Le « queer » politique Alexandre Taillefer à l’offensive contre les syndicats

2020/02/14 | Par Pierre Dubuc

On se demandait d’où proviendraient les premières salves non gouvernementales contre le mouvement syndical à l’aube des négos du secteur public. La réponse est venue, le 11 février, dans La Presse+, sous la plume d’Alexandre Taillefer dans une « opinion » intitulée « Une remise en question des pratiques du monde syndical ».

Bien entendu, loin de lui « l’idée de casser du sucre sur le dos du monde syndical ». Évoquant l’exemple des pays scandinaves, il se dit « intimement convaincu que plus une société est syndiquée, plus elle est juste et équitable ». Mais encore faut-il que le monde syndical soit prêt à se réformer en acceptant les « judicieux conseils » de cet ex-« dragon », dont le principal fait d’armes est la retentissante faillite de son entreprise Téo Taxi.

 

Un « queer » politique

Avant d’aborder ses « conseils », il importe de savoir ce qui motive son irruption à ce moment-ci dans le débat entre le gouvernement et les syndicats. Taillefer se définit comme un « queer » politique. Il a contribué financièrement à la campagne de Jean-François Lisée, lors de la course à la chefferie du PQ, mais en précisant bien que ce n’était pas un appui à l’indépendance. (Cela tombait bien, Lisée reportait l’indépendance aux calendes grecques.)

En 2018, La Presse+ révélait qu’il avait accepté la présidence de la campagne électorale du PLQ, alors qu’il possédait une carte de membre du PQ !

En fait, Taillefer avait mis tous ses œufs dans les nids du PLQ et du PQ, mais il avait oublié la CAQ ! Quelle stupidité ! Il essaie aujourd’hui de se rattraper. Devenu « baron » médiatique avec l’acquisition du magazine L’Actualité, après le magazine Voir, il sait pertinemment qu’il aura besoin de l’aide financière du gouvernement caquiste et il a compris, en voyant ce gouvernement agir, qu’on mettait les chances de son côté en étant « ami » avec le premier ministre Legault.

Car les subventions, les aides gouvernementales, il connaît! Son entreprise Téo Taxi a bénéficié de 15 millions $ d’investissements de la Caisse de dépôt, de 8 millions $ d’Investissement Québec et d’au moins 7,5 millions $ du gouvernement du Québec.

En bon « queer » politique, il n’oublie pas que le Fonds de solidarité a aussi contribué pour 12 millions $ à son entreprise, ce qui va tempérer – dans la forme – son attaque contre le mouvement syndical.

Quant à sa contribution personnelle à Téo Taxi, elle est difficile à évaluer, parce qu’elle provient de son fonds XPND où, pratiquement, il sert de prête-nom à Stephen Bronfman. Toujours est-il qu’il affirme avoir perdu 1,5 million $ dans l’aventure Téo Taxi.

 

Une approche classique

Venons en maintenant à ses généreux « conseils » pour réformer le mouvement syndical. Il y va d’une manœuvre classique de prise en tenailles, en l’attaquant par la gauche et par la droite.

Dans un premier temps, il se proclame « l’ami des pauvres » en fustigeant les « clauses grand-père » qui ont créé des « inégalités flagrantes entre les générations d’employés », tout en déplorant le faible taux de syndicalisation dans le secteur privé, de même que « les injustices qu’entraine le statut de travailleur autonome » et « les emplois précaires ».

Fort bien ! Mais il faut être gonflé pour attribuer aux syndicats l’introduction des « clauses grand-père » et leur reprocher d’avoir « accepté ce compromis moral ». N’importe quel observateur de la scène syndicale sait très bien que la paternité de cette mesure discriminatoire est patronale et que seul un rapport de forces défavorable a contraint des syndicats à l’accepter. Si Taillefer veut la bannir, qu’il s’allie aux syndicats pour demander à son « ami » Legault une modification au Code du travail !

