nous constatons que cela rejaillit sur la FFQ, car les femmes sont en train de perdre une voix importante qui a compté depuis cinquante ans pour défendre leurs droits.

Cependant, il faut constater que derrière les propos dérangeants d’une personne, apparaît une fracture dans le mouvement féministe qui date de plusieurs années et qui a conduit plusieurs membres à quitter la FFQ et à fonder en 2013 Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec).

 

Deux courants féministes

Le courant intersectionnel est basé sur la prise en compte des discriminations cumulées subies par les femmes. Force est de constater que cette idée louable, sensée enrichir l’analyse et la pratique du féminisme, a dérapé vers une idéologie qui divise les femmes en deux catégories: les privilégiées et les opprimées, ces dernières étant les victimes des femmes qui bénéficient de «privilèges», à savoir les femmes dites occidentales, «blanches», bourgeoises, éduquées, hétérosexuelles ou «cis» (un jargon récurrent chez les adhérentes aux théories queer qu’on retrouve aussi au Comité consultatif sur l’égalité des sexes mis en place par le Canada en 2018).

Ainsi, l’intersectionnalité dévoyée a mené vers l’exclusion des femmes qu’on étiquette comme «privilégiées», pour accorder la priorité aux personnes identifiées comme étant «à la marge», et dont les diverses causes prennent le pas sur la lutte à l’oppression spécifique et universelle des femmes. Les tenantes de l’intersectionnalisme ont ainsi délaissé l’idée de base du féminisme.

À l’inverse, les féministes universalistes mettent de l’avant le fait que l’infériorisation des femmes est un phénomène universel, résultat d’un système patriarcal qui doit être remis en question. Il s’agit d’un féminisme qui s’attache à sa mission première, soit la défense des droits de toutes les femmes.

 

Trois dossiers chauds

En premier lieu, concernant l’enjeu de la prostitution, certains groupes veulent faire accepter la prostitution comme un travail normal et le résultat d’un libre choix, alors que c’est une industrie basée sur l’exploitation sexuelle, dont la très grande majorité des femmes qui y sont impliquées souhaitent sortir. L’analyse intersectionnelle ne devrait-elle pas d’ailleurs démontrer que ce sont les femmes pauvres, vulnérables et autochtones qui y sont surtout représentées? Comment alors justifier de décriminaliser le proxénétisme et de banaliser l’industrie du sexe? Telle fut la position qui a généré de grandes divisions à l’intérieur de la FFQ et a incité plusieurs groupes à quitter cette organisation.

En second lieu, le juste combat pour le respect de l’orientation sexuelle a dévié et s’est vu secondarisé au profit de la notion d’identité de genre. Sous l’influence de l’idéologie queer, on est en train de nier la binarité des sexes en jouant sur la confusion entre «sexe» biologique et «genre» construit socialement. Résultat: l’entrisme d’activistes pro transgenre à l’intérieur des groupes féministes a permis à des hommes qui disent se sentir femmes d’investir des activités réservées aux femmes, comme les épreuves sportives, et de pénétrer dans des lieux réservés et réclamés par les femmes pour assurer leur protection (prisons, vestiaires sportifs, toilettes). L’équité pour les femmes et leur sécurité ont ainsi été mises à mal.

En troisième lieu, la question du voile et de la laïcité est devenue un enjeu particulièrement clivant. Sous la pression de groupes favorables au voile islamique, le féminisme universaliste s’est vu étiqueté comme étant un «féminisme blanc occidental» qui délaisse les revendications des femmes qu’on dit issues de la diversité, dont certaines prétendent émanciper les femmes à partir des textes sacrés de religions patriarcales, comme cela est prôné par le «féminisme islamique». Et cela, à l’heure où les femmes tunisiennes luttent contre l’iniquité dans l’héritage et où on condamne à la prison des femmes iraniennes qui veulent retirer ce voile.

La laïcité, et notamment l’interdiction des signes religieux pendant les heures de travail, est ainsi attaquée au nom de l’égalité des femmes, comme le démontrent les poursuites contre la loi sur la laïcité de l’État adoptée en juin 2019. Or, tant que des règles religieuses peuvent s’immiscer dans la gestion de l’État, nous ne sommes pas à l’abri de reculs en matière d’égalité entre les sexes.

Quel type de féminisme allons-nous pratiquer? Un féminisme universel et solidaire avec toutes les femmes parce que femmes? Ou bien un féminisme des particularismes qui opposent les femmes entre elles?

La solidarité avec les femmes plus vulnérables, qu’elles vivent ici au Québec, comme les femmes autochtones, ou ailleurs dans le monde, devrait nous inciter à aller au-delà de la confrontation idéologique qui prédomine actuellement pour faire front commun de façon à continuer à faire avancer les droits des femmes sans cesse fragilisés.