Face-à-face Trump-Biden: ça, c'est du bon débat!

2020/10/01 | Par Justin Peters

Donald Trump et Joe Biden lors du premier débat de la présidentielle américaine, à Cleveland dans l'Ohio, le 29 septembre 2020.

Traduit par Bérengère Viennot, paru sur le site Slate, le 30 septembre 2020

Modération subtilement efficace, président totalement barré: le premier débat de la présidentielle américaine entre Donald Trump et Joe Biden est loin d'être un échec.

Les critiques du premier débat entre Donald Trump et Joe Biden ne sont pas bonnes. Le présentateur d'ABC George Stephanopoulos a asséné que c'était le pire débat qu'il ait jamais vu de sa vie. D'aucuns questionnent ouvertement la pertinence de nous infliger d'autres exercices de ce type pendant cette campagne, compte tenu de la mauvaise qualité de celui-ci. «Le peuple américain a perdu. C'était épouvantable», a déploré le journaliste Jake Tapper sur CNN. «Nous sommes sur le câble, alors je peux le dire: c'était le bordel absolu», a surenchéri Dana Bash, correspondante politique pour CNN.

Un bordel absolu, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Le premier débat présidentiel des élections de 2020 fut à la fois épuisant et démoralisant. Pendant quatre-vingt-dix minutes, Trump n'a cessé d'interrompre et de rabaisser tour à tour Biden et le modérateur de la chaîne Fox News, Chris Wallace. Lorsqu'il ne leur coupait pas ostensiblement la parole, il faisait de son mieux pour verrouiller le vote des électeurs et des électrices maniaco-ignorantes.

Il a refusé de condamner la suprémacie blanche. Il a débité des théories complotistes sans fondement. Il s'est attribué le mérite de choses qu'il n'a pas faites et a menti sur ce qu'il a réellement fait. Il a littéralement encouragé ses partisan·es à se rendre dans les bureaux de vote pour surveiller la fraude électorale. Le président a révélé de façon probante qui il était vraiment à tout le pays –et si je comprends très bien qu'on puisse ne pas avoir envie de s'infliger deux autres débats, c'est justement pour ça que celui-ci était bon.

 

Du fact-checking à l'intérieur des questions

Pendant presque quatre ans, Donald Trump a réussi à esquiver les opinions contestataires et à laisser entrer très peu de la lumière extérieure dans son cloître d'abruti·es. Il a fréquenté les médias en dictant ses propres termes, dans le cadre d'événements où il faisait de l'obstruction si les questions étaient difficiles et obtenait des questions fastoches de la part de journalistes courtois·es. Il a cultivé les lèche-bottes crédules au sein de la rédaction divisée de Fox News et s'en est servi pour communiquer ses messages erronés et intéressés. Depuis qu'il est président, jamais encore il n'avait été remis en question sur la durée par un opposant hostile et un modérateur qualifié. Confronté à ces deux choses, il a craqué.

Chris Wallace, le modérateur, a déployé des efforts surhumains pour inciter Trump à rester concentré et à livrer des réponses honnêtes. Certes il n'a réussi à faire ni l'un ni l'autre, mais il n'a jamais lâché l'affaire et pour cela, il mérite applaudissements et sympathie. À un moment, on l'a senti à deux doigts de lever les bras au ciel et de crier sur Trump qui ne respectait pas les règles de base du débat:

Je crois qu'il serait plus respectueux pour le pays si les deux intervenants pouvaient parler en étant moins interrompus. Je vous prie, Monsieur, de bien vouloir vous y plier.
Et lui aussi.
Eh bien, honnêtement, vous lui coupez davantage la parole que lui.
D'accord. Mais il coupe beaucoup la parole.
Non, moins que vous.

Les supporters de Trump les plus atteints brandiront cet échange comme une preuve que Wallace était dans le camp de Biden. Tous les autres gens au rendez-vous devant leurs écrans ce soir-là s'en souviendront comme d'une preuve que Trump est vraiment un pauvre type.

J'avoue qu'avant le début du débat, je n'attendais pas grand-chose de la part de Wallace –dont j'admire et respecte le travail dans son ensemble. Mardi [29 septembre] après-midi, j'ai de nouveau regardé celui qu'il avait modéré en 2016 entre Donald Trump et Hillary Clinton. Il n'avait pas été très bon. Certes, il avait préparé des questions pertinentes à la fois pour Trump et pour Clinton, mais il avait été constamment détourné du sujet par un Trump ingérable occupé à passer tout le débat à les écrabouiller tous les deux, et il l'avait laissé faire.