Il en va de même pour les travailleurs autonomes et les emplois précaires. Lui dont l’entreprise a fait faillite à cause d’Uber, est-il prêt à faire front commun avec les syndicats pour exiger du gouvernement Legault une législation semblable à celle adoptée en Californie, qui octroie le statut de salariés aux ubéristes?

En fait, son indignation devant le sort réservé aux moins nantis n’est qu’un colorant sucré pour envelopper l’amère concoction antisyndicale qu’il veut nous faire ingurgiter.

 

Quatre cibles

Par le plus grand des hasards, Taillefer s’en prend essentiellement aux employés du secteur public. Quel sens du timing !

Forcé de reconnaître que les conditions salariales du privé sont supérieures à celles du public, il se rabat sur les avantages sociaux, qui feraient, selon lui, « l’envie de bien des employés, mais aussi de bien des employeurs et des entrepreneurs ».

Cible no 1 : le régime de pension à prestation déterminée. Beaucoup trop généreux, comparé à la situation de ceux qui ne peuvent compter que sur leurs REER. Un tel sentiment de sécurité face à la vieillesse serait malsain. Il faut plutôt vivre dangereusement comme Taillefer. Lors de la faillite de Téo Taxi, il avouait, dans une entrevue accordée à Benoit Dutrizac à QUB radio, avoir des « problèmes de liquidités » parce qu’il avait englouti ses REER dans l’aventure. « Aujourd’hui, non seulement je n’ai pas de fonds de pension, mais je n’ai plus de REER ! » Voilà donc le modèle à prendre en exemple !

Mais, bien entendu, dans son « opinion » de La Presse+, il se défend de « vouloir tirer les nantis vers le bas ».

Cible no 2 : le salaire des enseignants. S’octroyant le titre de porte-parole de « monsieur et madame Tout-le-Monde » – un classique de la démagogie antisyndicale – Taillefer ne comprend pas pourquoi « les syndicats comparent les conditions salariales des enseignants les mieux payés au Québec avec ceux de l’Ontario » et non pas « avec les conditions de la vraie classe moyenne, qui gagne 39 822 $ par année ». Mais oui, on se le demande !

Mais, bien sûr, on ne veut pas « tirer les nantis vers le bas », seulement vers « la vraie classe moyenne ».

Cible no 3 : le salaire minimum à 15 $. Là, ça va être une surprise pour plusieurs. Taillefer s’était taillé une réputation de progressiste en appuyant la revendication d’un salaire minimum à 15 $. Aujourd’hui, pour le faire oublier, il y va d’« une appropriation culturelle », en empruntant une vieille ruse de Sioux : reculer dans ses traces. On devrait, proclame-t-il, « entendre davantage les syndicats sur les injustices qu’entraîne le statut de travailleur autonome » et sur les « emplois précaires » autrement qu’« en promouvant machinalement un salaire à 15 $ ».

Encore là, honni soit celui qui lui prêterait l’intention de « vouloir tirer les nantis vers le bas ».

Cible no 4 : Le discours syndical. Le discours ne serait pas assez « constructif » dans le « dialogue entre les employeurs et les employés ». Pas assez soucieux, non plus, du « climat de travail ». Trop d’« obstruction systématique », qui mine « l’enthousiasme et l’adhésion des travailleurs envers leur entreprise ».

Sur la fiscalité de ces entreprises, il serait grand temps de « les (les syndicats) entendre intelligemment ». Et, enfin, pourquoi ne pas admettre que le capitalisme est le meilleur système pour « l’enrichissement collectif », la réduction des écarts « entre les plus riches et les plus pauvres », « entre les hommes et les femmes » et « entre les différentes générations » ?

Autrement dit, chers syndicalistes, faites-nous grâce du prêchi-prêcha sur les paradis fiscaux! Épargnez-nous le radotage sur le 1% versus le 99%! Et profitez des prochaines négos du secteur public, pour exprimer « intelligemment » votre enthousiasme à l’égard du patronat, du gouvernement et du capitalisme.

« Queer » politique, disait-il ?! Un mot de six lettres commençant par P… serait plus approprié !