Le système d’immigration est en train d’échapper complètement au contrôle du gouvernement du Québec

2020/06/11 | Par Anne Michèle Meggs

Les réactions à la deuxième tentative de réforme du Programme d’expérience québécoise (PEQ) m’ont fait penser à un apprentissage que ma fille a fait à l’âge de douze ans. Elle jouait à un des premiers jeux en ligne de création de villes, SimCity. Pour avancer ses plans de développement, elle avait décidé d’augmenter de 10 % les taxes de la population de sa ville. Le jeu a généré un bruit important de discorde et de huées chez les citoyens et citoyennes. Le lendemain elle a décidé de baisser les taxes de 3 points de pourcentage et les cris de joie retentissaient de la foule. Les taxes étaient toujours 7 % plus élevées qu'au point de départ, mais la population était bien satisfaite. À douze ans, elle avait appris une leçon importante de politique.

L’automne dernier, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a annoncé une réforme au très populaire PEQ qui allait le rendre soudainement inaccessible à beaucoup de personnes détenant un permis de travail temporaire et surtout à beaucoup d’étudiantes et étudiants étrangers qui comptaient là-dessus pour s’établir en permanence au Québec. De plus, il est rapidement devenu clair que la consultation préalable nécessaire n’avait pas été faite et que les outils en lien avec la réforme, telle la liste des domaines de formation admissibles, étaient désuets. La réaction négative a été tellement vive que le ministre a été obligé de rebrousser chemin et de retourner à la table de travail.

Plusieurs mois plus tard, en pleine pandémie, lorsque le marché du travail est en transformation importante, le ministre revient avec une nouvelle mouture pour le PEQ et la réaction dans certains milieux est essentiellement un soulagement. C’est moins mauvais que ce qui a été proposé l’automne passé.

La FTQ « se réjouit du fait que, à la suite de ses protestations et celles de nombreux acteurs de la société civile, le ministre se soit ravisé ». Selon Radio-Canada, l’exigence de trois ans de travail plutôt qu’un an a été saluée, particulièrement par le milieu des affaires. « Les changements proposés semblent respecter davantage les besoins du marché du travail et pourraient permettre une meilleure intégration des immigrants », peut-on lire dans le communiqué de la Fédération des Chambres de commerce du Québec.

Pour être honnête, les parties prenantes québécoises ne sont pas si « moutons » que la population de SimCity. Il y en a qui critiquent cette deuxième proposition de réforme réclamant un délai plus court, postulant qu’elle ne vient pas au bon moment, ou encore dénonçant le fait que les jeunes aux études actuellement ne bénéficieront pas des mêmes droits acquis que les diplômés.

De plus, il n’y a pas grand monde qui comprend la logique de créer un projet pilote pour recruter les préposées et préposés aux bénéficiaires à l’étranger, ce qui prendra vraisemblablement un minimum de deux ou trois ans, tout en rendant ce corps d’emploi inadmissible au PEQ.

En établissant le même délai de traitement de six mois pour le PEQ que pour le Programme régulier de travailleurs qualifiés (PRTQ), il n’y aura plus d’accès accéléré à la résidence permanente. Mais cela fait partie de la stratégie du ministre. Il veut pousser les demandes de certificats de sélection du Québec vers le système Arrima qui gère le programme régulier.

Ce qui manque dans cette annonce, comme dans toutes les annonces touchant l’immigration qui sortent de ce gouvernement, est une vision. Un système de traitement des dossiers n’est pas une vision. Il est un moyen administratif. Définissons d’abord les objectifs de la politique de sélection d’immigration québécoise et ensuite mettons en place les moyens législatifs et administratifs pour y arriver, si on a la compétence constitutionnelle de le faire.

Rappelons que les conditions s’appliquant à plus de 40 % de l’immigration au Québec, soit les catégories familiales et humanitaires, échappent au contrôle du gouvernement du Québec.

Dans la catégorie économique (excluant les investisseurs), la seule où le Québec établit les conditions par voie de sa grille de sélection, ce gouvernement n’a jamais exprimé d’autre objectif que d’aligner la sélection avec le marché du travail immédiat. On peut trouver cette « vision » un peu étroite, de courte vue et utilitaire, mais elle est légitime.

Ce qu’il faut souligner est que cet objectif est atteint de plus en plus au Canada par l’immigration temporaire. C’est-à-dire par les personnes qui sont arrivées grâce à des programmes fédéraux d’études ou de travail temporaires. Elles ne sont pas sélectionnées par un système de pointage. Grâce à l’un ou à l’autre des programmes temporaires, elles travaillent ou étudient au Canada, incluant le Québec.

Puisque ces programmes sont gérés par le Canada, le Québec n’a aucun accès aux dossiers de ces personnes, n’est pas averti de leur arrivée, ne peut en faire aucun suivi d’intégration ou de francisation. Le nombre de permis de séjour temporaires émis par le gouvernement canadien augmente de manière exponentielle, doublant dans les dix dernières années. Le 31 décembre 2018, il y avait plus de 123 000 titulaires de permis temporaire au Québec. De plus, sans que personne ne crie gare, la vaste majorité des personnes ayant reçu leur résidence permanente dans la catégorie « travailleur » au Canada avait fait la transition par le biais d’un programme temporaire.

Au Québec, en général, ce processus de transition de temporaire à permanent se fait par le PEQ. D’ailleurs, depuis quelques années, le PEQ est presque la seule source de nouvelles demandes de certification de sélection acceptées et traitées au Québec. Ce sont des personnes qui habitent, travaillent ou étudient déjà au Québec.

Le ministre voudrait que les personnes immigrantes fassent leur demande par l’Arrima, mais même les invitations d’Arrima sont faites à des personnes sur place. Arrima permet de modifier les critères d’invitation et l’algorithme de pondération des points entre des critères. Le mécanisme administratif, PEQ ou Arrima, importe peu.

Dans le passé, le bassin de recrutement pour l’immigration au Québec était le monde entier. Le dossier était reçu de l’étranger et évalué par le ministère de l’Immigration du Québec et la décision d’accepter ou de refuser relevait du Québec. Si la personne qui en faisait la demande répondait aux critères de la grille de sélection du Québec, elle recevait un certificat de sélection qui lui assurait, grâce à l’Accord Canada-Québec, un visa de résidence permanente.

Aujourd’hui, de plus en plus, le bassin de recrutement est au Québec. Ce sont des résidentes et résidents temporaires arrivés selon les règles du fédéral et, surtout, selon les ententes et accords internationaux (auxquels le Québec ne participe pas).

Politiquement, il est très mal vu de renvoyer des personnes qui se sont installées et contribuent positivement à la société. Il devient difficile d’établir les critères de sélection qu’on voudrait. Un exemple est justement celui des préposés aux bénéficiaires. Ce niveau d’emploi n’en est pas un qui est privilégié pour sélection, ni au Québec ni au Canada. Les résultats socioéconomiques d’intégration sont meilleurs pour les emplois mieux payés exigeant plus de scolarité.

Le système d’immigration est en train d’échapper complètement au contrôle du gouvernement du Québec, mais puisque la plus récente improvisation est moins mauvaise que celle d’avant, comme la population de SimCity, la population du Québec demeure silencieuse devant l’érosion de ses pouvoirs.

 

Crédit photo : canva.com