Les Québécois paieront pour décontaminer les puits « orphelins » laissés à l’abandon par les pétrolières de l’Ouest

2020/04/21 | Par Pierre Dubuc

« Un soutien direct aux pétrolières était invendable à l’Ontario et au Québec », a confié au National Post, sous le sceau de l’anonymat, un dirigeant d’une pétrolière albertaine, à propos de l’octroi de 1,7 milliard de dollars d’Ottawa pour nettoyer les puits orphelins ou abandonnés en Alberta, Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

Justin Trudeau a déclaré que cette aide permettra d’assurer le « maintien » de 5 200 emplois. Mais des analystes croient que l’aide répond davantage au besoin de liquidités des pétrolières et que plusieurs d’entre elles utiliseront l’argent reçu pour « nettoyer » leurs états financiers plutôt que de réembaucher leurs travailleurs pour nettoyer les puits.

On peut même parier que certaines pétrolières utiliseront ces fonds pour payer les acheteurs afin de se débarrasser de leur surproduction, maintenant que le prix du pétrole est devenu négatif !

La loi de l’offre et de la demande est une règle d’or inviolable quand les prix explosent pour suivre la demande, mais inopérante quand l’offre dépasse la demande et que le marché dicte aux producteurs de fermer leurs puits.

Cette énorme fumisterie n’a pas empêché des groupes environnementaux – dont certains manifestement manipulés par Ottawa – de crier « victoire », en reniant le principal fondamental du « pollueur-payeur » qui est censé être à la base de toute leur action.

 

Les Québécois paieront

Les Québécois vont défrayer à même leurs impôts environ 25 % de cette aide aux pétrolières qui, depuis des décennies, ont abandonné ou laissés inactifs près de 100 00 puits en Alberta seulement. La facture totale pour le nettoyage de ces puits est évaluée à une somme astronomique de 260 milliards de dollars.

Si l’aide fédérale était motivée par de simples considérations écologiques, il est loisible de se demander pourquoi le Québec n’obtient pas sa part de cette manne de dollars. Après tout, le Québec compte quelque 600 puits orphelins, des puits de gaz naturel, de pétrole ou de saumure, fermés ou abandonnés depuis longtemps et qui sont désormais sous la responsabilité de l'État. À cela s’ajoutent 700 sites miniers abandonnés, dont la restauration était évaluée à 1,2 milliard de fonds publics en 2013.

Bien sûr que nous sommes solidaires des travailleurs albertains qui ont perdu leur emploi. Mais ils bénéficient des mêmes programmes de secours que tous les autres Canadiens. Ils peuvent se qualifier pour la Prestation canadienne d’urgence et leur entreprise à la subvention salariale de 75%.

Le ministre des Finances Bill Morneau a aussi annoncé un élargissement des programmes de prêts pour les pétrolières et les gazières par l’intermédiaire de la Banque de développement du Canada et Exportation et Développement Canada.

 

Pendant ce temps en Alberta

Dans un article précédent, nous avons rappelé que l’Alberta avait engraissé, au cours des décennies passées, les actionnaires des pétrolières en abaissant progressivement de 45% à un ridicule 3,6 % sa redevance, en plus de privatiser un fleuron de l’industrie , l’Alberta Energy Company, et de saborder son fonds souverain, le Heritage Fund.

Pendant ce temps, la Norvège est propriétaire de Statoil, la onzième plus importante pétrolière avec plus de 100 milliards $ d’actifs et un fonds souverain d’une valeur d’un trillion de dollars. Elle encaisse une rente totale de 82 à 86% des profits de l’exploitation de son pétrole contre à peine 9% pour l’Alberta.

La Norvège, un petit pays d’à peine 5,3 millions d’habitants, adopte aujourd’hui d’audacieuses politiques pour réduire sa dépendance au pétrole et de 40% ses émissions de gaz à effet de serre. Le pays prévoit que son parc automobile sera composé uniquement de voitures électriques en 2025 et sera carbone neutre en 2050 ou avant. Par contre, si l’Alberta était un pays, il viendrait au deuxième rang mondial des pires pays émetteurs de gaz à effet de serre, tout juste derrière le Qatar.

Le premier ministre albertain Jason Kenney se lamente sur la place publique du déficit budgétaire de sa province. Mais le Globe and Mail lui a signalé que si son gouvernement avait une structure de taxation équivalente à celle de l’Ontario, il enregistrerait un surplus budgétaire de 7,6 milliards, et de 15,1 milliards s’il prenait modèle sur celui de la Saskatchewan et de 17,5 milliards $ sur celui de la Colombie-Britannique. Rappelons que l’Alberta est la seule province à ne pas avoir de taxe de vente.

Ce déficit budgétaire n’empêche pas le gouvernement de Jason Kenney d’investir, en pleine pandémie et crise économique, 7,5 milliards $ pour le prolongement du pipeline Keystone XL, dont la construction vient, à nouveau, d’être bloquée par un tribunal américain.

Du même souffle, Jason Kenney annonçait la mise à pied de 2100 employés de soutien des écoles publiques d’Edmonton.  Selon leur syndicat (SCFP), sachant que le district doit retrancher 90 millions de dollars de son budget en septembre, entre 600 et 800 membres du personnel de soutien ne reviendront pas au travail en septembre.

Les gouvernements de l’Alberta et de Terre-Neuve sont en faillite technique à cause d’une gestion néolibérale de leurs budgets et de projets pharaoniques irréalistes et anti-environnementaux (pipelines, Muskrat Falls), mais ils savent que le gouvernement canadien viendra à la rescousse pour sauvegarder les intérêts des pétrolières et des banques. Et refilera aux contribuables québécois 25% de la facture !

 

 

Crédit photo : CBC