Dawson et McGill : Les anglos se donnent Legault

2020/09/28 | Par Philippe Lorange

L’auteur est étudiant en Science politique et philosophie à l’Université de Montréal

À quoi joue François Legault? C’est ce qu’on se demande lorsqu’on apprend qu’il soutiendra l’agrandissement du collège Dawson comme projet prioritaire, dans le cadre du projet de loi 66. Nous savons que le réseau collégial anglophone détient déjà un pouvoir totalement disproportionnel au nombre d’anglophones au Québec. Dawson est si populaire que son administration a le luxe de trier les candidatures pour ne garder que les meilleurs. C’est ainsi que les institutions anglophones gagnent en prestige au détriment des cégeps français, qui récupèrent les refusés.

Pour simple rappel, les cégeps anglais ont d’abord et avant tout été conçus pour garantir un enseignement aux anglophones. Ils n’auraient jamais dû avoir comme vocation d’accueillir une majorité d’élèves francophones et de supplanter le réseau collégial français. Les conséquences sont connues : les élèves qui passent par le cégep anglais ont beaucoup plus de probabilité de travailler en anglais au sortir de leurs études que lorsqu’ils suivent une formation en français.

Mais ce n’est pas tout : dans le même projet de loi, le Premier ministre autorise le don du site de l’ancien hôpital du Royal Victoria à l’Université McGill, qui souhaite depuis longtemps y construire un nouveau complexe scientifique. Un cadeau qui dépasse le demi-milliard, pour une université qui n’avait déjà pas de quoi crier faim. Il est inutile d’ajouter que l’anglicisation du réseau universitaire n’aide en rien à contrer les méfaits du réseau collégial anglais surpuissant. On savait que le réseau d’établissements postsecondaires s’assimilait à l’anglais à vitesse grand V, mais on était encore ignorant que le « nationalisme » caquiste allait participer à l’accentuation de ce problème. Bref, les anglos se donnent Legault!

Soyons gentils : Legault a pris ici une très mauvaise décision. S’il n’avait pas entrepris des gestes-clés d’affirmation de la nation québécoise, à l’exemple de la loi 21, on serait en droit de se demander s’il n’a pas basculé dans le camp des canadianistes purs et durs qui souhaitent voir le Québec français s’éteindre à petit feu. Car l’homme n’en est pas à ses premières actions hasardeuses. Son incapacité, par exemple, à maintenir une baisse significative des seuils d’immigration et à adopter une politique de natalité, promise en élection, démontre une incompréhension, sinon un aveuglement volontaire face à la catastrophe démographique qui est en cours dans le grand Montréal.

La CAQ est passée au code rouge : ce parti travaille maintenant contre les intérêts vitaux du peuple québécois, à présent qu’il est pleinement dominé par son aile libérale. En 2018, Legault se vantait par ailleurs qu’au moins la moitié de ces candidats étaient d’anciens libéraux. On comprend maintenant qu’avec une telle importance numérique, il n’était qu’une question de temps avant que ces derniers n’imposent leur vision fédéraliste et anglophile au sein de la formation. Un panier bleu et une loi sur la laïcité ne font pas un nationalisme. En revanche, des décisions aussi déstructurantes pour le Québec que celles annoncées dans le projet de loi 66 font un antinationalisme.

C’est à se demander si François Legault sait qu’il travaille non seulement contre les intérêts de sa patrie, mais aussi de son propre parti. D’ici 2036, selon les projections de Statistiques Canada, nous savons que le taux de francophones au Québec devrait chuter de 10 points de pourcentage par rapport au dernier recensement, pour se situer à 69%. Historiquement, le Québec a toujours réussi à garder une majorité francophone de 80% et plus : ce renversement est donc inédit. Puisque le problème linguistique est surtout métropolitain, le grand Montréal n’aura plus rien à voir avec le reste du Québec. L’élection d’un gouvernement caquiste, largement soutenu par la majorité historique francophone, deviendra ainsi impossible. Les appuis soviétiques qu’accordent les anglophones et les allophones au parti libéral garantiront leur réélection ad vitam aeternam.

La CAQ a encore le temps de se rétracter, et elle doit le faire. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois depuis le début de son mandat qu’elle recule, c’en est presque devenu un modus operandi. On sait Legault pressé de mener des réformes, encore faut-il qu’il ne mêle pas ses pinceaux et sache encore manier le bleu du nationalisme. Pour le moment, rien ne nous indique qu’il règlera ce problème de taille. Au contraire, peut-être a-t-il franchi un point de non-retour.