L’après Octobre 1970 (12/13) : Les « solutions » des maoïstes à la question nationale

2020/11/12 | Par Pierre Dubuc

En Lutte et le PCO ne pouvaient se contenter de dénoncer le Parti québécois et d’en appeler abstraitement à l’unité de la classe ouvrière. Ils devaient présenter leur propre solution à la question nationale. Encore une fois, leur point de départ présente beaucoup de similitudes avec ce qui se concoctait à Washington et Ottawa.

Jean-François Lisée rappelle dans L’œil de l’aigle l’essentiel de la position états-unienne : « La question québécoise est un problème interne au Canada, et nous avons toute confiance en la capacité des Canadiens de le résoudre ». Lisée souligne que le mot clé dans cette déclaration est « Canadiens ». Washington, contrairement à Paris, ne reconnaît pas qu’il appartient aux seuls Québécois de « résoudre » la question.

Malgré leurs prétentions contraires, En Lutte et le PCO nieront également aux seuls Québécois le droit de se prononcer sur leur avenir. On se rappellera que le référendum de 1980 ne portait pas directement sur l’indépendance du Québec. Les électeurs devaient se prononcer sur une question qui confiait au gouvernement du Parti québécois le mandat de négocier une nouvelle entente; cela était assorti d’une promesse d’un autre référendum aux termes des négociations qui porterait alors sur la souveraineté. En Lutte et le PCO en étaient bien conscients puisqu’ils firent campagne pour que la question soit modifiée et porte vraiment sur la souveraineté. Évidemment, leur objectif était que l’option soit défaite de façon encore plus décisive. Mais déjà, en appelant à l’annulation lors du premier référendum, les deux groupes niaient au peuple québécois la possibilité de se prononcer sur son avenir lors du deuxième référendum.

Pour les deux organisations maoïstes, la solution véritable à la question nationale réside dans une réforme constitutionnelle à Ottawa. À cette fin, les deux appuient le rapatriement de la Constitution qu’envisageait déjà le gouvernement Trudeau. La solution d’En Lutte consiste à faire reconnaître dans une nouvelle constitution « le principe fondamental de l’égalité des langues et des nations et le droit à l’autodétermination de la nation québécoise ». Pour En Lutte, « cette revendication remet en question tout ce qu’a été l’État canadien depuis ses origines » et est, bien entendu, « liée à la lutte pour le socialisme » (En Lutte, 15 janvier 1980).

La remise en question de « tout ce qu’a été l’État canadien depuis ses origines » est bien limitée puisqu’elle postule le maintien de l’intégrité de l’État canadien créé sur la base de l’oppression du Québec par une loi du Parlement de Londres sans que le peuple ait pu se prononcer !  Telle serait donc la « voie révolutionnaire » ! Comme remise en question, on a déjà fait mieux !

De plus, si la solution à la question nationale québécoise est tributaire d’une modification constitutionnelle à la loi fondamentale du pays, cela revient à remettre le sort de cette question entre les mains de tous les Canadiens et non plus des seuls Québécois. En somme, comme Washington, En Lutte a « toute confiance en la capacité des Canadiens de résoudre » la question.

En Lutte confond délibérément la question de l’égalité des langues et des nations avec le droit à la sécession. Il limite la question nationale à ses seules dimensions culturelle et linguistique, alors que la question de l’oppression nationale est beaucoup plus large. Fondamentalement, elle pose le problème des liens de contrainte qui « unissent » la nation opprimée à la nation oppressive, c’est-à-dire forcer une nation à demeurer dans les frontières de la nation dominante et non pas uniquement forcer une nation à répudier sa langue maternelle pour lui en imposer une autre.

Mais En Lutte peut également être critiqué sur sa conception de « l’égalité des langues et des nations ». En Lutte avait fait se dresser les cheveux sur la tête de tous les démocrates en présentant comme « progressiste » une éventuelle assimilation de la nation québécoise. Il affirmait : « Et si alors le mouvement de l’histoire en venait à assimiler l’une ou l’autre nation, l’une ou l’autre minorité nationale, cela ne correspondrait nullement à une oppression nationale, mais bien à la tendance objective du développement économique à dissoudre les frontières nationales en tissant à l’échelle mondiale un réseau de relations économiques, sociales et culturelles de plus en plus serré » (En Lutte, no. 89).

En Lutte semble, encore une fois, confondre deux époques historiques, celle du capitalisme de libre-concurrence et celle de l’impérialisme. À l’époque de la naissance du capitalisme et de la formation des nations, l’assimilation des différents dialectes en une langue nationale a certes été un phénomène progressiste. Il en fut de même de l’unification des villes et des bourgs en de grands États centralisés et la création de marchés nationaux. Le programme « d’égalité des langues et des nations » d’En Lutte était alors le programme démocratique approprié. Mais présenter comme progressistes en 1980 l’assimilation des nations et la dissolution des frontières nationales est une trahison démocratique et une légitimation du pillage impérialiste et de l’oppression des nations.

La déclaration d’En Lutte a soulevé un tollé et, pour se sortir du guêpier dans lequel il avait mis les pieds, il affirme qu’il n’avait pas voulu décrire la situation sous l’impérialisme, mais bien celle qui prévaudrait sous le socialisme. La réplique d’En Lutte vaut la peine d’être lue. « Quelle ne fut pas alors le tollé général que devait soulever, chez tous les défenseurs de ‘‘l’identité nationale’’, cette toute petite phrase. Nous avions tout simplement osé toucher à la sacro-sainte nation. Et la vérité est du côté du marxisme-léninisme, du côté de ceux qui, plutôt que de flirter avec le nationalisme, sont en mesure de dire clairement aux masses qu’à une époque où tout privilège national aura été aboli, sous le socialisme et le communisme, les nations auront inévitablement tendance à disparaître et à fusionner » (Unité prolétarienne, no. 13).

