Trump et le complot contre l’Amérique

2020/04/20 | Par Pierre Dubuc

"Libérez le Minnesota!», «Libérez le Michigan!», «Libérez la Virginie!», a tweeté le président Donald Trump, alors que des militants parfois armés s'apprêtaient à défier samedi les autorités de ces États démocrates en se rassemblant dans la rue. «Et sauvez votre formidable deuxième amendement. Il est assiégé!», a-t-il ajouté, en référence au droit des Américains à porter des armes. 

Certains pourraient être tentés de minimiser l’événement, étant donné la faible mobilisation. Mais l’appel était illégal et anticonstitutionnel, en vertu de la Constitution de ces États et de celle des États-Unis, et certains participants étaient armés.

Imaginons maintenant un tel appel à l’insurrection au mois de novembre prochain, advenant une défaite serrée de Trump qui ne reconnaîtrait pas la victoire démocrate. Nous serions devant le risque d’une guerre civile, avec la possibilité d’un coup d’État fasciste.

 

Le complot contre l’Amérique

Ces événements se déroulent alors qu’on présente sur Super Écran la série « Le complot contre l’Amérique », basée sur le roman du même nom de Philip Roth. Le roman uchronique (c’est-à-dire une reconstruction historique fictive à partir d’un fait historique qui aurait eu des conséquences différentes si les circonstances avaient été différentes) raconte ce qui se serait passé si, en 1941, l’aviateur Charles Lindberg, sympathisant de l’Allemagne nazie et membre du comité America First (tiens, tiens !), avait battu F. D. Roosevelt, au terme d’une campagne électorale teintée d’antisémitisme et axée sur le refus de l’Amérique de prendre part au conflit en Europe. Une fois au pouvoir, Lindbergh aurait conclu un pacte de non-agression avec Hitler.

Bien entendu, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Mais Roosevelt craignait, non pas l’élection de Lindbergh, mais un coup d’État militaire par nul autre que le général Douglas MacArthur ! Revoyons le contexte.

La conversion de l’administration américaine aux politiques du New Deal était le résultat d’un nouveau rapport de forces entre les classes sociales des États-Unis, avec l’augmentation de la syndicalisation et de la combativité de la classe ouvrière américaine. À cela, il faut ajouter le contexte international et le spectre de la révolution. En 1932, soit douze ans à peine après la Révolution d’Octobre, le président Herbert Hoover faisait intervenir l’infanterie, la cavalerie et les blindés, sous les ordres des généraux MacArthur, Patton et Eisenhower, contre les milliers de vétérans de la Première Guerre mondiale qui campaient à Washington pour revendiquer le bonus traditionnel versé aux soldats des États-Unis pour avoir servi sous les drapeaux.

Dans sa biographie de Franklin D. Roosevelt (FDR, Random House, 2007), l’historien Jean Edward Smith raconte que Hoover craignait une répétition de la prise du Palais d’Hiver en Russie. Quand les G.I. revinrent camper à Washington après l’élection de Roosevelt, celui-ci adopta une tout autre attitude. Il fit installer des toilettes, envoya son épouse Eleanor servir du café et des sandwiches aux vétérans et parvint à une entente avec leurs représentants qui eut pour résultat de désamorcer la crise. Puis, le Congrès adopta, dans le cadre du New Deal, le G.I. Bill of Rights.

L’historien J.E. Smith rapporte les réflexions de Roosevelt à propos de ces événements. Après avoir qualifié Huey Long, le très populiste et démagogue gouverneur de la Louisiane de deuxième homme le plus dangereux du pays, FDR expliquait son choix à un de ses collaborateurs, qui s’étonnait de cette deuxième place plutôt que de la première. «Huey est seulement le deuxième, déclare Roosevelt. Le premier est Douglas MacArthur. Vous avez vu comment il se pavanait en descendant Pennsylvania Avenue. Vous avez vu sa photo dans le Times, alors que ses troupes chassaient tous ces vétérans avec des gaz lacrymogènes et incendiaient leurs abris. Avez-vous déjà vu quelqu’un de plus autosuffisant? Il y a là un Mussolini potentiel. Juste ici, chez nous.»

Si Hoover craignait une réédition de la Révolution d’Octobre, Roosevelt appréhendait un coup d’État fasciste ! Roosevelt avait peut-être une meilleure connaissance et une plus grande compréhension de l’histoire de la Russie et du rapport entre les différentes forces sociales aux États-Unis.

Entre la Révolution démocratique de Février 1917 et la Révolution socialiste d’Octobre de la même année, le peuple russe s’était mobilisé au mois de juillet pour contrer un coup d’État militaire mené par le général Kornilov contre le gouvernement Kerensky. Aux États-Unis même, sous la présidence de Roosevelt, les forces d’extrême droite étaient très puissantes et le fascisme avait de nombreux alliés.

Donnons simplement l’exemple de Joseph Kennedy, le père de John, Robert et Ted, qui fut l’artisan de la non-intervention des États-Unis dans la guerre d’Espagne. Nommé ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, il soutenait une politique isolationniste de la part des États-Unis et appuyait la politique d’apaisement avec Hitler du premier ministre britannique Neville Chamberlain. Il sympathisait avec le mouvement America First, proallemand, dirigé par Charles Lindbergh et autres qui ne souhaitaient pas de guerre contre Hitler.

Joe Kennedy démissionna de son poste en 1940, étant opposé à la décision de Roosevelt d’engager le pays dans la Seconde Guerre mondiale. Rappelons qu’il a fallu l’attaque japonaise sur Pearl Harbor pour que les États-Unis sortent de leur isolationnisme ; des historiens soutiennent que Roosevelt avait été informé de l’imminence de l’attaque japonaise et il l’a laissée se produire parce qu’il avait besoin de cet électrochoc pour faire entrer les États-Unis en guerre.

L’importance de l’influence fasciste aux États-Unis à cette époque est bien rendue dans le roman Complot contre l’Amérique de Philip Roth, basé sur l’hypothèse de l’élection à la présidence de Charles Lindbergh – qui aurait reçu l’investiture républicaine – contre Roosevelt.

L’historien J. E. Smith écrit qu’à la conférence de Téhéran, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Churchill a porté un toast à Roosevelt en saluant le fait qu’il avait empêché la révolution aux États-Unis ! Sans doute voulait-il par ce toast narguer Staline. Mais Staline aurait pu lui aussi lever son verre en hommage à Roosevelt pour avoir réussi à contrer un coup d’État fasciste aux États-Unis par Douglas MacArthur ou un de ses semblables.

Et le toast de Staline aurait été plus crédible que celui de Churchill, parce que, malgré la vigueur du mouvement ouvrier et populaire, le Parti communiste américain n’a jamais été à cette époque dans une situation où il aurait pu prendre le pouvoir. Par contre, MacArthur, les militaires et leurs appuis au sein de la classe dirigeante, l’étaient. La mobilisation autour du New Deal a sans doute servi davantage à bloquer un coup d’État de droite qu’une révolution de gauche. Elle a donc permis l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés des Alliés et la défaite du fascisme à l’échelle internationale.

 

Novembre 2020

La question qu’on peut maintenant se poser est : est-ce qu’il y a un ou des Douglas MacArthur aujourd’hui au sein des forces armées américaines, qui seraient prêts à intervenir aux côtés des milices armées répondant à un appel de Trump contestant une défaite électorale au mois de novembre prochain et appelant à l’insurrection avec un tweet « Libérez l’Amérique ! »?