Nous finirons tous un jour dans un musée

2020/03/27 | Par Jean-Claude Germain

Nous finirons tous un jour dans un musée d’ethnologie. Nous y sommes déjà en partie. Mes années d’enfance sont celles des années de guerre quarante. Ma première jeunesse revêt la couleur soutane des années cinquante. Avec les années soixante, un long lever de soleil s’installe à demeure. Dans les années soixante-dix, la boule à miroir qui est accrochée dans le ciel se met à virer à une vitesse psychédélique.  

La mise en veille de l’indépendance se métamorphose en veilleuse dans les années 80 et après un déluge, on roule dans les rues de Montréal en fendant les eaux comme les vaporetti de Venise. Pour les années 90, l’été se décline à la mohawk tout en enregistrant la naissance du Bloc québécois. Avec ses années 2000, le XXIe siècle démarre singulièrement en douce sans rien changer à la routine établie en marquant la fin d’un temps avec les funérailles d’État de Maurice Richard. 

La prise de conscience de notre finitude m’est venue dans des circonstances particulières. J’étais invité à prononcer une conférence sur l’histoire du Québec devant un club sélect, composé de directeurs de musée. Il sied habituellement à un conférencier d’établir tout de go un point commun avec son auditoire pour créer un lien privilégié, que je n’avais pas encore vraiment trouvé lorsque j’ai pris la parole.

J’ai donc débuté ma conférence en évoquant le problème. Vous vous demandez sûrement  à quel titre je suis ici aujourd'hui!  Ce à quoi je vous répondrai tout de go que je suis ici au même titre que vous ! Parce que nous avons tous ici présents au moins un point en commun !  Au mieux - je dis bien au mieux - nous nous retrouverons tous un jour ou l'autre dans un musée d'ethnologie ! Peut-être pas en tant qu'objets, mais sûrement en tant que sujets ! D'ailleurs plus je vous regarde, plus je nous trouve d’époque… à l'image de notre époque ! Disons plutôt son fac-similé. 

Bref, tant que nous sommes, soyons à tout le moins dignes d’un centre d’interprétation. C'est donc dans cet esprit, chers compagnons et compagnes de la même salle de musée, que je vous propose mon slogan personnel pour cette journée annuellement consacrée fin mai à la découverte des musées québécois ! Si vous voulez qu'un jour les musées s’intéressent à vous, intéressez-vous aux musées dès aujourd’hui. Assurez-vous que votre place sera réservée pour la postérité en payant d’une visite de votre personne le musée le plus près de chez vous. Dès cette semaine !

Et si vous n'êtes pas satisfait des installations qu'on a prévues pour conserver votre souvenir en vie : Faîtes-le savoir à votre député, à votre ministre, au maire, aux échevins de votre ville. Adressez-vous au Premier ministre, à la Cour suprême, aux Nations Unies ! Le droit à la mémoire se doit d’être, comme l’autodétermination, un droit inaliénable des peuples, des nations, des sociétés distinctes et des individus qui les composent.

Il ne faut surtout pas présumer que les musées sont des endroits uniquement consacrés au passé. Les musées sont des lieux de mémoire qui en conjuguent tous les temps. Raison de plus pour visiter les musées d’art contemporain… n’était-ce que pour vérifier si les images qu’on est à préparer de nous pour l’avenir ne risquent pas de nous surprendre une fois que nous serons trépassés. Croyez-moi, si on ne voit pas à notre souvenir dès maintenant, demain il sera trop tard.

Et ils seront, comme ceux de notre passé, remaniés à la sauce d’aujourd’hui. En fait, c’est le lot des souvenirs d’être trimballés à travers le temps pour justifier l’existence d’un présent. En ce sens les installations dans les musées d’aujourd’hui qui emballent tout pêle-mêle dans de gigantesques ballots hétéroclites qui, comme ces vieux meubles travaillés et parfaits par des artisans se retrouvent aujourd’hui pêle-mêle dans des boutiques d’antiquaires pour meubler les ateliers d’artistes ou des lofts luxueux, nous proposent une vision de l’histoire.

Vous connaissez tous cette phrase grotesque qui veut qu'après plusieurs mois de navigation seul en mer, sans cartes adéquates et surtout sans dictionnaire, un découvreur aborde enfin « là où le main de 1'homme n'avait jamais mis le pied avant ! »  Quand on l'applique aux musées ou aux bibliothèques, cette phrase bancale prend tout son sens parce qu'avant de mettre la main aux tablettes (dans le cas des bibliothèques) ou les yeux aux vitrines (dans le cas des musées) il faut bien avoir mis le pied dans un musée au moins une fois dans sa vie. C'est donc, d'abord et avant tout aux pieds que s'adresse cette journée des Musées qui devrait vous conduire là où votre oeil n'a jamais mis la main !

