Legault, McCann, Arruda : la trinité du pouvoir biopolitique moderne

2020/06/03 | Par Sylvie Woods

La pandémie du Coronavirus est très instructive sur la façon dont le gouvernement québécois s’apprête à gérer les catastrophes sanitaire ou écologique.  Ce gouvernement qui a tous les traits de l’entreprise et dont le principal conseiller politique pendant la pandémie aura été la firme internationale de management et de communication McKinsey.

La pandémie actuelle a été l’occasion de voir à travers une sorte de miroir grossissant comment opère ce que Michel Foucault a défini comme la biopolitique du pouvoir médical.  Selon l’analyse du phénomène par Foucault,  à partir du XVII e siècle, les États ont pris en charge les soins de la vie et de la santé de leurs sujets et le pouvoir souverain aurait pris la forme d’un biopouvoir. Le philosophe politique  Giorgio Agamben  décrit cette transformation majeure de la façon suivante : « L’ancien droit de faire mourir et laisser vivre cède le pas à une figure inverse qui définit la biopolitique moderne et que résume la formule faire vivre et laisse mourir.»[i]

Dans le contexte de cette pandémie, le gouvernement Legault  a décrété des mesures d’urgence dans  le cadre d’un État d’exception,  ce qui lui a permis de rendre obligatoire le confinement et de mettre en place divers décrets visant les travailleurs de la santé.  Cet État d’exception a duré pendant plus de 3 mois.

Agamben dans ses divers ouvrages a démontré que la création d’un État d’exception a existé tout au cours de l’histoire politique, mais que depuis la venue au pouvoir du gouvernement nazi en 1933, diverses caractéristiques de cette forme d’exercice du pouvoir politique ont façonné les parlements contemporains.

Pensons aux projets de loi soumis au baîllon de façon récurrente au Québec et au Canada, ou de manière plus générale, la gouvernance par les nombres où la rationalité par le calcul et le strict principe d’utilité soumet le droit et les principes juridiques de la société aux impératifs économiques et entrepreneuriaux.

C’est dans ce cadre d’exercice du pouvoir biopolitique que le confinement de la population active du Québec a été mise à l’abri du Coronavirus dès le 17 mars, afin que les hôpitaux puissent pourvoir aux soins des personnes infectées dans la mesure de leurs moyens. Le confinement n’a pas été le même pour les personnes résidant dans les CHSLD, RI et RPA qui n’ont pas eu accès aux soins dans les hôpitaux.  Les médias ont relaté dans quelles conditions les résidents de ces institutions ont été infectés à cause du manque d’équipement et de personnel soignant adéquat. 

 

La création économique de la rareté dans les CHSLD

Quel paradoxe que, dans une société industrielle comme le Québec, obsédée par la croissance du PIB et de l’accroissement de la richesse individuelle et collective, les hôpitaux et les CHSLD ont dû composer avec la rareté de personnel et d’équipement médical face à la catastrophe qui menaçait de mort principalement les personnes âgées.

Bien que le gouvernement Legault, lors de ses mises à jour médiatiques portant sur les statistiques liées à la pandémie a souvent répété que la santé primait sur l’économie, nous sommes à même de constater que ce sont les principes économiques qui ont mené jeu.

Ainsi, l’argent a été le référent dominant pour rappeler en renfort les soignants qui ont quitté in extremis le bateau qui coulait.  De plus, une enquête de Radio-Canada a révélé que ce sont des personnes contraintes par leur statut de migrants illégaux qui ont occupés les fonctions de préposés aux bénéficiaires, souvent sans aucune formation préalable et parfois ne maniant pas le français ni l’anglais, car les légaux eux avaient pris la fuite et pouvaient réclamer la PCU.

Pris de cours, les CIUSS ont fait appel aux agences de tout acabit pour «soigner» les résidents des CHSLD. Aucune mesure de précaution n’ont été prises pour la plupart de ces résidences pour éviter de propager la pandémie et les «soignants» sont devenus le vecteur de transmission.

 

La fabrication de la mort de masse

Qui n’a pas ressenti l’indécence de la mise en scène quotidienne gouvernementale, tenant à nous transmettre «en toute transparence» le chiffre exact de la fabrication de ces morts de masse. La décence ne tient plus quand on tente de nous faire accepter l’inimaginable.

Revenons à Foucault cité par Agamben : « La césure fondamentale qui partage le domaine biopolitique passe entre le peuple et la population, elle fait émerger au sein même du peuple une population, autrement dit, elle transforme un corps essentiellement politique en un corps essentiellement biologique.»[ii]

Qu’était donc la personne âgée qui mourait infectée, sous le vocable utilisé par M. Legault dans sa mise à jour, soit «la personne vulnérable», «le sage», sinon qu’une personne sacralisée, qui à l’époque romaine était définie comme «l’homme nu», celui que le pouvoir permettait de sacrifier et que quiconque pouvait faire mourir en toute impunité.  [iii]

Comme le disait Horacio Arruda lors d’un point presse, faisant un rappel sur la distanciation sociale en prévision du déconfinement à Montréal :

« Si on revient à nos anciennes habitudes, c'est comme si ceux qui sont morts étaient morts pour rien, a-t-il dit, en anglais.»  (La Presse, 29 mai 2020)

La mort n’est-elle pas ici assimilée au sacrifice humain.

Il est certain que si «le bon Dr Arruda» a dansé le rapt sur une chanson qui l’encensait comme un héros, vous ne l’entendrez jamais chanter La chanson de l’Auvergnat de Brassens.

 

[i] Giorgio Agamben, Ce qui reste d’ Auschwitz publié dans  Homo Sacer, Rivages Poche, 2003

[ii] Ibidem, p. 92

Paroles de La chanson de l’Auvergnat de Georges Brassens : http://www.clg-mace-suresnes.ac-versailles.fr/IMG/pdf/chanson_pour_l_auvergnat.pdf

Crédit photo : Radio-Canada