Course au PQ : le programme de Guy Nantel… de 2017

2020/03/10 | Par Pierre Dubuc

En 2017, Guy Nantel publiait, à compte d’auteur, Je me souviens… de rien. Quelques réflexions de tête et de cœur sur un Québec sclérosé (Groupe Entourage). Dans cet ouvrage de 185 pages, l’humoriste, aujourd’hui candidat à la direction du Parti Québécois, y va d’analyses et de propositions intéressantes et parfois controversées. Il sera intéressant de voir lesquelles il conservera dans son programme et lesquelles il élaguera.

Premier bon point, le livre est écrit avec un souci de vulgariser des concepts parfois complexes. Le meilleur chapitre est sans doute celui où il réplique à l’argument selon lequel les Québécois seraient bénéficiaires de leur adhésion au Canada et, plus particulièrement, de la péréquation. Une question d’une actualité brûlante aujourd’hui, alors que le premier ministre Jason Kenney de l’Alberta veut consulter par référendum ses citoyens sur cette question et s’appuyer sur les résultats de ce référendum pour exiger l’ouverture de négociations constitutionnelles.

Au départ, Nantel renverse l’approche en posant la question qui tue : « Selon vous, pourquoi le Canada anglais tient-il mordicus à ce que le Québec intègre la Constitution canadienne? La réponse est claire : le Canadien tient au Québec parce que le Canada profite du Québec, voilà tout ».


La péréquation

Dans un chapitre intitulé « La péréquation ou comment se faire redonner ce qui nous appartient déjà », Nantel revient, en premier lieu, sur le déficit fiscal occasionné par le fait que « le fédéral réclame annuellement des sommes astronomiques en taxes et en impôts alors que les postes budgétaires les plus coûteux relèvent de la responsabilité des provinces ».

Sur la péréquation proprement dite, il rappelle que « tous les Canadiens contribuent au pot » et que « 70% des Canadiens reçoivent de l’argent du fédéral en vertu de ce programme ». Il précise que « des neuf entités qui récoltent de l’argent (six provinces et trois territoires), le Québec est celui qui reçoit le moins d’argent par personne à part l’Ontario ». Ainsi, en 2017-2018, le Québec a reçu « un beau chèque de 11 milliards $ », mais dont « il faut soustraite le 5 milliards $ qui constitue la contribution du Québec ».

La même logique s’applique sur les 73 milliards $ que le fédéral a versés la même année à ses 36,2 millions d’habitants. Les Québécois qui versent plus de 50 milliards annuellement dans les coffres d’Ottawa en taxes et impôts se font « redonner » 22,7 milliards de leur argent. « En recevant 2 700 $ par habitant, la province se classe 5e parmi toutes les provinces canadiennes et 8e sur 13 si l’on inclut les territoires. »

Puis, Nantel passe en revue les transferts fédéraux d’importance. « Qui a financé et subventionné le développement national du pétrole albertain? », demande-t-il. La réponse : « L’industrie pétrolière a reçu 70 milliards du fédéral depuis les années 1970 ». Une donnée qu’il compare à l’hydro-électricité québécoise.

« Rien à voir avec l’exploitation hydroélectrique au Québec pour laquelle la province a reçu combien déjà du Canada pour financer ses infrastructures? Un gros 0 $. On fait tout ça tout seuls, comme des grands, et les barrages tiennent toujours debout. »

Selon Nantel, si l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve « ne reçoivent pas de péréquation, c’est parce qu’elles reçoivent des milliards sous d’autres formes ». Le fédéral, soutient-il, « demeure toujours discret quant aux dizaines de milliards de dollars de subventions, de contrats, de prêts et de programmes de financement dont le Québec est pratiquement exclu de façon systématique. »

Puis, il aligne une série de subventions :

  • Industrie automobile de l’Ontario : subvention de 9,7 milliards entre 2009 et 2011;
  • Industrie pétrolière de l’Ouest : 70 milliards depuis 1970.
  • Industrie de l’hydro-électricité de Terre-Neuve : garantie de prêt de 2,9 milliards pour concurrencer directement le marché d’Hydro-Québec aux États-Unis.
  • Industrie navale de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique (35 milliards de contrats étalés sur 25 ans pour créer 15 000 emplois.

