D’octobre 1970 à octobre 2020

2020/10/09 | Par Pierre Dubuc

« Nous croyions que la révolution était pour bientôt », écrivait Pierre Maheu pour décrire l’air du temps des années 1960 dans son bilan de la revue Parti pris.

Ces paroles du principal animateur de la revue sont rapportées dans la nouvelle édition du livre FLQ. Histoire d’un mouvement clandestin (vlb éditeur) de Louis Fournier. Maheu ajoutait qu’on trouve dans cet espoir révolutionnaire « ce qu’il y a eu de meilleur » dans Parti pris, mais également son « erreur la plus manifeste ».

Le livre de Louis Fournier, le film Les Rose de Félix Rose, de même que la série documentaire Le dernier felquiste des journalistes Antoine Robitaille et Dave Noël, réalisée par Flavie Payette-Renouf, Félix Rose et Éric Piccoli, témoignent bien de l’engagement et de l’intrépidité de ces militants felquistes, la très grande majorité d’origine ouvrière. Le FLQ était l’incarnation québécoise d’une violence politique qui explosait partout dans le monde (Black Panthers aux États-Unis, IRA en Irlande, ETA au Pays basque, Tupamaros en Uruguay, en Palestine, en Algérie et à Cuba), tout en étant d’abord et avant tout inspiré par la lutte armée des Patriotes, comme le rappelle avec justesse Louis Fournier.

Les felquistes faisaient preuve d’une incroyable audace.  Il y a eu les enlèvements de Cross et Laporte, mais de multiples autres actions stupéfiantes. Robert Hudon raconte dans Le dernier felquiste le rocambolesque raid dans la caserne des Fusiliers Mont-Royal à Montréal qu’ils ont vidé de son arsenal à l’aide d’un camion : 59 fusils-mitrailleurs, 4 mitrailleuses, 34 mitraillettes, 3 lance-roquettes, 17 000 balles, etc., selon le décompte de Fournier. Mais, au bout du compte, les felquistes se sont butés à une violence plus grande, celle de l’État canadien avec son armée et sa Loi des mesures de guerre.

 

Le drapeau des Patriotes

Le contexte international et national actuel est aux antipodes de celui des années 1960. Des concepts comme l’internationalisme prolétarien, les luttes de libération nationale n’ont plus cours et ont été remplacés par le « populisme » et l’islamisme politique. Le camp socialiste n’existe plus. Peu importe comment on qualifiait l’Union soviétique (communiste, révisionniste, social-impérialiste, etc.), la donnée fondamentale était la présence de deux marchés économiques qui s’excluaient mutuellement. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un seul marché mondial capitaliste qui a intégré la Russie et la Chine dans le grand jeu des rivalités impérialistes.

Au Québec, le nationalisme économique est réduit à la partie congrue, emmurer dans les traités de libre-échange. Au plan politique, le Parti Québécois ne compte plus que 35 000 membres, comparativement à 300 000 dans les années1960-1970. Québec solidaire ne récolte que 11 % des intentions de vote. La CAQ vient de montrer son vrai visage avec l’octroi de 750 millions $ pour l’agrandissement des campus de Dawson et McGill. Qui plus est, sa mauvaise gestion de la pandémie – le Québec a un des pires bilans à l’échelle de la planète – rend le Québec extrêmement vulnérable à une offensive fédérale dans ses champs de compétence.

Significativement, la dernière manifestation pour le climat a été éclipsée par les manifestations contre le port du masque, qui réunissent un étonnant aréopage de nationalistes identitaires, de libertariens et de gauchistes, brandissant pêle-mêle les drapeaux du Québec et du Canada à l’envers, des États-Unis… et des Patriotes ! Il vaut la peine de s’y arrêter.

Des sites Internet de droite et de gauche, qui appellent à cette mobilisation, partagent curieusement la même analyse d’un complot mondial ourdi par une poignée de dirigeants d’entreprise, principalement du Big Pharma (vaccins) et du GAFAM (5G) qui agissent secrètement pour dominer le monde et soumettre les populations.

Que l’extrême-droite propage de telles théories n’a rien d’étonnant. Elles s’inspirent des Protocoles des Sages de Sion, un texte paru d’abord en Russie au début du XXe siècle qui décrivait un programme juif de conquête du monde. Adolf Hitler s’en réclamait et il a inspiré les théories des milieux suprémacistes blancs aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Des groupes et des sites Internet identifiés à la gauche diffusent également le même discours du complot mondial en l’habillant frauduleusement de références « marxistes », dont plus particulièrement au classique de Lénine L’impérialisme, stade suprême du capitalisme

Dans ce livre, Lénine combat, au contraire, l’idée d’un « ultra impérialisme » véhiculée à son époque par Karl Kautsky. Selon lui, les relations entre les grands groupes financiers, les grandes puissances reposent sur la force respective de ceux qui prennent part au partage du monde. Or, ces forces respectives « varient d’une façon inégale, car il ne peut y avoir en régime capitaliste de développement uniforme des entreprises, des trusts, des industries, des pays ».

La théorie de « l’ultra-impérialisme » pouvait présenter une certaine vraisemblance après la chute du mur de Berlin. Les idéologues de l’impérialisme américain célébraient la venue d’un monde « unipolaire » dominé outrageusement par les États-Unis en proclamant la « fin de l’Histoire ». Mais la loi du développement inégal sous le capitalisme s’est une nouvelle fois vérifiée avec le déclin relatif des États-Unis et la montée de la Chine.

Le danger auquel nous faisons face n’est pas la domination du monde par une poignée de capitalistes, mais bien de guerres commerciales qui se transforment en conflits armés. En fait, la situation actuelle présente beaucoup de similitudes avec celle qui prévalait à la veille de la Première Guerre mondiale.

Dans ce contexte, la présence acceptée dans les manifestations anti-masques de personnes brandissant le drapeau américain et des pancartes pro-Trump doit nous inquiéter. Au cours des années 1960, la jeunesse révolutionnaire québécoise brûlait le drapeau américain et dénonçait la guerre de Washington contre le Vietnam.

Dernièrement, le militant noir américain Idris Robinson, impliqué dans la mobilisation contre le racisme sous la bannière « Black Lives Matter », prônait la fragmentation des États-Unis pour l’affaiblir, tant au plan interne qu’à l’étranger, et créer les conditions d’un réel changement social. Des forces plus modérées pourraient en venir à la même conclusion devant la mainmise de la droite et de l’extrême-droite sur les institutions américaines. L’électorat conservateur républicain dominant dans les petits États est favorisé par le système des grands électeurs lors de l’élection présidentielle. De même, l’élection de deux sénateurs par État, peu importe la population, assure leur mainmise sur le Sénat et, par voie de conséquence, sur la nomination des juges à la Cour suprême.

Le « checks and balance » entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, tant vanté du système politique américain, ne fonctionne plus. De plus en plus, l’opposition viendra des États plus progressistes comme la Californie, qui ne voudront plus se soumettre aux diktats de Washington. Des forces centrifuges sont déjà à l’œuvre. Elles auront immanquablement leur effet sur le Canada. Le Québec pourra en tirer profit à la condition de se rallier sous le drapeau des Patriotes, comme les felquistes l’ont fait à leur époque, plutôt que sous celui des États-Unis de Donald Trump.