On ne s’en sortira pas de la façon dont c’est mené

2020/04/27 | Par Pierre Dubuc

Dans nos milieux de travail et de vie, faut-il tirer à la courte paille pour déterminer celui ou celle qui se fera infecter afin de contribuer à l’auto-immunisation collective ? Le trio Legault-Arruda-McCann est-il en train de nous proposer – « graduellement » bien entendu – le modèle suédois sans le reconnaître ouvertement? Et cela alors que l’auto-immunisation collective est remise en question par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pourtant, une autre politique est possible : testez, testez, testez et isoler les personnes infectées. C’est l’approche prônée, depuis le début, par l’OMS. Elle a fait ses preuves en Allemagne, en Corée du Sud et ailleurs. L’ignore-t-on parce qu’on n’a pas suffisamment de tests, comme on a décrié, voire interdit, le port de masques sous toutes sortes de faux prétextes (« plus dangereux d’en porter que de ne pas en porter », « ce n’est pas dans notre culture », dixit le « bon » Dr. Arruda), alors que la vérité était toute simple : il y avait une pénurie de masques !

Si vous proposez l’auto-immunisation collective parce que vous n’avez pas suffisamment de tests, dites-le !

 

L’apprenti sorcier

Le trio Legault-Arruda-McCann plaide pour la réouverture des écoles en insistant sur la bénignité des conséquences d’une infection chez les enfants. On veut bien. Mais l’essentiel n’est pas là. Les enfants infectés seront des vecteurs, des propagateurs de la maladie auprès de leurs parents. Comme l’écrivait Boucar Diouf dans sa chronique de La Presse+ :

« Advenant la contamination sévère de papa et de maman, qui viendra au secours des enfants quand les grands-parents ne sont pas une option et les amis ont peur d’attraper la maladie ? Voilà la question qui trotte dans la tête de beaucoup de parents et pour laquelle le gouvernement devra trouver une réponse, car des images d’enfants pleurant leurs deux parents branchés sur des respirateurs à l’hôpital, ça peut faire beaucoup de dommage advenant une ouverture précipitée des écoles pendant que le Québec affiche encore quotidiennement des centaines de contaminés ».

Vous n’avez pas suffisamment de tests ? Attendez d’en avoir avec de déconfiner. Ne jouez pas à l’apprenti sorcier, Monsieur Legault.

 

Une gestion bordélique

François Legault a la réputation d’être brouillon et sa gestion de la crise est à la hauteur de sa réputation. Bien sûr, on ne peut pas lui imputer la destruction massive par le fédéral et les gouvernements québécois précédents des stocks de matériel de protection sanitaire (masques, gants, blouses, visières, etc.) ou encore un système hospitalo-orienté, la réforme Barrette, et un réseau de résidences pour aînés, publiques (CHSLD) et privées, négligées, sous-financées et manifestement dirigées, dans plusieurs cas, par des incompétents.

Cependant, à son triste crédit, il a fait une évaluation extrêmement mauvaise de l’endroit où le virus aurait le plus d’impact, c’est-à-dire les résidences de personnes âgées. Il n’a pas tenu compte des leçons négatives de l’expérience italienne et française, mais surtout de l’exemple positif antérieur de la Colombie-Britannique.

La responsable de la santé publique de cette province, la Dre Bonnie Henry, a tout de suite réalisé, en analysant ce qui se passait à Seattle dans l’État voisin de Washington, que le champ de bataille serait les « long term care facilities ». Une résidence pour aînés près de Seattle avait connu une éclosion meurtrière liée à la COVID-19.  

« La province a aussitôt compris qu’elle devait revoir tous ses protocoles, raconte Damien Contandriopoulos, professeur québécois à l’École de soins infirmiers de l’Université de Victoria, cité dans La Presse+. Elle a nationalisé le fonctionnement de toutes les résidences privées. Elle a uniformisé les conditions de travail de tous les employés. Tous les temps partiels sont passés à temps plein. Et les conditions de travail ont été resserrées partout. »

Si bien que les employés du réseau ne pouvaient alors plus se promener d’un centre à l’autre. Ceux qui s’occupaient des patients infectés ne pouvaient interagir avec ceux qui ne l’étaient pas. L’équipement de protection nécessaire a été rendu disponible. Bref, dès le début de mars, toute l’attention de la province était concentrée sur les résidences pour aînés, rapporte La Presse+.

Pendant ce temps, au Québec, le gouvernement transférait les malades des hôpitaux vers les CHSLD, là où les agences déplaçaient les employés d’un établissement à l’autre et là où le matériel de protection n’était pas disponible.

Pendant que le « bon » Dr Arruda obtenait une popularité à bon marché avec ses tartelettes portugaises et ses simagrées sur l’aplatissement de la courbe, la Dre Bonnie Henry s’occupait de résidences pour aînés.

Résultat, la COVID-19 est sous contrôle en Colombie-Britannique, alors qu’elle est hors contrôle dans les résidences pour aînés au Québec.

La Dre Bonnie Henry est, à juste titre, une vedette en Colombie-Britannique, alors qu’au Québec le « bon » Dr Arruda va maintenant nous expliquer pourquoi il recommande aujourd’hui de porter le masque qu’il condamnait hier, tout en nous invitant, à mots couverts, à s’infecter pour atteindre une illusoire auto-immunisation collective !