Il conclut : « Savez-vous que sur les 118 milliards consacrés à ces seuls quatre secteurs, au moins 25 milliards proviennent directement de la poche des Québécois », avant d’ajouter : « À côté de ces dizaines de milliards, les 350 millions investis par Ottawa dans le développement de la CSeries en 2005 ressemblent à de la petite monnaie. »

Pour donner une idée du style du livre, citons longuement un passage :

« Et lorsque le programme de la CSeries a eu besoin d’un coup de main en 2015, c’est Québec qui a investi 1,3 milliard pour sauver Bombardier. Du côté d’Ottawa, on a traîné pendant 18 mois pour finalement contribuer à la hauteur de 372 millions, en prêt remboursable évidemment. Mais la cerise sur le sundae, détail qui est passé quasi inaperçu, c’est que le gouvernement Trudeau a insisté sur une condition fondamentale pour prêter cet argent, soit que les deux tiers de ce prêt servent à financer le développement de l’appareil Global 7000, un avion qui devra être construit… à Toronto. Vous avez bien lu, un prêt fédéral aux Québécois pour créer des emplois en Ontario. Un cas typique du régime colonial canadien à notre endroit. Et le fédéral a eu le culot d’envoyer quatre ministres se pavaner dans la belle province. Étonnamment, à peu près personne ne s’est indigné devant une telle fourberie. Ces gens se moquent de nous et nous ne nous en apercevons pas. Pire, nous pensons qu’ils sont généreux envers nous! »


La voie maritime

Guy Nantel s’étonne que les indépendantistes n’accordent pas plus d’importance à la voie maritime du Saint-Laurent. D’abord, parce que le déclin industriel de Montréal date de son ouverture en 1959. Et, deuxièmement, parce qu’elle représente un atout majeur dans le jeu politique. « Il existe une raison, une seule, écrit-il, qui rendrait le départ du Québec catastrophique pour le reste du Canada : sa situation géographique ».

« Il est clair, ajoute-t-il, qu’un Québec indépendant aurait mainmise sur la circulation de la voie maritime étant donné que celle-ci se situe principalement à l’intérieur de son territoire. Le Canada sans le Québec devra non seulement payer pour exporter ses céréales albertaines ou ses voitures ontariennes, mais il devra aussi payer d’énormes redevances pour faire passer ses oléoducs sur le territoire québécois. Le canal de Panama, comme le canal de Suez, rapporte annuellement des milliards en droits de passage. »


Les institutions politiques

Après un chapitre sur l’histoire du Québec, soulignant les dates marquantes de son oppression, Nantel développe ses idées sur les institutions politiques.

Bien entendu, il est contre la monarchie, « un concept incongru en démocratie ».  Il précise : « Nous vivons encore dans un système colonial anglais. Nos lois adoptées dans le cadre d’un système issu du droit anglais vieux de plusieurs siècles (la common law), un système dépassé (il ne reste plus qu’une vingtaine de monarques à travers le monde) où le dirigeant est une majesté établie en Angleterre qui coûte à elle seule au moins 15 millions de dollars annuellement seulement aux Québécois. Ça semble peu? Dites vous que c’est 4 millions de plus que le salaire annuel des 125 députés réunis de l’Assemblée nationale et 80 fois le salaire du premier ministre du Québec. »

Nantel propose un ambitieux programme de réformes de nos pratiques et institutions politiques. Ainsi, citons pêle-mêle : la possibilité de destituer un député en cours de mandat; l’abolition des nominations partisanes pour les hauts fonctionnaires et dirigeants de sociétés d’État; de nouvelles limites au financement des partis politiques et à la publicité des partis.

Ajoutons l’interdiction des transfuges; le vote secret en Chambre; le vote par Internet; la création d’une plate-forme citoyenne pour que les citoyens puissent soumettre leurs idées; fonctionnariser les bureaux de comté, à l’image d’un bureau du Protecteur du citoyen; la fin des sondages à la veille des élections.

Mais son projet qui risque de susciter le plus de controverses est sa réforme de l’Assemblée nationale. Il propose « un système où l’Assemblée nationale est constituée de 200 députés : 100 parmi ceux-ci sont élus de la même manière que les députés le sont en ce moment, mais dans un système proportionnel. Par exemple, si un parti obtient 40% des votes, il envoie 50 députés siéger à l’Assemblée; et s’il a 2% du suffrage, il compte 2 députés. »

À ces députés élus avec un mode de scrutin proportionnel pur, « s’ajoutent 100 députés citoyens tirés au sort parmi les citoyens disposés à le faire ». Dans cette nouvelle Assemblée nationale, « les différents postes de ministres pourraient être comblés indépendamment par des élus ou par des citoyens, l’objectif étant de choisir celui ou celle ayant le plus de compétences pour le faire ».

