Une exigence insultante du gouvernement fédéral pour la reddition de comptes

2020/08/17 | Par Anne Michèle Meggs

L’auteur a été directrice de la planification et de la reddition de comptes au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion

En ce qui concerne les sommes transférées par Ottawa pour couvrir des coûts supplémentaires en santé découlant de la pandémie, il semblerait que Québec estime que la reddition de comptes exigée n’est qu’une formalité administrative (Robert Dutrisac, « Que l’intendance suive ! », 22 juillet 2020). Pourtant cette exigence est aussi insultante que l’obligation d’accepter les priorités canadiennes sur la façon dont l’argent sera dépensé.

Faut-il se rappeler que cet argent n’est pas l’argent du fédéral ? Il vient des impôts des contribuables du Québec et est dépensé dans des domaines généralement reconnus comme de compétence provinciale par le gouvernement provincial, un gouvernement déjà redevable à sa population. Et dans le cas du gouvernement du Québec, les mécanismes de reddition de comptes sont particulièrement nombreux et rigoureux.

Il existe évidemment l’institution du Vérificateur général du Québec et des directions d’audit interne et d’évaluation de programme dans chaque ministère. Mais de plus, aucune autre assemblée législative au Canada ne prévoit un examen annuel aussi détaillé et exigeant des dépenses et des prévisions financières gouvernementales (communément appelé l’étude des crédits). Chaque printemps lors du dépôt du budget, les partis d’opposition soumettent des centaines de questions écrites, dont les réponses, préparées par les ministères et organismes, sont transmises aux commissions parlementaires et déposées sur le site de l’Assemblée nationale. Chaque ministre défend en commission parlementaire pendant plusieurs heures les dépenses de l’année précédente et les décisions financières prises pour l’année à venir.

La Loi sur l’administration publique, adoptée par le gouvernement Bouchard en 2000, a créé une infrastructure de gestion axée sur les résultats obligeant chaque ministère et organisme à produire un plan annuel de gestion des dépenses, un plan stratégique pluriannuel, une déclaration de services au citoyen et un rapport annuel de gestion qui rend compte de l’ensemble des engagements ministériels. Avec le temps, il est devenu habituel de se servir du rapport annuel de gestion pour rendre compte également des multiples politiques et plans d’action gouvernementaux annoncés.

Les réponses aux milliers de demandes d’accès aux documents des organismes publics sont rendues disponibles sur les sites Internet des ministères. Il y a aussi des commissions d’enquête, comme la commission Charbonneau, et des rapports du Protecteur du citoyen.

Ottawa a toujours eu la fâcheuse habitude de traiter les transferts aux provinces comme s’ils étaient des prêts aux entreprises ou des subventions aux organismes communautaires. Sous la gouverne de Trudeau père, des fonctionnaires fédéraux étaient frustrés de ne pas avoir reçu les pièces justificatives de Québec pour l’argent « fédéral » visant l’enseignement postsecondaire en « langue minoritaire ». Le gouvernement Harper a décidé que l’argent transféré dans le cadre de l’accord Canada-Québec en immigration était une contribution devant être soumise à une évaluation de programme menée par le fédéral, de la même manière qu’un programme de subvention aux organismes de quartier fêtant le 1er juillet. Ce gouvernement, il va sans dire, évaluait des programmes en vue souvent de les éliminer. L’exercice a été vu comme une première étape pour mettre fin à l’accord et le ministère québécois, avec raison, a refusé de collaborer, ce qui n’a pas empêché le gouvernement canadien d’engager des dépenses pour l’évaluation quand même.

Il est normal et essentiel que les contribuables puissent trouver des réponses sur la façon dont leurs taxes et impôts sont dépensés et sur les résultats obtenus. Mais c’est au gouvernement qui dépense l’argent et administre les programmes d’en rendre compte directement à sa population.

Alors que le gouvernement fédéral finançait 50 % des dépenses admissibles en santé des provinces avant 1977-1978 avec le Transfert canadien en matière de la santé, cette part est désormais inférieure à 25 %. Maintenant, le gouvernement Trudeau veut vanter sa contribution à la lutte contre le virus en rendant au Québec et aux autres provinces l’argent provenant des poches de leurs propres populations dans un domaine de compétence provinciale, en dicter les priorités et, en plus, exiger une reddition de comptes !

Pendant ce temps, non seulement le gouvernement Legault prétend avoir « gagné » dans ses négociations avec le gouvernement Trudeau tout en acceptant les priorités fédérales, mais il minimise la symbolique importante de soumission en acceptant de rendre des comptes au fédéral plutôt que de s’en tenir à la reddition de comptes complète qu’il fera de toute manière à l’Assemblée nationale et auprès de la population québécoise. Belle autonomie !