De la peste et du soleil

2020/04/21 | Par Jean-Claude Germain

Au moment même où nous sommes plongés dans une pandémie de la maladie à coronavirus (covid-19), il fait un soleil éblouissant d’une luminosité primesautière. La question printanière qui se pose alors est la suivante : est-ce qu’il faisait également plein soleil au moment des grandes pandémies des diverses pestes qui ont dépeuplé l’Europe, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle ?

Il y a 300 ans, en 1720, malgré toutes les mesures de sécurité appliquées obligatoirement lors de l’arrivée des navires au port de Marseille, la peste n’en fera pas moins perdre 40 000 habitants à la ville, plus de la moitié de sa population.

Si on devait en tirer un film aujourd’hui, la première réaction d’un directeur photo serait d’établir tout de go sa gamme de couleurs : un ciel gris, bas et couvert, lourd et nuageux, bref tourmenté.

En l’accordant ainsi aux climats affectifs et émotionnels de ses protagonistes humains, la dramaturgie cinématographique nous a menés à accréditer en pratique la thèse que l’état du climat atmosphérique puisse être la projection de nos propres désarrois. Quelle présomption ! 

Rien n’est plus faux ! Notre système solaire se contrecrisse complètement de notre présence sur terre ! C’est son intolérable silence sidéral qui a poussé toutes les civilisations à le peupler de figures mythiques, de dieux et de déesses tutélaires pour se créer des interlocuteurs et des interlocutrices à leur propre image dans le ciel.

Dans cette perspective univoque, l’astronomie mène directement à l’astrologie qui permet aux astres de quitter leur vide sidéral pour intervenir dans la vie de tout un chacun. Même avant l’invention des écritures, notre destin aurait déjà été écrit dans le ciel où il y avait assez d’espace pour des centaines, voire des milliers de civilisations.

Nos ancêtres les Grecs et les Romains y avaient réservé une concession pour y loger à perpétuité les dieux et déesses de leur Olympe respectif : Zeus et Jupiter pour gérer la foudre ; Poséidon et Neptune pour veiller sur la Mer et les Océans ; Dionysos et Bacchus pour la Fête, le Vin et le Théâtre ; Déméter et Cérès pour les Terres et les Moissons ; Athéna et Minerve pour la Sagesse ; Apollon pour la Vérité, le Soleil, les Arts, la Lumière et la Musique ; Hermès et Mercure pour les Voyages, le Commerce et les Voleurs ; Arès et Mars pour la Guerre ; Aphrodite et Vénus pour l’Amour et la Beauté.

Aujourd’hui, entre Dieu le père et notre Mère la Terre, on s’applique à chercher un vaccin pour combattre la nature par la nature elle-même, tout en veillant à garder une distance de deux mètres avec nos contemporains pour empêcher la pandémie de se propager.

Pour certains, c’est beaucoup trop demander, mais à l’échelle de l’Histoire, c’est peu… même rien. Pour amadouer la colère des dieux, les Aztèques pratiquaient les sacrifices humains sur une grande échelle. Dans les périodes de crise comme les famines ou les guerres, les Vikings y consentaient sous la forme de sacrifices expiatoires. Chez les Incas, lors de l’intronisation d’un nouvel empereur, les sacrifices d’enfants font partie des offrandes pour lui assurer un règne heureux. Une sorte d’assurance vie en somme.

Il allait de soi que les religions monothéistes aient été les premières à entendre la voix de Dieu. C’est le cas de Moïse dans L’Exode qui est le deuxième livre de L’Ancien Testament où les pandémies règnent en maître avec les dix plaies d’Égypte qui sont les eaux du fleuve Nil changées en sang ; un déluge de grenouilles ; une prolifération de moustiques et de poux ; des nuées de mouches ou de taons ; l’extinction des troupeaux ; une épidémie de furoncles ; la grêle ; une invasion de sauterelles ; trois jours de ténèbres puis le décès des premiers nés. 

« Dès l'aube, rapporte L’Exode, il y eut sur la montagne des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse fumée. On entendit aussi une puissante sonnerie de trompette. Dans le camp, le peuple tremblait de peur [...] Le Sinaï était tout fumant [...] toute la montagne tremblait. La sonnerie de trompette devint de plus en plus puissante. Quand Moïse parlait, Dieu lui répondait dans le tonnerre ».

Plus tard, dans « la tente de la rencontre », Moïse parle avec Dieu comme un homme avec son ami. L'enfant Samuel sera réveillé en pleine nuit par la voix audible de Dieu qu'il confondra, de prime abord, avec la voix d’Élie, son propre maître.

Dans le Nouveau Testament, Dieu se fait entendre au moins à trois reprises au cours du ministère terrestre de Jésus. À son baptême : « Une voix venant du ciel déclara : Celui‑ci est mon Fils bien‑aimé ; je mets en lui toute ma joie. » (Matthieu 3 :17) Lors de la transfiguration : « Du nuage une voix se fit entendre : Celui‑ci est mon Fils bien‑aimé, écoutez‑le ! » (Mathieu 17:5) Peu avant sa mort, à Jérusalem: « Père, donne gloire à ton nom !» Une voix se fit alors entendre du ciel : « Je l'ai déjà glorifié et je le glorifierai de nouveau. » La foule qui se trouvait là et avait entendu la voix disait : « C'était un coup de tonnerre ! » D'autres disaient : « Un ange lui a parlé !» Mais Jésus leur déclara : « Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, mais pour vous » (Jean 12 : 28-30).

L'apôtre Jean, sur l'île de Patmos, relate la même expérience : « J'entendis derrière moi une voix forte, qui résonnait comme une trompette ; elle disait : « Écris dans un livre ce que tu vois, et envoie le livre aux sept Églises suivantes [...] sa voix résonnait comme de grandes chutes d'eau » (Apocalypse 1 : 10-15).

Le Coran est la parole même d'Allah. Pour citer une sourate, c’est « Le Livre qui ne doit pas être mis en doute ». Il a été révélé à Mahomet sous une dictée divine qu’on présume nécessairement venue d’En Haut. Le Prophète l'a récitée à haute voix et ceux de ses fidèles qui savaient écrire l'ont retranscrite. Selon la tradition, vingt ans après la mort du Messager de Dieu, en 652, le calife Othman a ordonné de rassembler tous ces textes épars en un seul livre : le Coran. 

En quittant mon atelier, je baigne dans les rayons de lumière d’un coucher de soleil déclinant. Je m’arrête un instant pour lever les yeux vers le silence assourdissant de la voûte céleste. Même pas l’ombre de l’éclair de chaleur qui a permis aux exégètes du ciel d’ajouter la provision d’imposer une petite gêne d’éloignement à la maxime chrétienne de s’aimer les uns les autres. L’amour, dit-on, n’a pas d’âge. Mais, dans le cadre d’une pandémie, il semble avoir une date de péremption. J’apprécie qu’on célèbre mon anniversaire de naissance une fois l’an. Qu’on rappelle tous les jours que je suis un octogénaire me semble une attention excessive. On se plaît à dire par civilité que je ne fais pas mon âge. Reste à savoir si les virus partagent ces aménités ?

 

Illustration L’accueil du virus, (agrémenté d’un sigle d’interdiction).  les 10 plaies d’Égypte