Pour une réforme en santé et sécurité du travail

2020/10/21 | Par Collectif syndical

Jacques Létourneau, Daniel Boyer, Sonia Ethier et Luc Vachon Respectivement présidents de la CSN, de la FTQ, de la CSQ et de la CSD*

* CSN : Confédération des syndicats nationaux ; FTQ : Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec ; CSQ : Centrale des syndicats du Québec ; CSD : Centrale des syndicats démocratiques

En 1979 et en 1985, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) ainsi que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) entraient respectivement en vigueur.

Lors de leur adoption, ces lois constituaient de réelles avancées pour les travailleurs. Le Québec pouvait se targuer avec raison de figurer parmi les chefs de file en matière de santé et de sécurité du travail.

Or, depuis leur adoption, ces lois n’ont pas évolué ; avec la pression accrue occasionnée par la pandémie, il devient plus qu’urgent de déposer auprès des parlementaires le projet de réforme législative du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, maintes fois promis et reporté. Car, faut-il le rappeler, les lacunes du régime actuel sont criantes.

Encore aujourd’hui, 75 % des travailleurs ne bénéficient d’aucun des mécanismes de prévention pourtant prévus à la loi.

Ces derniers sont en effet réservés à un nombre restreint de secteurs. Des mesures aussi simples que la présence d’un représentant à la prévention choisi par ses pairs restent ainsi hors de la portée de la majorité de la main-d’œuvre québécoise. Nous sommes d’ailleurs d’avis que si tous les milieux de travail avaient pu bénéficier d’un représentant à la prévention et d’un comité paritaire en bonne et due forme, nous aurions été en mesure de réduire la propagation de la COVID-19 dans les milieux de travail. Nous n’avons qu’à prendre en exemples le réseau de la santé et des services sociaux et celui de l’éducation, qui sont actuellement au front pour affronter la crise et qui n’ont recours à aucun mécanisme de prévention prévu à la loi. Il est ainsi autant nécessaire qu’urgent d’assujettir la totalité des milieux de travail au régime de santé et sécurité du travail.

La réforme tant attendue en santé et sécurité du travail doit également être l’occasion de mettre à jour la liste des maladies professionnelles reconnues par le régime de santé et sécurité du travail. Cette liste, en dehors de laquelle tout le fardeau de la preuve repose sur le travailleur, n’a jamais été revue depuis plus de 30 ans. Tout comme les machines et les processus de production ont évolué, les maladies professionnelles se sont également transformées avec le temps. Il est par ailleurs éloquent qu’aucune maladie d’ordre psychologique ne figure sur cette liste alors que les travailleurs du Québec sont confrontés plus que jamais à des enjeux de santé mentale. Les avancées de la science en cette matière doivent être reconnues par notre cadre légal.

Le renforcement des mesures de prévention pour éliminer les risques sur la santé et la sécurité du travail sera d’ailleurs freiné par un manque d’inspecteurs à la CNESST si rien n’est fait pour combler ce manque. Le Québec, toutes proportions gardées, ne peut en effet compter que sur la moitié du nombre d’inspecteurs recommandé par l’Organisation internationale du travail. La volonté du ministre Boulet d’utiliser temporairement des ressources d’autres ministères en temps de pandémie ne résout malheureusement pas le problème criant de manque d’inspecteurs auquel le gouvernement doit remédier.

Le mode de financement du régime de santé et de sécurité du travail doit finalement être entièrement revu.

À l’origine, celui-ci était conçu de façon à pénaliser les employeurs fautifs en les faisant payer davantage s’ils cumulaient un nombre trop important de réclamations. Mais plutôt que de veiller à corriger la situation en réglant le problème à la source, nombre de ceux-ci préfèrent contester à tous les niveaux possibles toute forme de réclamation. On assiste ainsi à une judiciarisation des dossiers au détriment des efforts de prévention. Cette dynamique malsaine contribue amplement à l’engorgement des tribunaux administratifs et du fonctionnement même de la CNESST. Pour les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ce dédale de contestations est un véritable calvaire qui s’ajoute au stress entraîné par la maladie ou l’accident de travail.

Nous pouvons comprendre que l’agenda législatif du gouvernement ait pu être bousculé par la pandémie. Mais nous voici devant une réelle occasion d’améliorer en profondeur et de manière pérenne la santé et la sécurité des travailleurs. La pandémie a d’ailleurs révélé ce que nous savions déjà : la LSST et la LATMP sont désuètes et comportent d’énormes failles. Il est urgent de les moderniser.