Le Canada, les combustibles fossiles et la pandémie

2020/09/17 | Par Saxifrage et Hatch

La contribution suivante provient du National Observer. Cette publication, dont les bureaux sont situés à Vancouver, offre des analyses très pertinentes en matière d’environnement et je crois que l’article qui vous est partagé illustre ce constat très bien. Nous sommes reconnaissants aux auteurs MM. Saxifrage et Hatch, de même qu’à l’éditorialiste du National Observer d’avoir été réceptifs, même enthousiastes, à notre demande de traduction. Bonne lecture.

Monique Pauzé

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Article de Barry Saxifrage et Chris Hatch,  Traduit de l’anglais par Célia Grimard.

La version originale est ici.

Si nous devons envisager une relance économique, celle-ci doit être « verte ». Ce constat a atteint un niveau de consensus partout dans le monde et non seulement de la part des acteurs habituels. 

Économistes récipiendaires de prix Nobel, experts en finances, même la très conservatrice Agence Internationale de l’énergie (International Energy Agency  - IEA) tous exhortent les gouvernements à miser sur le contexte de relance économique pour décarboniser leurs économies.

Et pour cause: après la dernière crise financière, on a assisté à une augmentation record de la combustion de combustibles fossiles.

Observez le premier graphique.

Malgré des décennies de promesses pour prévenir une crise climatique incommensurable, la consommation d’énergies fossiles, première cause de la crise climatique, a connu une croissance constante.

Avec la récession de 2008-2009, on constate la seule chute mondiale de consommation de ces énergies en 30 ans.

Il y avait un espoir, à cette époque, de voir les gouvernements utiliser leurs énormes plans de relance pour concrétiser le passage vers une économie non préjudiciable au climat.

Pour constater ce qui s’est produit, observez ce prochain graphique.

Plutôt qu’une reprise sans danger pour le climat, nous avons assisté à une augmentation sans précédent de la combustion de combustibles fossiles en 2010.

Et chaque année depuis, malgré toutes les manifestations internationales, les assemblées de l’Organisation des Nations Unies, la forte progression dans les développements d’énergies renouvelables, en dépit de tout, l’humanité a continué, d’année en année, de consommer davantage de combustibles fossiles.

En 2020, la pandémie du coronavirus n’épargne aucune région du monde.

Selon un rapport de l’IEA, la contraction économique mondiale qui en résultera fera diminuer la combustion de combustibles fossiles d’environ 8 % cette année, comme le montre le pointillé bleu dans le graphique.

Qu’arrivera-t-il par la suite? Selon l’IEA, on peut s’attendre à un rebond comparable des émissions après la crise à moins que les gouvernements s’efforcent de mettre la transition vers des énergies propres au cœur de la reprise économique.

Non seulement une relance économique s’avère une occasion pour accélérer la transition vers une économie carboneutre, il est aussi primordial que nous ne plongions pas plus rapidement et davantage dans la zone dangereuse, comme nous l’avons fait après la dernière récession. Après tout, le climat se fiche de tout ce qu’on déploie en matière de technologies propres… Ce qui importe, c’est la quantité de carbone accumulée dans l’atmosphère à partir des combustibles fossiles que nous consommons.

Donc, la question qui s’impose pour chaque gouvernement devient la suivante : quel montant d’argent consacrez-vous aux énergies fossiles dans un contexte de relance économique post-pandémie?

Heureusement, une nouvelle coalition s’est formée pour effectuer un suivi sur les réponses à cette question auprès des plus grandes économies du monde. Nous avons pris les données compilées par Energy Policy Tracker et créé des graphiques illustrant les nouveaux soutiens gouvernementaux aux énergies fossiles, et ce, pour chacun des pays membres du G20 depuis les débuts de la crise de la COVID-19. (Notez que par souci d’équité dans le traitement comparatif par pays, les graphiques sont uniformisés avec des valeurs en dollars américains, par personne.)

Comme vous constaterez dans ce premier graphique du G20, les Canadiens sont au sommet en ce qui touche le soutien à l’industrie fossile. Le Canada a consacré presque 10 fois plus que la moyenne des autres pays membres du G20 (par personne) aux énergies fossiles. Un total à ce jour qui se chiffre à $12 milliards en argent frais. En ce moment, seule la France, avec son sauvetage d’Air France, est arrivée à dépenser davantage (par personne).

Vous constaterez aussi que nous avons ajouté un point vert au sommet de la colonne représentant le Canada : il s’agit des sommes d’argent que les gouvernements canadiens ont consacré aux énergies dites « propres » (toujours par personne). Nous pourrions élaborer sur ces données, mais nous croyons que la priorisation qui est faite est éloquente.

À présent, prenons une pause pour faire quelques constats.

Le Canada a consacré presque 10 fois plus que la moyenne des autres pays membres du G20 (par personne) aux énergies fossiles, pour un total de $12 milliards depuis le début de la pandémie.

Premièrement, il s’agit d’un « compte cumulatif » des montants d’argent consacrés depuis le début de la pandémie : des montants vont donc s’ajouter à ce compte, tant pour les énergies renouvelables que fossiles, au fur et à mesure que de nouvelles politiques seront annoncées. La coalition met à jour son outil de suivi tous les mercredis.

