Les intellectuels, l’indépendance et la course à la chefferie du Parti Québécois

2020/08/28 | Par Pierre Dubuc

La crise du coronavirus entraîne des chamboulements économiques, politiques et sociaux majeurs. Elle agit comme un puissant révélateur de la structure fondamentale du « home rule » concocté par les autorités impériales britanniques. Au Québec, les pouvoirs de proximité (santé, éducation, aide sociale) sous-financés; au gouvernement fédéral, les pouvoirs régaliens et la planche à billets de banque.

La situation nouvelle oblige les intellectuels indépendantistes à revoir leurs plans. Leur première obligation est une rupture radicale avec tous les nostalgiques du Canada français, en démasquant leur projet politique qui, sous des apparences de dépolitisation, n’est autre que le retour du « french power » à Ottawa.

Il n’y a pas de place non plus pour les victimes du syndrome de la « fatigue culturelle ». Qu’ils aillent se coucher ! Aux autres de s’atteler à la constitution d’un « intellectuel collectif » essentiel à un projet politique aussi révolutionnaire que l’est l’indépendance du Québec dans le cadre de l’Amérique du Nord.

 

Les États font la politique de leur géographie (Napoléon)

Le projet ne peut être mené à bien sans une analyse de la place du Québec dans les rapports de force à l’échelle mondiale, en Amérique du Nord et au Canada. Quel est l’impact de la confrontation entre les États-Unis et la Chine? Du nouveau protectionnisme américain? De la chute du prix du pétrole pour le Canada pétrolier?

L’avenir du Québec a toujours été tributaire des grands événements internationaux. La cession du Québec à l’Angleterre par la France, suite à la Conquête, est une conséquence de la Guerre de Sept Ans. Les défaites des Rébellions de 1837-38 découlent du refus de Washington de soutenir les Patriotes par crainte d’une nouvelle guerre avec la Grande-Bretagne après celle de 1812. Et, du côté positif des choses, l’impulsion considérable du « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle sur le mouvement indépendantiste est un fait historique bien établi.

Aujourd’hui, avec le réchauffement de la planète, la fonte des glaces et les perspectives de navigation dans l’Arctique, la question du Nord québécois et des peuples autochtones est une question géostratégique d’une importance cruciale.

Au cœur de l’alliance stratégique à forger avec eux, il y a Hydro-Québec. Emblème du nationalisme économique québécois au cours des années 1960, l’évolution de la société d’État est depuis indissociable de nos relations avec les peuples autochtones.

De leur spoliation lors de la construction de la Manic – un maigre 150 000 $ aux Innus de Pessamit pour le développement d’un réseau de 14 barrages sur leur territoire ancestral – aux milliards et à l’autonomie politique considérable obtenue par les Cris pour un développement d’une ampleur similaire à la baie James, il y a un monde. Aujourd’hui, Hydro-Québec vend à perte l’électricité de la Romaine aux États-Unis, ce qui pose la question de la place du Québec dans la chaîne impérialiste et nous renvoie à notre « modèle » économique.

 

La fin du Québec Inc.

« Maître chez nous » était l’étendard du projet indépendantiste de reconquête économique des années 1960-70. Il se fondait, en grande partie, sur l’émergence d’une classe d’affaires québécoise, la célèbre « garde montante » de M. Parizeau.

Mais, dans un discours prononcé le 18 février 2008 à l’invitation du MEDAC, M. Parizeau déplorait la fin du Québec Inc. Au cours des ans, Bay Street a intégré dans son giron, avec l’aide du gouvernement fédéral, les institutions financières québécoises. De nombreuses entreprises de la « garde montante » sont passées dans des mains étrangères et les deux plus importantes multinationales, SNC-Lavalin et Bombardier, agonisent. Et s’ajouteront bientôt les ravages du COVID-19 sur notre tissu économique.

