Le BAPE se laissera-t-il berner par GNL Québec?

2020/10/05 | Par Clément Fontaine et Jean Paradis

Au terme de la première semaine d’audiences du BAPE sur Énergie Saguenay, les débats se sont écartés de l’objectif premier de l’exercice, c’est à dire l’évaluation des mérites du projet sur le plan environnemental, pour aborder son potentiel de rentabilité économique.

Les porte-paroles de GNL Québec soutiennent que leur projet serait viable même sans subvention publique. Difficile d’y croire après le retrait en mars dernier de leur investisseur vedette, Warren Buffett, suivi d’une dégringolade du marché des hydrocarbures dans le sillage de la pandémie. En outre, plusieurs lobbyistes de l’entreprise ont reçu en 2019 le mandat de solliciter l’aide financière du gouvernement, qui s’est déclaré ouvert à cette possibilité.

Nous savons déjà que le complexe de liquéfaction de La Baie bénéficierait d’un tarif préférentiel pour l’électricité fournie par Hydro-Québec. Certes, tout nouveau projet de transformation de matières premières nécessitant des investissements importants peut en principe recevoir cette aide, mais dans le cas présent l’État québécois utiliserait une ressource renouvelable propre pour financer l’exportation d’une énergie fossile écologiquement équivalente au pétrole des sables bitumineux de même provenance, naguère décrié par le PM Legault.

Un gaz issu en quasi totalité de la fracturation hydraulique, similaire au gaz de schiste que le précédent gouvernement Libéral a renoncé à exploiter sur le territoire québécois.

Et tout indique que Énergie Saguenay ne ferait que déplacer les sources d’approvisionnement des hydrocarbures sur l’échiquier international, sans réduire d’un iota les émissions de CO2 génératrices de GES. Le contraire qui risque même de se produire.

GNL Québec a cru marquer des points en présentant par vidéo-conférence une intervention de Nicolas Mazzucchi, spécialiste français des enjeux liés à l’énergie. Ce consultant prétend qu’il y a une pénurie sur les marchés qui justifierait l’apport du GNL canadien, alors que de nombreuses autres sources d’information dignes de foi affirment le contraire. Ainsi, selon l’organisme IFP Énergies nouvelles, l’analyse des principales tendances des marchés du gaz naturel dans le monde pour le 2e trimestre 2020, réalisée par la firme indépendante Cedigaz, indique que le prix du gaz sur les marchés a chuté en raison d’une baisse de la demande, et « le surplus gazier mondial s’est encore accentué ».

Dans sa présentation, M. Mazzucchi confirme d’ailleurs que la production de GNL Québec destinée à l’Europe pourrait, au lieu de remplacer le charbon, servir à supplanter celle de pays situés plus près, à commencer par la Russie, premier exportateur mondial de gaz naturel. Le complexe de liquéfaction de La Baie, financé par des milliardaires américains, permettrait ainsi de « libérer » une partie de l’Europe de sa dépendance envers le principal concurrent des États-Unis.

Cette perspective confirme les craintes exprimées par plusieurs observateurs depuis le dépôt du projet, à savoir l’instrumentalisation d’Énergie Saguenay à des fins géopolitiques dans le cadre d’une guerre commerciale entre deux grandes puissances mondiales.

Trois autres pays au Moyen Orient surpassent les États-Unis en ce qui a trait aux réserves de gaz naturel : l’Iran, le Qatar et le Turkménistan. Tous sont beaucoup mieux placés pour approvisionner éventuellement la Chine et l’Inde, autres principaux clients ciblés par GNL Québec.

Le développement durable et la lutte aux changements climatiques font figure ici de trompe-l’œil. Le gaz des provinces de l’Ouest canadien est plus polluant et coûteux à extraire que celui des gisements conventionnels encore disponibles ailleurs dans le monde, et qui dans bien des cas peut être transporté par des gazoducs déjà existants plutôt que par une flotte de bateaux surdimensionnés.

Reste à voir si le BAPE saura dénoncer cette supercherie et si, dans l’affirmative, le gouvernement caquiste tiendra compte de ses recommandations au lieu de se laisser obnubiler par des promesses de création de richesse.