Deuxièmement, Le Energy Policy Tracker effectue seulement le suivi des sommes explicitement consacrées au secteur de l’énergie. Les dépenses plus générales qui sont au bénéfice du secteur de l’énergie aux côtés d'autres secteurs d’activités économiques, ne sont pas représentées. Donc, nous pouvons conclure que le soutien au secteur de l’énergie est beaucoup plus significatif.

Enfin, comme le rappelle la coalition, ces engagements faits avec de l’argent public s’ajoutent à de nombreuses autres politiques gouvernementales qui existaient avant la pandémie de la COVID-19.

Revenons aux graphiques.

Vous pourriez vous questionner sur les détails derrière ces données. Le prochain graphique montre les trois premières catégories vers lesquelles les pays dirigent leur soutien aux énergies fossiles : l’aviation, le transport terrestre (comprenant le soutien aux véhicules à essence et diesel, de même que les projets autoroutiers, ponts et échangeurs) et l’industrie des énergies fossiles elle-même.

L’industrie de l’aéronautique est celle qui reçoit le plus d’argent public, directement dans son activité de consommation de carburant.

Or, à ce stade-ci, les gouvernements canadiens ont certainement dédié le plus de fonds publics directement à l’industrie des énergies fossiles.

Une chose que vous pourriez constater est le fait que, malgré toutes les nouvelles concernant le sauvetage des industries du charbon et du pétrole et du gaz aux mains de Donald Trump, peu d’argent a effectivement été confirmé de la part du gouvernement américain.

 

Effectivement, le soutien de l’administration Trump envers ces secteurs vient sous la forme de déréglementations.

Cet enjeu a largement été critiqué aux États-Unis, donc le prochain graphique illustre le nombre de politiques supplémentaires qui profitent aux combustibles fossiles, mais pour lesquelles l’investissement public n’est pas quantifié

Pour le Canada, nous avons inclus le nombre de politiques pour l’énergie propre: une seule pour le moment, la barre verte au sommet.

De toute évidence, une surveillance médiatique nationale devrait être orientée sur ce sujet, d’autant plus à la lumière des déréglementations importantes sur les suivis environnementaux qui se sont concrétisées récemment pour le secteur des sables bitumineux.

Le Energy Policy Tracker observe les politiques gouvernementales nationales et infranationales. Au Canada, les provinces jouent un rôle démesuré : c’est ce que présente le prochain graphique.

Ici nous avons enfin des nouvelles plus réjouissantes. Le gouvernement fédéral aurait accordé une plus haute priorité au soutien des énergies propres que ce que suggèrent les données nationales.

Et la part du lion de ce soutien aux énergies fossiles est dédiée vers les travaux de nettoyage des puits abandonnés : une subvention directe vers l’industrie pétrolifère et gazière certes, mais qui au moins comporte l’argument de l’intérêt public.

L’Ontario injecte le double de ce que le fédéral consacre au soutien des énergies fossiles en achetant des centrales électriques qui s’alimentent aux sources d’énergies fossiles, en sus des dépenses de presque $2 milliards dédiés aux routes et ponts.

L’Alberta a engagé plus de trois fois les sommes fédérales via ses soutiens d’investissements directs dans le projet d’oléoduc Keystone XL en plus de se porter garante de ses prêts l’année prochaine.

Ce qui encore plus frappant, c’est que, par souci de cohérence, nous avons maintenu la valeur par personne, par Canadien. Il faut voir ici qu’avec les engagements provinciaux par citoyen d’une province seraient beaucoup plus élevés. À titre d’exemple, le soutien de l’Alberta se chiffrerait à $1,370 par citoyen albertain. On déborde du graphique!

Si vous aimeriez voir comment ces deux provinces se comparent à l’ensemble des pays du G20 (en utilisant les chiffres modérés, par citoyen), jetez un coup d’œil à ce graphique...

Nous avons divisé la colonne du Canada pour illustrer les engagements financiers pour l’énergie de l’Alberta, de l’Ontario et du gouvernement fédéral ainsi que la destination de cet argent. Vous pouvez faire des comparaisons avec les autres grandes économies du monde.

À elles seules, les provinces de l’Alberta et de l’Ontario atteignent presque le sommet des graphiques portant sur le G20 et les énergies fossiles.

Pour conclure cet aperçu brutal de l’aide du gouvernement du Canada envers l’énergie fossile en période de pandémie, rappelons-nous que la situation n’est pas une anomalie attribuable à la COVID-19.

Comme le montre le dernier graphique, lorsqu’il s’agit de la consommation annuelle de combustibles fossiles, le Canada arrive deuxième après l’Arabie saoudite dans le G20, (toujours par personne).

Les deux pays se situent dans la tranche du 1% mondialement, consommant plus de combustibles fossiles que 99 % de l’humanité. Contrairement à nos homologues des États-Unis, de l’Union européenne et du Royaume-Uni, nous n’avons aucunement entrepris de réduire notre consommation.

Les mesures vertes seraient certainement préférables à une augmentation de l’aide pour les combustibles fossiles; mais, il est encore plus important que nous commencions à éteindre le feu qui fait rage. Le Canada n’a pas encore de plan pour honorer les engagements qu’il a pris via les Accords de Paris, sans parler de la promesse du gouvernement fédéral d’accomplir  la carboneutralité d’ici 2050.

Donc, oui, si un plan de relance post-pandémie est une nécessité, celui-ci doit être vert. Consacrons nos énergies pour éteindre le brasier qui fait rage.