Pour construire des ponts, et non des barricades, apprenez des Cris du Québec

2020/02/28 | Par Abel Bosum

Abel Bosum est le grand chef des Cris du Nord du Québec et président du gouvernement régional Eeyou Istchee Baie James.

Si vous avez regardé les nouvelles pendant les dernières semaines, vous pourriez avoir l’impression que les droits autochtones et la soif de ressources naturelles de la société non-autochtone sont inconciliables, et que les Canadiens autochtones et non-autochtones sont incapables de s’écouter les uns les autres. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi.

La seule façon de démanteler les barricades est un dialogue véritable. Partout au Canada, lorsque nous entendons qu’une barricade est levée, plusieurs autres apparaissent. Le Premier ministre fédéral appelle au dialogue et à la patience, puis s’en remet aux premiers ministres provinciaux. La situation est confuse pour toute personne qui cherche une solution.

Pour la nation crie d’Eeyou Istchee, cette situation rappelle 2002—qui était le point culminant de décennies d’un conflit amer avec le Québec. C’était un conflit défini par une menace, malheureusement beaucoup trop répandue, du développement massif des ressources naturelles sur le mode de vie traditionnel fondé sur la chasse, la pêche et la trappe.

Nous avons été obligés de nous tourner à de maintes reprises vers les tribunaux et les organisations internationales pour défendre nos droits. Le conflit est devenu si intense que nos relations avec le Québec se sont brisées complètement.

 

La Paix des Braves

Alors qu’aucune solution n’était en vue, le premier ministre du Québec à ce moment, Bernard Landry, et notre grand chef Ted Moses ont décidé de se parler et de s’écouter comme des égaux. Le résultat de ces discussions a été l’entente connue sous le nom de Paix des Braves. Ce fut un point tournant dans les relations Cris-Québec fondé sur le respect mutuel, qui a établi un partenariat de nation à nation entre les Cris et le Québec pour la gouvernance et le développement de notre territoire traditionnel, Eeyou Istchee.

 

La solution

Deux chefs qui ont le courage de s’écouter peuvent créer une occasion, mais pour que le changement soit réel et durable, ce courage doit se rendre aux premières lignes. Avec de nouvelles barricades qui semblent se mettre en place toutes les heures et des chefs qui sont incapables d’inspirer la réconciliation, la solution ne peut venir que des personnes qui se font face au-dessus des barricades et des tables de négociation.

En 2003, le regretté Tommy Neeposh, un chef de famille de 90 ans et un maître chasseur de la communauté crie de Mistassini, sans éducation occidentale formelle, a été consulté au sujet d’un projet hydroélectrique majeur qui allait bouleverser des centaines de kilomètres carrés de son territoire de chasse traditionnel.  Lui et ses confrères chasseurs cris étaient assis devant une armée d’ingénieurs et ils ont eu l‘audace de suggérer la construction d’un tunnel de transfert de deux kilomètres qui réduirait l’impact environnemental du projet. Chose surprenante, les ingénieurs ont écouté Tommy, compris l’intelligence de sa recommandation et le tunnel de transfert a été construit.

Quatre ans plus tard, Sanders Weistche, un autre maître chasseur, de Waskaganish cette fois, était responsable de la protection d’un site sacré de pêche communautaire qui a nourri notre peuple pendant des milliers d’années. Il a redessiné le lit et le rivage de ce site vital afin de le sauver, alors que les hydrologistes, les biologistes et les ingénieurs étaient incapables de trouver le moyen de rassurer la communauté. Ils ont écouté Sanders et se sont mis de côté en lui donnant accès à la machinerie dont il avait besoin pour sauver le site sacré. Tommy et Sanders furent des exemples pour nous tous. Meegwetch (merci).

 

Les Cris, une nation de décideurs

Aujourd’hui, le Québec et le Canada continuent de bénéficier de cette responsabilisation parce qu’elle a profondément enraciné dans notre peuple la conviction que nous avons le pouvoir de participer, d’améliorer, de diriger, d’influencer, de décider.

La nation crie n’est plus reléguée aux lignes de côté comme de simples protestataires ou agitateurs. Nous sommes devenus une nation de décideurs.

Quand j’ai rencontré pour la première fois le premier ministre François Legault en 2019 pour discuter du désir de la nation crie de participer au développement des infrastructures majeures de transport sur notre territoire traditionnel, je n’ai pas été reçu avec un manque de respect méprisant ou même du scepticisme. J’ai plutôt rencontré un chef qui était excité d’explorer ce que nous pourrions faire ensemble.

C’est le courage des membres des communautés cries qui ont partagé leurs connaissances, et des représentants du gouvernement qui les ont écoutés, qui ont permis à M. Legault et moi-même de signer la Grande Alliance, un plan de développement sur 30 ans de nos terres dans le nord du Québec, le 17 février.

Pour trouver le chemin hors de l’obscurité dans laquelle le Canada se trouve, il faudra le courage de policiers afin de trouver des moyens pacifiques de construire des ponts et de permettre aux membres frustrés des Premières Nations de s’exprimer sans nuire aux autres.

Traduction : André Binette