Prenez le risque ! La maison de la culture de votre quartier n'est pas uniquement un endroit devant lequel on passe ! Prenez le risque d’y entrer par vous-même. N’attendez pas que votre petite nièce vous y invite à un vernissage ou le fils de votre blonde à un concert de musique nouvel âge ! Bien sûr si vous vous attendez à y trouver le portrait du docteur Gachet de Van Gogh vous allez être déçu, mais si vous êtes d'un naturel curieux, vous risquez fort d'être comblé, comme je l'ai été, en parcourant des doigts la liste des Musées du Québec.

D’ailleurs pour nous permettre d’y engager facilement le pied, on laisse la porte ouverte et on ferme le guichet. Le dimanche 29 mai 2020 marquera le 31e anniversaire de la Journée des musées montréalais. L’entrée sera gratuite, ce qui dans plusieurs musées s’étend à l’année à une journée de la semaine.

À Québec, sur les plaines d’Abraham, la Commission des Champs de bataille nationaux a l’habitude de nous inviter à une dégustation du ragoût du soldat. Ledit ragoût était le principal menu du Royal Newfoundland Fencible, créé en 1795, lorsqu'il était en garnison dans les tours Martello ! Il se pourrait même que le patronyme du soldat en costume qui va vous le servir soit celui de l’ancien premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells de triste mémoire.

Toujours à Québec, au Musée de la Civilisation, l’exposition La Tête dans les nuages consacrée à la révolution numérique vous invite à donner tout son sens au doigt que vous posez sur le petit écran de votre téléphone dit intelligent, alors que l’Homme des tavernes de Broue lève son verre de bière à votre santé et que les Pompiers de Québec déroulent des boyaux d’arrosage sur une période de 250 ans de courage.

On ne peut pas éviter d’évoquer le souvenir d'une grande famille princière de mécènes italiens de la Renaissance, moins connue que les Médicis, mais dont l'influence se fait encore sentir auprès des gouvernements qui nous dirigent : les Pedestri de Piedsola. Contrairement aux Médicis qui accordaient tout leur intérêt aux sculptures, aux peintures et aux œuvres des artistes en général, les Pedestri eux n'ont accordé leur support financier qu'à l'érection des socles et des piédestaux La ville de Piedsola en était littéralement couverte. Le fondateur de la dynastie soutenait qu’un socle nu provoquant une horreur du vide, l'artiste et la société se devaient de le combler. En somme, c'est le socle qui appelle la statue.

Il en serait de même des musées. Avec leurs portails à colonnes évoquant celui d’un temple grec, les musées sont une invitation muette qui, une fois à l’intérieur, invite les visiteurs à se recueillir devant les œuvres comme des pèlerins en suivant un périple culturel qui les mène de salle en salle comme les stations d’un chemin de croix dans une église.

La culture est associée à une richesse un peu partout sur le territoire du Québec, aussi l’on choisit souvent la demeure patrimoniale d’un grand bourgeois pour y installer un musée ou un centre d’interprétation. Lorsque la maison patrimoniale de John Le Boutillier, commerçant infatigable, se transforme à Gaspé en un centre d’interprétation pour célébrer les mérites d’un self-made-man d’origine jersiaise qui, avec ses associés, les Robin, ont exploité sans vergogne les pécheurs gaspésiens, on peut se poser une question : le patrimoine de qui ?

À Montréal, on ne manque surtout pas de façades de maisons cossues victoriennes pour abriter des musées. Sauf que pour accueillir un musée citoyen consacré à l’histoire industrielle et ouvrière de Montréal, il convenait tout à fait de loger « L’écomusée du fier monde » dans l’ancien bain public Généreux. Ça fait surgir un double souvenir : celui de l’architecture des années 1920 et la remémoration que ces bains publics montréalais existaient parce qu’il n’y avait souvent qu’un lavabo et pas de baignoire dans les logis des quartiers populaires.

Pour les amateurs d’installations, le Centre d’exposition des patriotes est le nec plus ultra. Il est situé dans le décor de l’ancienne prison de Montréal au Pied-du-Courant. Conçue pour incarcérer 150 détenus, ils se sont retrouvés plus de 300 sous les verrous en 1837 et 1838. Les cellules avaient été conçues pour l’occupation d’un seul prisonnier.

Il suffit de laisser courir son imagination et de s’y retrouver avec cinq ou six autres compagnons d’infortune en plein hiver avec un chauffage déficient. Pour survivre au froid, souffle le guide dans ses mains, les prisonniers devaient se coucher l’un par-dessus l’autre. Pour l’éclairage, la lumière variait selon la dimension de la fenêtre de la cellule : chiche au premier et toujours incertaine au quatrième.

Est-ce que Louis-Joseph Papineau y a été incarcéré ? Bonne question. Non ! Les autorités militaires anglaises ont attendu d’être assurées par leurs délateurs que le chef du parti patriote avait effectivement quitté le sol au bout de l’île de Montréal avant de lancer la rafle contre ses partisans. Avec Papineau en prison, elle craignait un soulèvement populaire. On peut se laisser aller à rêver ! En passant, vous avez le bonjour égyptien de quatre momies, Hawara, Irthorrou, Nestaoudjat et Tamout qui sont de passage au Musée des Beaux arts de Montréal.