Hommage mérité au père de l'humour moderne québécois

2020/10/29 | Par Julien Beauregard

J'aime rappeler cette histoire. Lors des élections fédérales de 2008, on dénonçait avec véhémence les coupes en culture projetées par le Parti conservateur. Partout les artistes parlaient de l'importance de la culture. Ce n'était pas un domaine à négliger; c'est une industrie importante, parce que florissante et lucrative.

Parmi l'harmonie de voix d'artistes qui plaidaient l'importance de la culture, l'une d'elles a proposé un éclairage différent. Il s'agissait de Fred Pellerin. La culture, disait-il, ne dépend du nombre de spectacles qu'on va voir ni de la quantité de disques qu'on achète. Ça relève de nos conversations et de notre imaginaire collectif. C'est, en somme, ce qui nous définit comme peuple.

Aujourd'hui, avec les secteurs du tourisme et de la restauration, le milieu culturel est en crise. Malgré les bonnes intentions et les mesures des instances gouvernementales, rien n'est comme avant. Des acteurs de l'industrie jouent leur survie et redoublent d'ingéniosité.

Pour certains artistes, leur art se passe dans la représentation. Malgré le génie des plateformes du web 2.0 permettant de se donner en spectacle, on n'y retrouve pas tout à fait l'effet de foule qu'on retrouve dans une salle de spectacle.

 

L'expérience Yoop

La fondation de l'espace Yoop par Benoît Fredette, avec le soutien des productions KOTV de Louis Morissette, a été motivée par ce désir de combler ce manque. À la différence de ce que propose les autres plateformes de diffusion, Yoop propose une salle de spectacle interactive.

Yoop est localisé à la Place des Arts, mais on y accède par les outils technologiques à notre disposition: téléphone, tablette ou ordinateur. Pour vivre l'expérience complète, il faut activer la caméra et le micro de votre appareil et s'attendre à entrer en relation avec l'artiste en prestation comme si on se situait aux premières loges.

Le spectacle d'humour organisé par (et pour) Yvon Deschamps à l'occasion de son 85e anniversaire au bénéfice de sa fondation venant en aide aux enfants du Centre-sud était l'occasion idéale de tester le produit. 18 000 spectateurs étaient au rendez-vous. Comment résister à la tentation de voir à nouveau le père de l'humour moderne, 52 ans après l'Ostidcho?

 

Yvon Deschamps remonte en scène

Qu'il est rafraichissant de voir Yvon Deschamps au meilleur de sa forme, et ce, avec de nouveaux numéros! Il a offert l'alpha et l'omega, soit un numéro orienté sur sa jeunesse et un autre sur sa vieillesse. D'une part, il a partagé un souvenir d'enfance concernant l'arrivée de la télévision à domicile, se moquant au passage de sa grand-mère qu'on l'observe depuis l'écran, mais - oh surprise - les craintes qui sévissaient auparavant s'avèrent aujourd'hui.

D'autre part, son commentaire sur la vieillesse consistait à une défense des vieux et de leur rapport à la mémoire. La gestion des souvenirs et de leur accumulation était au coeur de sa présentation. Les vieux, en somme, développent des moyens pour gérer la chronologie de leur histoire ou sélectionnent leurs souvenirs.

Ce qui est surtout remarquable, et on a pu le constater lorsqu'il a fait une tournée de promotion pour son spectacle, c'est qu'Yvon Deschamps suscite l'unanimité, surtout auprès des humoristes. Et son rire franc, complice et contagieux se reçoit comme une embrassade.

Il est fascinant de constater à quel point il fait le pont entre différentes générations d'humoristes redevables envers lui. Le spectacle en faisait état. La première, celle des sketchs composites, était présente dans des interventions préenregistrées de ses célèbres compagnons de route venus partager leurs voeux d'anniversaire, comme Gilles Vigneault saluant au passage son « jeune » ami et Michel Rivard qui tenait à souligner comment Deschamps nous a jadis appris la solidarité alors que, aujourd'hui, il nous apprend à bien vieillir.

C'était aussi ses filles et son épouse chantant, chacune à leur tour, le meilleur de ses chansons à la fin de la soirée. Un heureux rappel de son héritage comme chansonnier.

La prochaine génération, c'est celle de l'époque de Juste pour rire et des galas formatés. L'apothéose et la déchéance de cette époque pourrait très bien s'incarner dans l'émission Piment Fort diffusée à TVA, avec ses blagues crasseuses visant trop souvent en bas de la ceinture. C'est un peu ce que nous ont réservé Mario Jean, Pierre Hébert, Laurent Paquin et Martin Petit. Bien que chacun ait livré leur humour avec compétence et expérience, ce lien commun sautait aux yeux.

Enfin, force est d'admettre que les numéros de François Bellefeuille, Maude Landry et Rosalie Vaillancourt étaient particulièrement riches et réussis. Mention spéciale à Bellefeuille et à son récit de la visite du Centre d'interprétation de la courge, où, raconte-t-il, on répond à toutes les questions, sauf la plus importante: «qu'est-ce que je fais ici?» Ça ne s'invente pas: le hasard voulait que le lendemain, le Devoir consacrait un article sur cet attrait de Saint-Joseph-du-Lac.

L'humour québécois actuel semble s'ouvrir vers de nouveaux horizons tout en préservant son caractère distinct. Le talent ne manque pas et il se diversifie toujours plus. Au coeur de tout ça,Yvon Deschamps embrasse ses héritiers avec un amour égal et il montre qu'à bien des égards, l'humour, même intimiste, nourrit la conversation nationale.