Wallace n'a pas toujours réussi à coincer Trump, mais il n'a jamais cessé d'essayer.

Cette année, l'animateur de l'émission «Fox News Sunday» était mieux préparé à affronter les tactiques de Trump. Avant le débat, Wallace a affirmé que selon lui, vérifier la véracité des faits avancés pendant le débat ne relevait pas de ses fonctions. Et il ne l'a pas vraiment fait dans le sens où il n'a pas rectifié directement ce que disaient les orateurs. À la place, Wallace a fait du fact-checking à l'intérieur de ses questions.

«Vous n'avez pas proposé de projet exhaustif pour abroger et remplacer l'Obamacare. Ma question, Monsieur, est la suivante: en quoi consiste le plan de santé Trump?», a demandé Wallace au début du débat. «Vous avez constamment contredit et été en décalage avec certains des meilleurs scientifiques de votre propre gouvernement», a-t-il avancé pendant la partie Covid-19 du débat. «Qu'est-ce qui est radical dans les formations à la sensibilité raciale, Monsieur?» a-t-il demandé après que Trump a poussé un coup de gueule sur le sujet.

Wallace n'a pas toujours réussi à coincer Trump, mais il n'a jamais cessé d'essayer: «Monsieur, je vous pose une question précise. Non, Monsieur le président, je vous ai posé une question. Allez-vous nous dire le montant de l'impôt fédéral que vous avez acquitté en 2016 et 2017?» («Des millions de dollars», a insisté Trump, en totale contradiction avec l'article du New York Times selon lequel il n'a payé que 750 dollars.)

Plus tard, Wallace a contredit Trump qui rabâchait que l'augmentation du taux de criminalité de l'été passé était exclusivement l'apanage des villes gérées par des Démocrates en demandant: «On a noté des augmentations équivalentes dans des villes gérées par des Républicains, comme Tulsa. Est-ce vraiment un problème de politique partisane?» Dans ce genre de moments, grâce à ce type de questions et d'observations, Wallace a offert aux spectateurs et spectatrices une lumière et un contexte nécessaires.

 

Un révélateur

L'incapacité de Trump à proposer des réponses cohérentes à ces questions pourtant simples crevait les yeux et il me semble en tout cas qu'elle a mis efficacement en exergue à quel point Trump n'a absolument rien de consistant à raconter. Il dissimule sa superficialité sous des railleries et de la grandiloquence, et en général cela lui permet de s'en sortir, bien souvent parce que ses interlocuteurs finissent par conclure qu'il ne vaut mieux pas se donner la peine de le contredire.

Mais cette fois, Wallace et Biden ont tous les deux résisté, sans baisser les bras, et cet échange en a dit beaucoup sur le choix que les électeurs et électrices vont devoir faire en novembre. Certes c'était un cauchemar à regarder, mais cela n'en a pas moins dit quelque chose d'indélébile sur la véritable personnalité du président.

Ce qu'on a vu mardi soir a étalé au grand jour le choix auquel sera confronté l'électorat en novembre.

«Mais je la connaissais déjà, la personnalité du président», pensez-vous? Eh bien, ce débat n'était pas pour vous. Ce débat était destiné aux quelques personnes qui n'avaient pas d'opinion très arrêtée sur ces messieurs Trump et Biden –sur ce qu'ils sont et ce qu'ils défendent. Ce qu'on a vu mardi soir a sans aucun doute clarifié cette question et a également étalé au grand jour le choix auquel sera confronté l'électorat en novembre. D'un côté, vous avez le chaos, le cynisme et la calomnie. D'un autre côté, vous avez Joe Biden, qui bredouille un peu, parfois. À présent, la différence est nette. Tous les électeurs et électrices indécises peuvent le voir.

La plupart des débats présidentiels sont horribles. C'est dans leur ADN. Le format d'échanges en rafales est plus un jeu télévisé qu'autre chose et les candidat·es ont tendance à recourir à la langue de bois et à des formules toute faites. Ça aussi, on l'a vu mardi soir, mais ç'a été plus révélateur qu'autre chose. Désolé pour les expert·es des infos qui se lamentent sur la «honte» incarnée par le débat de mardi soir: on en veut d'autres, des comme ça, merci!