Nantel reconnaît qu’il y a peu de chance que son système voit le jour. Dans ce cas, il prône un scrutin proportionnel.


Anglophones, allophones et autochtones

Guy Nantel reconnaît que « les anglophones constituent la minorité la mieux représentée au monde avec 3 universités, 5 cégeps, 11 commissions scolaires, 18 hôpitaux, des villes parmi les plus riches du Québec, une dizaine de stations de ratio, journaux et de stations de télé ».

Néanmoins, affirme-t-il, « la culture anglophone constitue une assise de notre nation ». Aussi propose-t-il de « mettre fin aux querelles stériles avec les anglophones ». Une façon de le faire serait d’intégrer un symbole anglais sur le drapeau d’une éventuelle république du Québec, ou d’accorder le statut de langue nationale minoritaire pour l’anglais.

Sur la question de l’immigration, il soutient que « l’immigration constitue un enrichissement économique et culturel considérable pour tous les Québécois » et qu’« une culture fermée sur elle-même est inévitablement appelée à disparaître ».

Cependant, après avoir qualifié la Commission Bouchard-Taylor de « mascarade burlesque dont la principale mission était de renforcer notre image d’habitants xénophobes », il énumère des mesures d’« un État laïque pour mieux vivre ensemble ».

Au nombre d’entre elles, il y a l’abandon des exonérations d’impôt et de taxes pour tous les groupes religieux; la suspension du financement des écoles confessionnelles; l’arrêt du financement de la production ou de la diffusion de toute émission religieuse à la télévision d’État; l’interdiction du port des signes religieux pour les fonctionnaires représentant l’État.

Il exigerait des nouveaux arrivants la signature d’un document engageant à respecter certaines valeurs. Et « à ceux qui nous perçoivent comme un peuple génétiquement fasciste », il poserait la question suivante : « Pourquoi immigrez-vous au Québec? »

Un des meilleurs chapitres de son livre est celui dédié aux Autochtones. Après avoir affirmé, l’inviolabilité des frontières d’un Québec indépendant, il proclame la nécessité de « sortir enfin des réserves fédérales » et qu’« il est impératif de trouver un système d’autonomie gouvernementale que les différentes Nations pourraient exercer à l’intérieur d’un Québec souverain ».

« Rien ne nous empêcherait, poursuit-il, de réorganiser les frontières régionales à l’intérieur du pays du Québec et d’offrir aux Autochtones l’occasion de gouverner leurs propres communautés tout en travaillant en partenariat avec le gouvernement national. »


Autres questions litigieuses

D’autres propositions risquent de soulever des polémiques, comme l’institution d’un « ticket modérateur à l’urgence » et, encore plus, un crédit d’impôt équivalent à celui d’un CPE pour le parent qui reste à la maison pour s’occuper d’un enfant en bas âge (1 à 5 ans).

Le fait de qualifier les membres du Front de libération du Québec (FLQ) d’Octobre 70 de « bande de criminels nationalistes » va hérisser tous ceux et celles qui, à bon droit, les considèrent comme des patriotes.


L’indépendance

Guy Nantel est à classer parmi les indépendantistes pressés. Il affirme aujourd’hui vouloir la tenue d’un référendum au cours des deux premières années suivant l’élection d’un gouvernement péquiste qu’il dirigerait. « Les conditions gagnantes, on les fait, on ne les attend pas », écrit-il dans son livre.

C’est dans ce livre qu’on trouve également sa motivation à devenir le chef du Parti Québécois. L’objectif du livre, écrit-il « est de chasser la morosité et le défaitisme ambiants qui minent le moral des Québécois ».

Comment y arriver? Avec « un nouveau type de leaders, de gens qui ont vraiment à cœur le bien commun et qui ne sont pas assoiffés de gloire et de pouvoir ».

« Encore faut-il que nos dirigeants connaissent leur histoire et un brin de géopolitique pour comprendre la véritable nature de leurs devoirs », ajoute-t-il. On peut penser qu’il considère que son livre doit être mis dans la balance pour inciter les électeurs péquistes à lui confier cette tâche.