« Négocier » en temps de crise?

2020/03/30 | Par Alain Dion

L’auteur est responsable de la coordination et des pratiques syndicales
Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski

Le gouvernement Legault a décidé d’imposer une négociation accélérée afin de renouveler les conventions collectives du secteur public pour trois ans. Profitant de la crise actuelle pour mettre de la pression sur les organisations syndicales, le premier ministre du Québec a du même souffle exigé de régler le tout avant le 29 mars prochain. Nous ne pouvons que dénoncer cette façon de faire du gouvernement, qui profite de circonstances malheureuses pour détourner le processus démocratique et légitime des négociations du secteur public. Malheureusement, il faut le dire, les grandes centrales syndicales (CSN, FTQ et CSQ) et certaines organisations syndicales indépendantes (FIQ et APTS) se sont empressées d’emboîter le pas et de se présenter à ces tables de négociation.  

Selon le Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski (SEECR), le moment aurait plutôt dû être consacré à une trêve, à une pause, et le gouvernement aurait dû procéder à un report des négociations. Comment en effet mener des négociations quand tout le Québec est paralysé? Quand tout le quotidien doit être réorganisé? Quand les gens sont inquiets pour leur santé, pour leur emploi, pour leurs proches?

Lors du conseil général de négociation (CGN) de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) tenu les 24 et 25 mars derniers, plusieurs déléguées et délégués syndicaux ont vainement tenté de mettre en lumière l’odieux de la situation, dénonçant cet empressement à régler des négociations en période de crise et d’incertitude mondiale. Nous avons appelé à la solidarité, à la dignité, à l’empathie face à ce que vivent nos concitoyennes et nos concitoyens. Nous avons demandé de faire une pause, de reporter la négociation une fois la crise terminée, soulignant entre autres qu’il était plutôt indigne de négocier présentement des augmentations de salaire quand un grand nombre de Québécoises et de Québécois perdent leur emploi, que plusieurs se retrouvent dans une situation très précaire.


Des mois de consultation ignorés

Les syndicats ont consacré plus d’une année et demi à se concerter et à consulter leurs membres, qui ont dit qu’elles et ils sont à bout de souffle, que la tâche est trop lourde et que la précarité est difficile à vivre. Comment accepter que les revendications légitimes des enseignantes et des enseignants de cégep, comme celles portées par les divers corps d’emploi du secteur public, soient ainsi balayées du revers de la main? Pourquoi ignorer tout ce travail de concertation en négociant à la hâte? Et surtout, pourquoi se lancer en négociation à un moment où on ne peut pas consulter les membres de nos organisations syndicales? Malheureusement, la CSQ et l’ensemble des organisations syndicales nationales ont choisi d’aller négocier avec le gouvernement les mains liées, laissant en plan les principales demandes de leurs membres, sans même leur permettre de s’exprimer à ce sujet. Le SEECR a d’ailleurs exprimé sa dissidence à la suite de la décision de la CSQ.

Le cœur des échanges qui auront lieu au cours des prochains jours entre le gouvernement et les organisations syndicales reposera essentiellement sur les questions salariales. Il n’y aura que très peu d’espace pour la négociation de nos conditions de travail, outre la négociation de certains « enjeux prioritaires » que l’on devrait régler en quelques semaines, sans mobilisation et sans rapport de force. Véritable souricière tendue par le gouvernement, cette négociation se déroulera donc sans nous, sans les voix des quelque 550 000 employées et employés de l’État. Nous ne pouvons que décrier cette manœuvre indécente du gouvernement. Mais les organisations syndicales sont aussi à blâmer : en acceptant de négocier dans ces conditions, elles mettent également à mal les processus décisionnels de notre vie démocratique et elles fragilisent les droits fondamentaux de leurs membres. Nous aurons à tirer un bilan de tout ça au moment jugé opportun.