Course à la chefferie du PQ : Pour des seuils d’immigration arbitraires ou réfléchis ?

2020/08/20 | Par Anne Michèle Meggs

L’auteure a été directrice de la planification et de la reddition de comptes du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion.

La course à la chefferie du Parti Québécois, très discrète jusqu’à date, semble avoir soulevé un débat assez particulier. Un premier candidat a proposé un mécanisme rationnel et consensuel pour déterminer le nombre de personnes immigrantes à accueillir et d’autres, appuyés par quelques commentateurs, suggèrent qu’une telle approche n’est pas responsable, qu’elle manque de leadership, qu’elle ignore les enjeux « identitaires » et même, insulte suprême, qu’elle n’est pas souverainiste ! Intéressant que, malgré cette réaction, un deuxième candidat vient de sortir un processus visant à établir les seuils en fonction d’une analyse des faits.

Revenons un peu sur le processus mis en place depuis des décennies pour la planification des niveaux d’immigration au Québec. Tous les trois ans, une commission parlementaire de l’Assemblée nationale tient des consultations sur les orientations relatives au nombre de personnes à admettre au Québec, ainsi qu’à leurs caractéristiques (âge, langue, formation, etc.).

Deux documents sont préparés par le gouvernement dans la perspective de ces consultations. Un premier, constitué de plusieurs dizaines de pages présentant une multitude de statistiques, tableaux et graphiques, et un deuxième avec les orientations proposées par le gouvernement. Dans le passé, quelques scénarios étaient présentés, mais le gouvernement actuel s’en est tenu qu’à un seul.

Le public, les parties prenantes intéressées, ainsi que les expertes et experts sont invités à soumettre des mémoires dont certains sont sélectionnés pour présentation en personne devant les députés. Le dernier exercice de ce genre a eu lieu il y a exactement un an au mois d’août 2019.

La Ligue de l’Action nationale, organisme qui publie la revue L’Action nationale, un véhicule de la défense des intérêts et de l’indépendance du Québec depuis plus de 100 ans était de la partie à cette occasion. J’ai eu le privilège de contribuer à l’élaboration de son mémoire et de participer à sa présentation.

 

Rappel de quelques constats et positions proposées

Malgré un recueil impressionnant de 82 pages de statistiques publié par le gouvernement en vue de la consultation, aucun lien n’a été fait entre les données et les orientations proposées par le gouvernement. Il n’y avait aucune mention concernant par exemple le contexte linguistique au Québec. Une étude de l’Office québécois de la langue française, publiée récemment, constate que 39,8 % des entreprises québécoises exigent que la personne embauchée ait des compétences linguistiques en anglais et que sur l’île de Montréal, ce pourcentage s’élève à 62,9 %. Il s’agit d’un facteur important à considérer quand on s’attend à ce que les personnes immigrantes adoptent le français comme langue commune et d’usage. Le gouvernement n’a par ailleurs non plus rien présenté sur les contraintes imposées par le contexte canadien ou sur les enjeux administratifs, informatiques et budgétaires qui pourraient influencer l’atteinte des objectifs stratégiques en matière de sélection, d’intégration linguistique ou d’influence positive sur le marché du travail.

Il n’est pas simple de trouver les réponses relatives à des questions portant, par exemple, sur comment mesurer objectivement l’intégration tangible des personnes immigrantes ou quels indicateurs dans les prévisions économiques signalent que, dans un ou deux ans, le Québec aura besoin d’un certain nombre de personnes dans tel ou tel secteur, avec un tel ou tel type de formation.

Pour établir des seuils d’immigration utiles, il faudra des indicateurs permettant de suivre les résultats concrets pour les personnes immigrantes et pour la société québécoise des décisions publiques prises. Des indicateurs reliés au contexte spécifique du Québec, incluant ses valeurs communes et à la précarité linguistique et d’autres permettant de comparer les résultats au Québec avec ceux d’autres sociétés qui accueillent les migrations.

Une fois établi un consensus général sur ces indicateurs, il est fondamental que la collecte, l’analyse, la présentation des informations et des données soient neutres, incontestables et distancées de l’influence politique car, très souvent, les gouvernements sont accusés de manipuler les données pour les aligner avec leurs politiques.

La Ligue de l’Action nationale a proposé de confier cette tâche à l’Institut de la statistique du Québec et ensuite à une commission parlementaire pour analyse et décisions. Ce n’est pourtant pas la nature des mécanismes qui importe, mais le suivi en continu et le principe d’imputabilité, alors que le gouvernement est tenu de rendre compte de l’atteinte de ses objectifs stratégiques. Le nombre de personnes immigrantes admises n’est qu’une mesure opérationnelle et ne suffit aucunement à déterminer l’efficacité de la politique d’immigration dans son ensemble.

Toujours selon le mémoire, la question du nombre de personnes devant être accueillies au Québec est devenue de plus en plus une source de divisions, alors que la désinformation sur « la menace » que constitue « l’immigration massive » circule librement sur les réseaux sociaux et dans certains médias et qu’il devient donc plus important que jamais de chercher le plus grand consensus possible sur la question.

La croissance des migrations mondiales ces dernières décennies est incontestable. Le Québec ne peut y échapper. La bonne gestion de ce phénomène est essentielle pour assurer non seulement le bien-être des personnes qui se déplacent, mais aussi l’intégrité et la cohésion sociale des sociétés qui accueillent.

Il vaut toujours mieux suivre les données pertinentes et l’évolution des tendances, mesurées par les personnes ayant de l’expertise. Le Québec pourra ainsi accueillir avec confiance les personnes qui arrivent et avec qui nous bâtirons ensemble notre avenir.