Un prérequis à l’élaboration d’une stratégie politique est le bilan du Québec Inc., de même qu’une connaissance pointue de l’état actuel de l’économie du Québec. Qui contrôle le Québec? Quelle est la part des multinationales étrangères? Quelles sont nos forces, nos faiblesses? Quel projet économique pour le Québec? Quel rôle pour l’État? Pour ce faire, il faut que nos économistes cessent de perdre leur temps – et le nôtre – dans d’insignifiantes modélisations.

 

Quelles classes sociales porteront le projet indépendantiste?

La connaissance de la structure économique du Québec nous renseignerait sur les classes sociales susceptibles de porter le projet indépendantiste. Au cours des soixante dernières années, le Québec est passé du statut de « nation-prolétaire » à une structure sociale sophistiquée. Au cœur de cette évolution, il y a les progrès considérables de l’instruction primaire et secondaire, qui ont accompagné la démocratisation de pans entiers de la société. 

Cependant, l’accès élargi à l’éducation supérieure a conduit, ici comme ailleurs, à une crise de la démocratie en introduisant une division nouvelle : la stratification éducative. La « méritocratie » et l’élitisme remplacent la démocratie. En témoigne la popularité chez l’élite des subventions publiques aux écoles privées, qui font du système d’éducation québécois le plus inégalitaire au Canada.

Au plan politique, l’élite « méritocratique » a pris le contrôle du Parti Québécois et l’a coupé de sa base populaire. Dans tous les programmes ultérieurs à celui de 2005, les références au monde du travail – et même les mots « travailleurs » et « travailleuses » – ont été biffées. Le financement populaire a été remplacé par un financement étatique. Les sondages ont guidé les choix politiques.

De plus en plus coupé de ses racines populaires, le Parti Québécois s’est choisi des chefs en fonction de l’humeur du jour et en l’absence totale de toute considération programmatique. Pour succéder à un chef soupe au lait, insatisfait d’un taux d’approbation de 76%, les membres ont choisi un jeune pour montrer que le PQ n’était pas le parti d’une génération. Lui a succédé une femme qui a troqué l’objectif de l’indépendance par son ambition personnelle d’être la première femme première ministre du Québec. Puis, les membres jetèrent leur dévolu sur un homme d’affaires, antisyndicaliste notoire, qui a tiré sa révérence à la faveur d’une mésentente conjugale. Enfin, ils acceptèrent de repousser l’indépendance aux calendes grecques pour plaire à un « stratège », dont les talents de debater devaient assurer la prise du pouvoir. Ne manque plus qu’un humoriste !

 

Un intellectuel collectif

Au moment où bougent les plaques tectoniques de la politique mondiale, que le carcan des structures supra-étatiques se fendille, que l’émancipation des petites nations (Écosse, Catalogne, Irlande) est à l’ordre du jour, le Québec régresse dans un nationalisme provincial, suranné et sans avenir.

Au moment où les forces fédéralistes vont profiter de la COVID et de la crise économique pour tronçonner les pouvoirs du Québec, que des milliers de travailleuses, de travailleurs, de petits commerçants et entrepreneurs vont être jetés à la rue, que seront écartés du revers de la main nos acquis sociaux et environnementaux, le Québec est à la recherche d’un nouveau leadership.

Aux intellectuels indépendantistes de relever le défi, de prendre, entre autres, acte de la présence d’une classe ouvrière jusque-là « invisible » – avec pourtant une forte composante de minorités « visibles » – dévouée au service de nos aînés et à l’intégrer dans notre combat pour le Québec libre, français, vert, laïc, égalitaire.

Aux intellectuels indépendantistes de constituer cet « intellectuel collectif » avec pour mandat de développer un programme et une stratégie, basée sur la connaissance approfondie des rapports de toutes les classes de la société et des rapports de celle-ci avec le reste du monde, et de repenser la forme organisationnelle du parti pour lui redonner sa base populaire.

Intellectuels, à vos claviers !

Cet article est d’abord paru dans le numéro de juin de L’Action nationale consacré au 25e anniversaire des Intellectuels pour la souveraineté (IPS0).