Premier Mai : les travailleurs et travailleuses doivent prendre en mains leur santé et celle de la population

2020/05/01 | Par Pierre Dubuc

La crise du coronavirus a mis en lumière l’importance sociale de ces milliers de travailleuses et travailleurs « invisibles » des CHSLD, des hôpitaux et autres services essentiels. Très majoritairement des femmes, souvent « racisées », elles traînent malheureusement encore l’accablant héritage de surexploitation des religieuses qui – par « vocation » disait-on – assuraient ces services jusque dans les années 1960.

À l’occasion du Premier Mai, elles ont pleinement mérité d’être à la tête du cortège « virtuel » – confinement oblige – de la Fête internationale des travailleuses et des travailleurs.

Bientôt, avec le déconfinement, un nouveau front va s’ouvrir pour l’ensemble de la classe ouvrière. Celui de faire respecter dans les différents milieux de travail son droit inaliénable à la santé. C’est loin d’être assuré. Déjà, Jacques Létourneau, le président de la CSN, déclarait que « depuis le début de la crise, il a fallu se battre à de nombreux endroits afin de s’assurer que la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs soient correctement protégées ».

 

Deux approches contre le coronavirus

Il semble y avoir deux approches face à la pandémie, en plus du lavage des mains et de la distanciation sociale. La première est l’auto-immunisation collective, telle qu’expérimentée (brièvement) par la Grande-Bretagne, avec des résultats désastreux, et la Suède, dont on met en doute la recension des décès. Une seconde approche est basée sur le confinement, les tests et le traçage, le port du masque et les autres mesures de protection selon les milieux de travail (gants, blouses, visières, gel). 

Quelle est l’approche du gouvernement Legault? Dans un premier temps, il semblait avoir adopté la seconde approche en décrétant un confinement généralisé avec une « pause » sur la totalité des activités économiques non essentielles.

Puis, le vendredi 24 avril, le premier ministre nous a expliqué les vertus de l’auto-immunisation collective pour justifier le déconfinement à venir. Cependant, le lundi suivant, il retro-pédalait devant les mises en garde de Mme Tam de la Santé publique canadienne et de l’Organisation mondiale de la santé.

Aux oubliettes l’auto-immunisation collective. Du moins, officiellement. Car le déconfinement proposé pour les écoles et trois secteurs économiques (la construction, le commerce et le secteur industriel) ne rencontre pas du tout les prérequis jugés essentiels.

 

Les tests

Premièrement, les tests. Pour un déconfinement réussi, il faut impérativement être en mesure de tester la population. « Testez, testez, testez », a déclaré l’OMS dès le début de la pandémie. Mais le Québec a-t-il aujourd’hui les moyens pour tester sérieusement?

Dans son édition du 23 avril, le magazine britannique The Economist citait une étude du groupe dirigé par Edmond J. Safra Centre for Ethics at Harvard University qui montrait la nécessité de tester entre 2% et 6% de la population pour que la mesure soit efficace. Dans le cas du Québec, avec une population de 8 millions d’habitants, 2 % de tests équivalent à 160 000 tests par jour !

Le Globe and Mail, dans son éditorial du 30 avril, reprend les données de l’étude de Harvard et établit le nombre nécessaire de tests à 600 000 par jour pour le Canada pour sa population de 37,6 millions d’habitants. Avec 22% de la population canadienne, le Québec devrait faire passer 132 000 tests quotidiennement.

Que ce soit 160 000 ou 132 000 tests par jour, le Québec est bien loin du compte avec à peine 6 000 tests par jour actuellement et un objectif à moyen terme de 14 000 tests, selon les chiffres avancés par le Dr Arruda, lors de son point de presse du 30 avril.

Bien évidemment, l’identification des personnes infectées doit être suivie du traçage, c’est-à-dire du repérage des personnes avec lesquelles elles étaient en contact et leur mise en quarantaine pour freiner la propagation du virus. Ce qui nécessite une logistique impressionnante.

 

Les masques

Une des clefs du succès des pays asiatiques, comme la Chine, Taïwan et la Corée du Sud, dans leur lutte contre le coronavirus est, outre les tests, le port du masque. Les pays occidentaux en ont délibérément minimisé son importance parce que les importants stocks de masques entreposés après l’épidémie du SRAS en 2006 et du H1N1 en 2009 n’ont pas été remplacés, une fois périmés, pour faire des « économies ».

