Le cul-de-sac pétrolier du Canada

2020/04/20 | Par André Bélisle

L’auteur est président de l’AQLPA

Vendredi dernier, soit le 17 avril, le gouvernement du Canada a alloué une somme de 1,7 milliard de dollars pour démarrer la décontamination des sites pétroliers, mais aussi, sachons-le, pour soutenir le secteur pétrolier en détresse financière depuis 10 ans, détresse devenue crise aiguë, voire fatale, avec la pandémie causée par le Coronavirus.

 

Du travail pour 2830 ans

Pour relativiser les choses il faut savoir qu’il y a quelques 343 000 puits de pétrole et gaz en Alberta seulement, dont près de 150 000 qui sont inactifs et 100 000 puits laissés à l’abandon ou oubliés. Tous ces puits constituent autant de sources de pollution de l’air, de l’atmosphère, de l’eau et des sols, un incommensurable héritage empoisonné.

Dans un rapport rendu public en 2019, Rob Wadsworth[i], responsable du dossier à l’Agence albertaine de réglementation de l’énergie, déclarait qu’il en coûterait 260 milliards $ pour l’ensemble de la décontamination et 130 milliards $ strictement pour les sites de pétrole bitumineux. Selon monsieur Wadsworth, au rythme habituel des pétrolières cela prendrait 2830 ans pour nettoyer les dégâts pétroliers et gaziers actuels en Alberta !!!

Pas étonnant que celui-ci réclamait une réglementation bien plus sérieuse de la part du gouvernement de l’Alberta et du Canada pour limiter les dégâts futurs, assurer que les compagnies œuvrant présentement soient tenues responsables de la décontamination de leurs installations et qu’elles ne puissent fermer les livres et faire faillite en laissant aux contribuables le fardeau de la réhabilitation des sites spoliés, comme c’est le cas actuellement pour 100 000 puits. On se souviendra de la déréglementation sauvage introduite par les gouvernements conservateurs de Stephen Harper au Canada entre 2006 -2015 et de Ed Stelmach, Alison Redford et Jason Kenney en Alberta entre 2006 -2020.

Depuis toujours, et plus encore depuis 2012, l’industrie pétrolière vit de subventions. Sa survie est loin d’être assurée, car les prix obtenus pour le pétrole de l’Ouest sont passés de 100 $ à 3 $ le baril entre 2010 et 2020.

Dopés par des prix extraordinaires de 70 $ à 100 $ le baril dans les années 1990-2010 les pétrolières et les gouvernements de l’Alberta et du Canada ont englouti des sommes faramineuses en Alberta pour quadrupler la production passant de 1,5 million à 5,8 millions de barils par jour. Même les 12 milliards $ accumulés jusqu’en 1995 dans le Heritage Fund de l’Alberta qui devaient servir à la réhabilitation des sites pétroliers et gaziers ont été dilapidés pour accélérer davantage l’augmentation de la production.


La tempête parfaite

Dans le tumulte de la crise du Coronavirus, qui impose un confinement général des gens à la maison, le Canada vit un grave ralentissement économique. Le confinement entraîne une réduction importante de la consommation de produits pétroliers. À cela, ajoutons la guerre des prix entre l’Arabie Saoudite et la Russie, deux des principaux producteurs de pétrole au monde, guerre qui a fait tomber les prix mondiaux à des niveaux records. Nous avons ici la tempête parfaite pour les pétrolières canadiennes, dont les coûts de production minimums de 60$ sont parmi les plus élevés au monde. Pas besoin d’être économiste pour comprendre cette réalité implacable.


Le fond du baril

Qu’à cela ne tienne, rendues au fond du baril, les pétrolières exigent du Canada un sauvetage financier de 30 milliards $ et une déréglementation encore plus prononcée. Comme des accros refusant de reconnaître leurs irresponsabilités historiques, tant du point de vue environnemental et climatique qu’économique, les pétrolières et le gouvernement de l’Alberta ont uni leurs efforts face au gouvernement du Canada pour tenter d’arnaquer encore davantage les contribuables canadiens sous prétexte que leurs problèmes sont devenus intenables avec la crise du Coronavirus. Quel opportunisme malhonnête.

Il aura fallu des représentations sans précédent des citoyennes et citoyens, des groupes environnementaux du Canada ainsi que des partis politiques comme le Bloc Québécois, le Nouveau Parti Démocratique et le Parti Vert pour empêcher Justin Trudeau et son gouvernement de consentir à un sauvetage financier de 15 et 30 milliards $... envisagé par son gouvernement, ouf !!!

Mais il reste quand même que les contribuables canadiens sont devenus des investisseurs forcés par Ottawa dans la décontamination des sites de l’Alberta. Ainsi nous contribuons un montant de 1,7 milliard $ sur un total évalué à 260 milliards $... soit 1,7/260, une goutte d’eau dans l’océan. Que nous réserve l’avenir ?

Est-ce que cet investissement est un encouragement aux pétrolières pour le début de la décontamination à leurs frais, ce qui serait normal, ou serait-ce la suite de l’arnaque pour les contribuables qui se verraient devenus responsables de décontaminer les souillures pétrolières de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, de Terre-Neuve et Labrador ?

Mettons dans la balance qu’au Québec jamais le Canada n’a investi dans la production d’énergie propre et sobre en carbone comme l’hydroélectricité d’Hydro-Québec et que nous sommes maintenant forcés à assumer 25 % de la facture de 1,7 milliard pour débuter la réhabilitation des sites pétroliers et gaziers et que 25 % de 260 milliards $ donne 65 milliards $.

Ces chiffres ne tiennent même pas compte des dommages liés à la crise climatique, au désastreux bilan des gaz à effet de serre de l’Alberta, de loin le plus lourd au Canada. On voudrait nous forcer à continuer d’investir dans la production de combustibles fossiles, malgré la crise climatique, l’empoisonnement de l’air, du climat, de l’eau, des sols et malgré le cul-de-sac économique pour le secteur des combustibles fossiles… pour continuer le carnage ?

C’est le temps de dire NON aux énergies redoutables et OUI aux énergies renouvelables, nous n’en serons que mieux servis…