Têtes blanches et toujours carré rouge

2020/04/17 | Par Collectif

Par Guy Demers, Lesley Lee et Gérard Talbot

Lettre à monsieur François Legault, Premier Ministre du Québec 

Cher monsieur Legault,

nous vous avons vu dire à la télévision vendredi dernier, le sourire en coin, que les personnes de 70 ans et plus au Québec devront rester confiner sans sortir pour un bout de temps, quand le pic de la pandémie aura passé en mai prochain, pendant que les enfants retourneront à l'école et que la population active retournera au travail. Est-ce que la seule chose qui nous restera sera le droit de sortir que si on est malade ou mort ? 

Ce confinement est loin d'être nécessaire et cela contrevient sérieusement à leurs droits, à leur dignité et aux rôles qu'elles peuvent toujours jouer dans la société, tant qu'elles sont autonomes et en santé, ne portant pas le virus maléfique.

Comme on l'a entendu dire à Radio Canada le 8 avril dernier, par un médecin pneumologue, le docteur Christian Allard du Saguenay : « On a mis des consignes publiques, on a fermé plein de choses, on a dit il y a des règles de distanciation sociale, il n'y a plus d'attroupements, mais si elles sont respectées ces règles-là, pourquoi en plus imposer un isolement complet à des personnes âgées qui en général n'ont plus rien que ça à faire de se promener dehors ? S'ils ne sont pas capables, s'ils n'ont pas le goût c'est correct. Personne ne va les forcer. Mais si c'est la seule façon de s'évader un peu, de sortir et de se garder en santé... pourquoi les en empêcher ? » 

Respecter les consignes de distanciation sociale et se laver les mains, les personnes de 70 ans et plus sont capables de le faire, très souvent mieux que quiconque. Les consigner dans leur logement, quand tout le monde retournera à la vie normale, n'ajoutera rien à la protection de la santé publique. De plus ce renfermement, qui se traduira par l'isolement, la solitude et le manque d'exercice physique, risquera sérieusement d'aggraver leur santé mentale et physique, en même temps que de priver leurs familles, leurs communautés, le Québec tout entier et le monde de forces de penser et d'agir indispensables et remarquables. 

Revenons sur terre, monsieur Legault, et regardons nos aînés, comme vous dites, avec franchise, considération et respect. Ce ne sont pas eux les enfants. 

Il est dit que les personnes plus âgées sont plus à risque en cas de pandémie. Cela est certes vrai quand elles sont parquées dans des pensionnats, manquant de personnel et de conditions de vie et de service médical adéquates, comme ce peut être le cas dans plusieurs CHSLD du Québec et d'institutions semblables dans d'autres pays.

Cela peut être encore vrai dans les super-marchés et les banques alimentaires où il faut se tasser comme des sardines pour trouver ce dont on a besoin et passer à la caisse. Mais cela ne met personne en danger lorsqu'on va marcher dans un parc, regarder les enfants jouer et les amants se promener la main dans la main. Encore le vélo, si c'est possible, beaucoup de personnes peuvent le faire, passé 80 ans. Cela ne répand pas la maladie quand on sait respecter l'autre. 

On laisse à penser souvent que les vieux coûtent cher à la société, et encore plus en ce temps où ils apparaissent souvent comme la menace autant que les victimes. Déjà, on veut repousser l'âge de la retraite, jusqu'à 70 ans bientôt, les régimes publics de petite pension coûtent trop cher à la société, oubliant de prendre en compte tous les services, bénévoles et autres, que la majorité des gens ont apporté toute leur vie dans leur milieu, et qu'ils continuent de pouvoir offrir une fois à la retraite.

Que dire encore, en ce temps de pandémie, de la menace d'une occupation sans bon sang des lits d'hôpitaux par cette population plus à risque que d'autres, quand on n'a pas su, bien entendu, prévoir ce qu'il faut d'équipement médical ni de milieu de vie adéquat pour prévenir le transport du virus et le nombre de morts, quand cela allait arriver. Des enquêtes sur la santé publique au Canada et ailleurs dans le monde, nous avaient bien avertis de tout cela. Encore aujourd'hui, le philanthrope américain et fondateur de Microsoft, Bill Gates, nous le rappelle… 

Le docteur Allard du Saguenay nous dit encore : « On a eu des cas de patients de 99 ans qui ont survécu. J'ai plein de patients qui ont des maladies pulmonaires obstructives chroniques qui me demandent s'ils passeraient à travers, mais il y a des gens qui sont passés au travers. On ne peut pas en juger. Le risque est plus grand. On sait que dans l'âge de mon père, 89 ans, c'est 14 % de décès à peu près. Je ne souhaite pas que mon père meure, mais je n'aimerais pas qu'il soit enfermé comme un prisonnier parce que présentement les criminels en prison ont plus de droits. Ils peuvent sortir tous les jours. » 

Retraités ou non, les personnes de 70 ans et plus sont partout et même sur-représentées dans les mouvements environnementaux et pour la justice sociale, les arts, la culture, le bénévolat, tant au niveau local, national qu’international. Même avec peu de moyens, elles s’occupent de leur santé physique et mentale et de celle de tous ceux qui les entourent, dans les cours de yoga, de culture physique, de natation.... Elles se promènent en vélo et à pied. Elles s’occupent du bien-être des enfants et petits-enfants. Elles n'arrêtent pas d'être actives dans les associations, sur la place publique, y compris dans les partis politiques et les fonctions les plus hautes de la société. Sur le plan économique, éducatif, culturel, leur contribution est remarquable, depuis le temps consacré aux petits enfants lors des journées pédagogiques, le bénévolat à l'hôpital, dans les banques alimentaires et jusqu'à l'orchestre symphonique. 

Tout ce qui doit arriver dans la société suite au Corona Virus les concerne et ils sont impatients de reprendre leurs activités et d'en développer de nouvelles, dans un véritable esprit inter- générationnel, pour un monde en santé, tant physique que sociale, en parfaite harmonie avec la nature. 

En vous remerciant d'avoir apporté toute votre considération à cette lettre, nous souhaitons que les têtes blanches soient considérées comme des citoyens à part entière et des parties prenantes, chaque fois que vient le temps d'étudier, de formuler et de décréter des politiques et des programmes les concernant, par le moyen, par exemple, de mécanismes de consultation les plus souples possible et efficaces, autant en temps de paix qu'en temps de crise, comme présentement.