Aujourd’hui, la « science » évolue au même rythme que l’arrivée des approvisionnements. Quand il n’y avait pas de masques disponibles, la « science » du « bon » Dr Arruda affirmait qu’il était plus dangereux d’en porter que de ne pas en porter (« On ne saurait pas comment le porter », « on se toucherait la figure après avoir touché le masque », « ce n’était pas dans notre culture »). Aujourd’hui, avec l’arrivée d’un certain nombre de masques, la « science » le recommande. Demain, une fois les stocks reconstitués, la « science » rendra le port du masque obligatoire.

Un pays comme la France, dont les autorités sanitaires tenaient jusqu’ici le même discours que le « bon » Dr Arruda, rend maintenant obligatoire le port du masque dans les transports en commun et plusieurs épidémiologistes recommandent qu’il soit obligatoire dans tout l’espace public.

France 24, présentait récemment un reportage sur le succès remporté avec le port du masque dans la ville allemande d’Iéna. Le port du masque est obligatoire dans les commerces, les transports en commun et sur le lieu de travail. Depuis le 6 avril, date à laquelle le port du masque a été imposé, la ville n’a enregistré aucune contamination.

 

Des tests et des masques pour les milieux de travail

De toute évidence, le premier ministre Legault subit d’énormes pressions de ses amis des milieux d’affaires pour relancer le plus rapidement possible l’économie. On a noté avec quel enthousiasme leurs représentants ont applaudi l’annonce du déconfinement.

Mais les travailleurs et leurs organisations doivent être plus circonspects. Interrogé lors de la conférence de presse de 13 heures sur la présence d’inspecteurs pour faire respecter les mesures de protection dans les secteurs commerciaux et manufacturiers, le ministre Fitzgibbon a éludé la question. Seul le secteur de la construction où 300 inspecteurs sont déjà à l’œuvre sera « monitoré », a-t-il reconnu.

En fait, il va revenir aux travailleurs, aux travailleuses et à leurs organisations à faire respecter les consignes de protection (distanciation sociale, gel désinfectant, équipements de protection, etc.).

De plus, ils doivent, dès maintenant, exiger des tests et des masques dans leur milieu de travail, si le gouvernement va de l’avant avec son plan annoncé de déconfinement.

Dans les écoles, les enseignants et les autres membres du personnel doivent porter des masques. Les enseignants français en porteront. La Presse+ du 27 avril présentait un excellent reportage sur Taïwan – un modèle dans la lutte contre le coronavirus – où l’on apprend que même les enfants portent, sans problème, des masques dans les écoles. Pourquoi pas ici ?

 

La santé avant l’économie? Vraiment?

On ne peut suivre aveuglément le trio Legault-Arruda-McCann. Leur gestion de la crise est bancale. Ainsi, par exemple, ils ont fait une évaluation extrêmement mauvaise de l’endroit où le virus aurait le plus d’impact, c’est-à-dire les résidences de personnes âgées. Ils n’ont pas tenu compte des leçons négatives des expériences italienne et française, mais surtout de l’exemple positif de la Colombie-Britannique.

La responsable de la Santé publique de la Colombie-Britannique a, dès le début du mois de mars, concentré toute l’attention de la province sur les résidences pour aînés. Elle a nationalisé le fonctionnement de toutes les résidences privées. Elle a uniformisé les conditions de travail de tous les employés. Tous les temps partiels sont passés à temps plein. Et les conditions de travail ont été resserrées partout. Les employés du réseau ne pouvaient alors plus se promener d’un centre à l’autre. Ceux qui s’occupaient des patients infectés ne pouvaient interagir avec ceux qui ne l’étaient pas. L’équipement de protection nécessaire a été rendu disponible.

Il était possible de faire de même au Québec. Cela n’a pas été fait. Au contraire, on a continué à transférer les malades des hôpitaux vers les CHSLD, là où les agences déplaçaient les employés d’un établissement à l’autre et là où le matériel de protection n’était pas disponible. Et François Legault a cherché à en attribuer la responsabilité aux syndicats ! Tout comme il se prépare à pointer du doigt les syndicats d’enseignants pour la rentrée catastrophique dans les écoles.

François Legault a la réputation d’être brouillon et sa gestion de la crise est à la hauteur de sa réputation. Dès le départ, il a déclaré que la santé aurait préséance sur l’économie. On peut aujourd’hui en douter. Son approche tient plus de l’auto-immunisation collective que d’une sortie du confinement avec le nombre de tests prescrits et la quantité de masques requise.

Aux travailleurs et travailleuses et à leurs organisations à prendre en charge leur santé et, par ricochet, celle de l’ensemble de la population.

Bon Premier Mai à toutes et à tous !