Réforme du mode de scrutin : Le Globe and Mail se joint à la campagne de Christian Dufour contre la proportionnelle

2020/03/13 | Par Pierre Dubuc

En s’appuyant sur les résultats atypiques du dernier scrutin, Christian Dufour mène campagne tambour battant contre la réforme du mode de scrutin proposée par la CAQ. Il a publié à cet effet Le pouvoir québécois menacé. Non à la proportionnelle ! (Les Éditeurs réunis).

Dans un article précédent, nous avons démoli les principaux arguments du très fédéraliste Dufour et de sa supposée « défense » du « pouvoir québécois » et du statu quo.

  • Mensonge éhonté de la position de René Lévesque – le mode de scrutin « démocratiquement infect » – faussement ramenée à une saute d’humeur conjoncturelle.
  • Consécration de la fracture entre Montréal et les régions par l’exclusion démagogique des « déracinés » montréalais – lire allophones et anglophones – qui seraient le cheval de Troie du multiculturalisme canadian importé de Vancouver et de Toronto et, par voie de conséquence, exclusion du débat politique du million de francophones de souche qui habitent l’île de Montréal.
  • Mépris de toute analyse sérieuse des distorsions du mode de scrutin actuel, particulièrement avec la répartition linguistique de la population, en attribuant le long règne libéral à « l’obsession d’une trop grande partie de nos élites intellectuelles et politiques pour une souveraineté dont les Québécois ne voulaient pas qui avait installé aussi longtemps les libéraux au pouvoir ».

Dans son livre, Dufour invite les élites québécoises à méditer sur « le grand échec contemporain des Québécois » qui n’est pas « de ne pas avoir accédé à l’indépendance », mais d’avoir été incapables de « dépasser les effets structurants destructeurs de la Conquête britannique sur l’identité québécoise de même que sur la relation qu’ils entretiennent avec le reste du Canada », tout en continuant « à profiter des conséquences positives de la Conquête ». Au nombre de ces dernières, il y a, selon lui, au premier chef les institutions politiques britanniques, dont notre mode de scrutin.

Sur la base d’une telle analyse, comment comprendre le ralliement à sa croisade contre le scrutin proportionnel d’indépendantistes tels Mathieu Bock-Côté, Joseph Facal, Louis Cornellier et Denise Bombardier ?!

 

Le Globe and Mail et Dufour : même combat !

L’appui du Globe and Mail (éditorial, 6 mars 2020), le journal de la classe dirigeante canadienne, à la défense du mode de scrutin actuel devrait les faire réfléchir. Le Globe ne cherche pas comme Dufour à faire accroire que « le pouvoir québécois est menacé » avec l’instauration de la proportionnelle. Au contraire.

À partir des simulations, le journal identifie deux conséquences à la réforme proposée par la CAQ.

« Premièrement, l’île de Montréal, où se trouve la majorité des anglophones et des minorités visibles de la province, et qui est un bastion d’électeurs fédéralistes, perdra trois sièges à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas à cause de la proportionnelle, mais d’un fricotage dans la proposition. Ces sièges iront dans les régions où le soutien au nationalisme ethnique de la CAQ est plus fiable.

« La deuxième conséquence est que ce projet pourrait décimer le Parti Libéral du Québec. Étant le seul parti fédéraliste, confronté aux trois autres partis qui penchent dans l’autre direction, il serait peu probable qu’il puisse former à nouveau un gouvernement. »

L’éditorialiste du Globe en tire la conclusion suivante :

« Voilà ce que cela donne. La réforme de M. Legault va diminuer la représentation de la région la plus diversifiée de la province, là où il y a le plus d’électeurs fédéralistes et anglophones, et faire en sorte que le parti qui parle pour ces électeurs soit relégué à un statut permanent négligeable. »

 

Pour une réforme du mode de scrutin

La réforme proposée par le gouvernement Legault est loin d’être parfaite. Mais l’introduction d’éléments de proportionnelle est bienvenue, car elle contribuerait à réduire la fracture entre le Grand Montréal et le reste du Québec.

Cette fracture est en partie sociologique, comme le reflète la clientèle très différente des deux partis indépendantistes, Québec Solidaire et le Parti Québécois, mais elle est principalement ethnique, linguistique et politique. Les francophones représentent maintenant moins de 50 % de la population de l’île de Montréal et leurs votes se répartissent entre les différents partis politiques, alors que les anglophones et les allophones accordent massivement leurs suffrages au Parti Libéral, tant à Ottawa qu’à Québec.

Difficile de prévoir exactement quels seraient les effets sur les comportements électoraux du nouveau mode de scrutin proportionnel proposé. Mais, chose certaine, il donnerait une voix aux francophones du Grand Montréal aujourd’hui perdu dans l’océan libéral. Il forcerait aussi les partis politiques indépendantistes à adapter leurs programmes à ces nouvelles clientèles dorénavant accessibles, régionales pour Québec Solidaire, urbaines pour le Parti Québécois et la CAQ. Enfin, en favorisant les gouvernements de coalition, il obligerait QS et le PQ à rechercher des terrains d’entente afin de reconstituer la Grande Alliance indépendantiste.