Michel Chartrand, l’intellectuel populiste

2020/05/01 | Par Antoine Morin-Racine

L’auteur est étudiant

Le 12 avril dernier, voilà plus de dix ans que Michel Chartrand nous quittait après une longue vie de lutte politique. Dans l’esprit de la Fête des travailleurs du 1er mai (la vraie), il me semble donc plus qu’approprié de célébrer la vie et l’œuvre d’un des plus grands leaders de travailleurs de l’histoire du Québec.

On l’a qualifié d’orateur extraordinaire comme on l’a traité d’agitateur politique. Il se décrivait comme humaniste, on l’accusait d’être communiste. Beaucoup de choses ont été dites et beaucoup d’encre a coulée à son sujet, mais j’aimerais profiter de ce cour texte pour souligner à quel point Michel Chartrand est l’exemple parfait de ce que devrait être un intellectuel politique, une personne possédant à la fois une grande intelligence, mais aussi, et surtout, un parler franc.

Oui, oui, Michel Chartrand, un intellectuel. C’est peut-être dur à croire considérant la caricature de syndicaliste fâché qu’on fait souvent de lui, mais ceux et celles qui savent regarder au-delà du cliché trouveront un homme complexe et suprenamment raffiné. Né dans une famille de classe moyenne à Outremont, Michel est fils d’un fonctionnaire qui se convertit en imprimeur dans les années 1930.

Il fréquente les excellentes écoles du temps, Brébeuf, Collège Sainte-Thérèse, et se taille une place dans l’élite intellectuelle de la province en entrant à la Faculté des sciences sociales, économiques et politiques de l’Université de Montréal après un séjour de deux ans comme moine à la Trappe d’Oka.

Il a enseigné le grec, parlait le latin, lisait les classiques et connaissait la Bible comme le fond de sa poche (ce qui ne l’a pas empêché de lire Marx). Même si ses « intérêts de classe » ne l’ont pas destiné à devenir leader syndical, sa foi catholique, la justice sociale qu’il y attache, et la misère qu’il voit autour de lui dans le Québec de son temps, le transforme en fervent combattant pour les droits des travailleurs. Chartrand avait le potentiel d’un homme de lettre à la Fernand Dumont ou d’un politicien de carrière, comme René Lévesque, mais il a choisi la voie du syndicalisme et ce, parce que c’est ce que ses valeurs lui dictaient.

Plutôt que de « bien pèrler » (ce qu’il était plus que capable de faire), Chartrand a décidé de parler franc et c’est là sa plus grande qualité en tant qu’homme politique. Il a refusé la langue de bois de la tour d’ivoire pour adopter celle de la shop : voilà ce qui fait de lui l’un des plus grands vulgarisateurs politiques de l’histoire du Québec. Et en y pensant bien, il n’avait pas vraiment le choix : dans la lutte syndicale, si tu ne parles pas la langue des ouvriers, les ouvriers ne t’écouteront pas ! T’as beau avoir les plus belles intentions, tu ne convaincras pas grand monde à faire la grève en parlant comme Althusser! Cette capacité à traduire une idéologie aussi complexe que le socialisme d’un registre de langue à un autre témoigne de toute l’intelligence du bonhomme et devrait servir d’exemple à tous ceux et celles qui pense politiquement

Plus que d’être un excellent orateur, Chartrand était un homme du peuple, un populiste, dans le meilleur des sens du terme. Le populisme n’est pas une idéologie, c’est une méthode politique : une méthode qui centre le discours, la manière qu’un mouvement a de s’exprimer et ses ambitions autour du concept de peuple, c’est-à-dire l’incarnation de la population en tant que force politique

Contrairement à l’utilisation qu’on en fait dans les médias, le populisme n’est pas d’extrême-droite, ni d’extrême-gauche, ce n’est pas de la démagogie non plus et c’est hautement important de les différencier. Si la démagogie cherche à manipuler le peuple, le populisme cherche à le mettre au pouvoir. Le populisme, simplement dit, c’est une manière de faire la politique et pas n’importe laquelle. S’en est une qui voit au-delà de l’individu, du consommateur et de tous les autres mécanismes du système en place qui nous gardent trop fatigués, endettés ou désespérés pour qu’on se fâche.

« Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple, c’est ça la démocratie. Pas surveiller le pouvoir, exercer le pouvoir. (…) Si le mouvement syndical fait pas ça, je sais pas ce qui fait moi. »

Michel Chartrand devrait être un modèle pour tou.te.s les jeunes intellectuel.lle.s montant.e.s de la gauche québécoise. Un appel à sortir du jargon parfois académique qui l’a imprégnée et à vulgariser l’idée de la révolution.

 

Crédit photo : Jacques Grenier Le Devoir