 

Ce qui est « gênant »

Dans un précédent article (Vivement un Churchill québécois !), nous soulignions l’absence d’un discours mobilisateur à la hauteur du défi qui se pose. Il est, en effet, « gênant » de devoir faire appel à l’armée, comme l’admettait François Legault. Non pas parce qu’il est illégitime d’y avoir recours. Nous payons notre part des dépenses militaires.

Non, il est « gênant » de faire appel à l’armée parce que plus de 4 000 personnes non infectées du réseau de la santé ne sont pas à leur poste. Elles n’y sont pas parce qu’elles ont peur, laisse entendre le premier ministre. Mais si elles n’y sont pas, ce n’est pas nécessairement par manque de courage. Elles n’y sont pas parce que le plan de match n’est ni clair ni crédible, le matériel de protection n’est pas disponible et le discours de la « grand-messe de 13 heures » est contredit par leur vécu quotidien sur le terrain et les reportages des journalistes.

L’armée ne fournira pas que les « bras » demandés par Legault. L’armée, c’est une structure, une chaîne de commandement, qui va probablement prendre en charge les opérations dans les CHSLD où elle sera appelée à intervenir, tassant de côté la structure du plus gros ministère du Québec, qui accapare près de la moitié de son budget.

C’est cela qui est « gênant ». Que le Ministère soit incapable d’organiser sur le terrain le déploiement des quelques 20 000 inscrits au site « jecontribue » qui ont offert leur service. Incapable de jumeler deux personnes qui offrent trois jours par semaine pour en faire un temps plein. Incapable de mettre à contribution les aidants naturels. Pourquoi? Trop de bureaucratie ? Trop d’incompétence? Trop de nominations politiques à la tête des organismes publics?

 

À vos casseroles, citoyennes, citoyens !

Allons au plus pressé. Pour stopper la débandade et reprendre le contrôle dans les résidences pour aînés, il n’y a pas d’autres recours que le personnel en place et l’apport de celles et ceux qui viennent leur prêter main-forte.

En l’absence de leadership du trio Legault-Arruda-McCann, il faut que la population s’en mêle. Qu’elle salue le courage du personnel soignant, lui apporte un soutien visible et sonore.

En France, où l’incompétence des autorités politiques et sanitaires est aussi flagrante qu’au Québec, les Français sortent chaque jour sur leurs balcons avec leurs casseroles pour manifester leur soutien au personnel soignant. Les restaurateurs livrent des repas chauds aux soignants. Les auto-patrouilles des policiers et les camions de pompiers se présentent devant les résidences frappées par le virus pour les soutenir avec un concert de klaxons.

Bannissons le discours faussement rassurant du trio Legault-Arruda-McCann du « ça va bien aller » parce que les régions ne sont pas touchées, que la courbe s’aplatit si on ne tient pas compte des morts des CHSLD, qu’il n’y a, après tout, que les vieux qui sont touchés! 

Face au virus, il n’y a pas au Québec des régions « chaudes » et des régions « froides », il n’y a pas une courbe pour Montréal et une courbe pour les régions, il n’y a pas une courbe pour les « vieux » et une courbe pour les autres. Il n’y a qu’une seule courbe, comme il n’y a qu’un seul Québec !

Les soignants dans les résidences pour aînés et ailleurs manifestent un dévouement exemplaire et un courage extraordinaire !

Exprimons-leur notre admiration, notre soutien et notre reconnaissance.

À vos casseroles, citoyennes, citoyens !
 

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P.S.

Virage à 180 degrés, ce lundi 27 avril. Aux oubliettes l’argument de l’auto-immunisation collective ! Le « bon » Dr Arruda nous informe qu’il va « tester, tester, tester », laissant entendre qu’il teste déjà 15 000 personnes par jour, alors qu’il n’en testait, hier encore, que 5 000 ! Peut-on le croire!?

Legault donne cinq arguments pour justifier le retour en classe, mais en omettant de mentionner celui qui motive sa décision : la reprise économique. Pour que l’économie redémarre, il faut que quelqu’un garde les enfants d’âge préscolaire et du primaire. Les ados peuvent se garder eux-mêmes, donc ils restent confinés.

Bien sûr qu’il faut que les élèves retournent en classe et que l’économie redémarre. Mais il y a une condition pour ce faire : des mesures de protection dont, avant tout des masques. Il y en aura, nous dit-on, pour les éducatrices en service de garde, mais pas pour les enseignantes et les enseignants au primaire. 

Pourtant, le port du masque est une des conditions essentielles au déconfinement. Dans La Presse+ ce lundi matin, un excellent reportage sur Taïwan – un modèle dans la lutte contre le coronavirus – où l’on apprend que les enfants portent, sans problème, des masques dans les écoles.

Sur France 24, un reportage sur le succès remporté avec le port du masque dans la ville allemande d’Iéna. Le port du masque est obligatoire dans les commerces, les transports en commun et sur le lieu de travail. Depuis le 6 avril, date à laquelle le port du masque a été imposé, la ville n’a enregistré aucune contamination.

Ici, on a droit aux pirouettes du « bon » Dr Arruda. Hier, le port du masque était inutile, voire dangereux. Aujourd’hui, on l’encourage. Demain, on le rendra obligatoire. Tout cela au nom, soi-disant, de la science. La vérité est beaucoup plus prosaïque : il n’y a pas suffisamment de masques !