Banque Laurentienne : encore un fleuron québécois qui se délite

2020/10/22 | Par Pierre Beaulne

Lors du remaniement à la direction de la Banque Laurentienne, les médias ont braqué les projecteurs sur la nomination de Rania Llewellin, issue de la Banque Scotia, comme première femme à la tête d’une banque canadienne, ce qui mérite certes d’être souligné.

Encore que Jeannine Guillemin Wood (nommée « homme du mois » par la revue Commerce en 1976) ait été la première femme nommée présidente du conseil d’administration d’une banque, en l’occurrence cette même Banque Laurentienne. Ou Monique Leroux qui a dirigé le Mouvement Desjardins de 2008 à 2016. Mais ce que cette nomination concrétise avant tout c’est l’emprise croissante de la finance de Bay Street sur les destinées de la Banque Laurentienne.

Pour saisir la dynamique en cours, il faut remonter au tournant des années 1990 quand la BL a fait l’acquisition des portefeuilles de North American Trust, puis de la Compagnie de fiducie Sun Life, regroupant ces institutions dans sa division des Services aux intermédiaires, renommée B2B Trust en 2000 (Business to Business). Ces compagnies avaient la particularité d’opérer la distribution de produits financiers à travers un réseau de courtiers et conseillers financiers indépendants, surtout au Canada hors Québec.

En 2011, à la suite de l'acquisition du Groupe de sociétés MRS, B2B Trust est devenue le principal fournisseur indépendant de comptes et de services d'investissement destinés aux conseillers financiers au Canada. En 2012, la société a acquis le statut de banque, aux termes de l’Annexe I, et a été renommée B2B Bank. L’acquisition de la Fiducie AGF, appuyée par la Caisse de Dépôt et Placements, a suivi en 2012. La B2B a son siège social à Toronto. Elle fournit des services financiers à plus de 27 000 professionnels de la finance.

François Desjardins, a été nommé à la tête de B2B en 2004.  Il avait fait sa marque au sein de la BL comme dirigeant du Centre télébancaire, organisant la numérisation des services. En 2006 il est devenu v.p. exécutif de la Banque Laurentienne, puis président et chef de la direction de la banque en 2015, tout en conservant la responsabilité des activités de B2B.

Fort de ses succès à la tête de B2B, qu’il dirigeait depuis Toronto, il a entrepris en novembre 2016 de transformer la BL selon sur un modèle semblable fortement numérisé et centré sur les conseillers financiers. C’était assez téméraire vu que les opérations au Québec se faisaient surtout à travers un réseau de succursales. On assiste alors à un double transfert. Le centre de gravité se déplace de la maison mère à la succursale tandis que le centre d’opérations se déplace de Montréal vers Toronto. En 2012, la Banque Laurentienne comptait 11 Canadiens français sur 13 au Conseil d’administration. En 2018, elle n’en compte plus que 2 sur 9. La proportion des prêts faits au Québec qui s’élevait à 58 % en 2015 a glissé à 45 %.

Le plan de transformation s’est avéré un fiasco, et explique sans doute le départ précipité « à la retraite » de François Desjardins en juin 2020. Le réseau de succursales est passé de 150 à 83, les services au comptoir ont été abandonnés au profit des services conseils. Une négociation très âpre a été menée contre le syndicat. Bilan. Sur les quelque 2200 travailleurs syndiqués que comptait la banque en 2015, il n’en reste que 680. Le cours de l’action de la Laurentienne qui valait 52 $ en 2015 a commencé à glisser en 2018 pour tomber à moins de 30 $. Suite à la pandémie, et pour la première fois depuis 1993 dans le secteur financier canadien, le dividende trimestriel a été sabré. Le tableau n’est pas reluisant.

Ce qui fonctionne ailleurs ne fonctionne pas nécessairement au Québec. De sérieux coups de barre sont à donner pour mettre en oeuvre des solutions aux problèmes de dysfonctionnement de cette institution.