Quand le Commissaire au lobbyisme et les lobbyistes décident du sort des OSBL

2020/02/27 | Par Collectif

Les oreilles des personnes actives dans les milliers d’OSBL du Québec vont tinter aujourd’hui, alors que se tient à Montréal le colloque de l’Association québécoise des lobbyistes (AQL) « Encadrements. Perceptions. Perspectives ». Bien que le programme n’en fasse aucune mention et qu’aucune conférence ne soit présentée par les principaux concernés, le Commissaire au lobbyisme et les lobbyistes chercheront sans aucun doute, une nouvelle fois, à promouvoir l’assujettissement des OSBL à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme.

Or, les membres du Groupe Mon OSBL n’est pas un lobby maintiennent que l’assujettissement de tous les OSBL à la Loi menacerait l'exercice du droit d'association, la participation citoyenne, la liberté d'expression et la contribution des communautés aux enjeux de société et aux besoins de la population.

En juin 2019, le dernier rapport du Commissaire au lobbyisme, Me Jean-François Routhier, constituait la 4e tentative d’assimilation des OSBL à la Loi et c’est ce rapport que lui et celui avec qui il l’a rédigé, Me Pierre B. Meunier, y présentent par deux conférences devant l’AQL. Quant au discours d’ouverture, il a été prononcé par madame Sonia LeBel, ministre de la Justice et ministre responsable des Institutions démocratiques, de la Réforme électorale et de l’Accès à l’information.

Il y a 6 ans, presque jour pour jour, se tenait un colloque très semblable où il avait été possible d’entendre les véritables motivations des lobbyistes face à l’ouverture de la portée de la Loi : redorer l’image du lobbyisme en y assimilant les actions des mouvements citoyens. Sous prétexte de vouloir assurer la transparence des décisions gouvernementales, il s’agit encore aujourd’hui du même déni de la différence marquée entre les lobbyistes qui défendent des intérêts privées ou commerciaux et son contraire, soit des organismes sans motivation lucrative qui défendent l’intérêt public.

« Il est clair que la motivation du Commissaire est nourrie par celle des lobbyistes et le présent colloque l’illustre une nouvelle fois. Cette proximité est très préoccupante puisqu’on attendrait de lui qu’il se porte davantage à la défense des vrais enjeux de droits et de démocratie que d’améliorer la réputation des lobbyistes, souligne Ophélie Couspeyre, de la Table nationale des Corporations de développement communautaire. Nous ne pouvons que nous questionner sur les conséquences de mettre tant d’énergie à inclure dans la Loi des organisations qui n’ont rien en commun avec les lobbyistes, plutôt que d’agir directement sur les responsables de la mauvaise réputation des lobbyistes, comme les conflits d’intérêts, la culture du secret, la collusion et la corruption. »

Les membres du Groupe Mon OSBL ont riposté à chaque tentative d’assimilation par des actions mettant notamment en lumière la fausseté des prémisses utilisées. Contrairement aux lobbyistes ayant des motivations lucratives, les OSBL n’ont jamais été au cœur de scandales justifiant leur inclusion en bloc. N’ayant jamais eu besoin d’une loi pour agir dans la transparence, les assujettir à la Loi n’apporterait d’ailleurs aucun gain au niveau de la transparence.

« Parmi les 60,000 OSBL se retrouvent bon nombre de groupes et de regroupements d’action communautaire autonome, précise Odile Boisclair, présidente de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles. La transformation sociale et la participation citoyenne sont non seulement centrales à leurs actions, mais font partie des raisons pour lesquelles l’État les soutient et doit protéger leur indépendance, qu’ils offrent ou non des services. Considérer comme des lobbyistes les personnes qui tiennent ces organisations à bout de bras mettrait fin à la participation citoyenne qui leur permet d’agir pour le bien des communautés, ce qui mettrait en péril leur reconnaissance par l’État. »

Depuis l’adoption de la Loi, en 2002, les OSBL ont dû se défendre contre l’acharnement du Commissaire et du gouvernement à vouloir les assimiler à des lobbyistes. Régulièrement des OSBL rapportent que des titulaires de charges publiques leur demandent de s'inscrire au registre alors qu'ils ne sont pas assujettis à la Loi. De telles interventions peuvent mener un organisme à retirer sa demande de rencontre avec un membre de l’Assemblée nationale, ce qui donne un aperçu des conséquences qu’aurait l’assimilation de tous les OSBL à la Loi. C’est pourquoi l’une des prochaines actions du Groupe Mon OSBL n’est pas un lobby sera de documenter ces dérapages et de les dénoncer, car appliquer la Loi pour autre chose que son objet est illégal.

« Assujettir les OSBL à la Loi sur le lobbyisme porterait atteinte à la capacité de surveillance, de protection et de promotion des droits et de la démocratie que jouent de nombreux OSBL, notamment pour faire contrepoids aux efforts de lobby et de relations publiques disproportionnellement mieux financés des corporations. L’imposition de nouvelles règles et obligations aux OSBL compromettrait sérieusement leur droit d’association, leur droit à l’information, leur liberté d’expression et leur participation citoyenne et politique, poursuit Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

C’est justement parce que les OSBL sont les chiens de garde de la participation citoyenne à la démocratie et de la transparence qu’il s’agirait d’un grave détournement du sens de la Loi, car elle deviendrait un instrument d’atteintes et de limitations des droits. Il y a un an, la ministre LeBel avait assuré Groupe Mon OSBL n’est pas un lobby qu’elle n’avait pas l’intention d’appliquer les propositions du Commissaire. « Nous souhaitons qu’elle maintienne cette vision, mais lui réitérons la demande formulée alors, soit qu’elle fasse clairement savoir à la population, aux OSBL, aux titulaires de charges publiques et aux lobbyistes, que la Loi n’a pas été modifiée et qu’elle ne s’applique pas à tous les OSBL » conclut Odile Boisclair.