Cette nouvelle position n’était pas plus juste que la précédente. Contrairement à ce qu’affirme En Lutte, les classiques du marxisme-léninisme ont toujours fait une distinction très nette entre la fin de l’oppression nationale et l’extinction des nations. Le socialisme est présenté comme l’occasion de l’éclosion et du développement des nations. Après la Révolution de 1917, les soviétiques ont même « ressuscité » des nations « oubliées » de tradition orale en consignant leurs langues par écrit et favorisant leur développement culturel par la création de tout un réseau d’écoles, de théâtres et autres institutions culturelles dans leur langue. La « fusion des nations » est bien un concept marxiste, mais prévu dans un très lointain avenir lorsque le communisme aura remplacé le socialisme à l’échelle du monde. La fusion des nations et la formation d’une langue commune – autre qu’une des langues existantes – est envisagée après l’extinction de l’État et la disparition des classes sociales. En fait, la seule référence aux propos d’En Lutte se retrouve chez le socialiste allemand Karl Kautsky qui affirmait que le triomphe de la révolution prolétarienne dans l’État austro-hongrois au XIXe siècle eût amené la formation d’une seule langue allemande commune et la germanisation des Tchèques. Karl Kautsky – mieux connu dans le mouvement communiste comme le « renégat Kautsky » - a été cloué au pilori pour cette déclaration. Mais, comme peu de militants au Québec avaient quelque connaissance historique de ce débat, En Lutte a pu s’en tirer avec sa prise de position « kautskiste ».

Le PCO revendique lui aussi le rapatriement de la Constitution et l’élaboration d’une nouvelle constitution canadienne. Comme En Lutte, il affirme que celle-ci devrait inclure « la reconnaissance de l’égalité en droit de toutes les nationalités de notre pays et le droit du Québec à l’autodétermination jusqu’à et y inclus la séparation ». De plus, et c’est là qu’il se distingue d’En Lutte, il spécifie que « la constitution devrait reconnaître aussi une forme d’autonomie régionale pour toutes les nationalités de notre pays », ce qui signifie « pour le Québec, la reconnaissance de son statut d’égalité avec la nation canadienne-anglaise qui se concrétiserait au sein du pays par l’établissement d’une République du Québec égale en droits à une République du Canada anglais. Ceci est la forme que prendrait l’autonomie régionale dans le cas du Québec » (La Forge, 21 mars 1980).

Bien que le PCO proclame son soutien au droit à l’autodétermination de la nation québécoise, il réduit ce droit à une certaine forme d’autonomie à l’intérieur du Canada. Le Québec a le droit à la séparation, mais celle-ci sera toujours présentée comme « un projet de division de la classe ouvrière ».

Le cheminement du PCO pour accoucher de cette position à la toute veille du référendum n’est pas inintéressant. Lorsqu’il a commencé à s’intéresser à la constitution de son Canada socialiste, il a écrit : « Il y a deux formes d’organisations possibles : la fédération ou bien l’État unique avec l’autonomie régionale pour les nations et minorités nationales » (Revue Octobre, nos 2-3). Il donnait l’URSS comme exemple de la première forme et la Chine de Mao comme exemple de la deuxième. Les deux formes étaient, selon le PCO, équivalentes et aussi valables l’une que l’autre.

Pourtant, les deux modèles étaient fort différents. La Constitution soviétique de 1947 établissait que l’Union des Républiques socialistes soviétiques était un État fédéral et l’article 17 stipulait que chaque République fédérée avait le droit de sortir librement de l’URSS. Pendant longtemps, les critiques ont prétendu que ce n’était là que pure formalisme mais, lors de l’effondrement de l’URSS, les républiques ont pu effectivement quitter la fédération. Des politicologues comme Hélène Carrère d’Encausse avaient prédit que le choc des nationalités causerait la fin de l’URSS. Mais il n’en fut rien. L’effondrement est survenu par suite de problèmes économiques comme l’a noté l’historien Éric Hobsbawm. De plus, le système des républiques soviétiques dans lequel les frontières avaient été établis sur la base des nationalités a permis et permet toujours, encore aujourd’hui, le maintien de bonnes relations entre la plupart des ex-républiques soviétiques malgré les tentatives états-uniennes de les jouer les unes contre les autres, comme le démontre Emmanuel Todd dans Après l’empire.

Nos marxistes-léninistes du PCO ont porté peu d’attention au modèle soviétique. Leur modèle était évidemment la Chine dont l’organisation des relations entre les nations est fort différente de ce qu’elle était en URSS. La Constitution chinoise proclame que la Chine est « une et indivisible » et, bien que la majorité Han ne forme qu’environ la moitié de la population, toutes les autres nationalités sont ramenées au rang de minorités nationales sans droit à la sécession. L’exemple le plus célèbre est, bien entendu, celui du Tibet. La Constitution chinoise a été conçu en opposition au modèle soviétique. Dans les « Dix grands rapports » publié en 1956, Mao écrit qu’« en Union soviétique, le rapport entre la nationalité russe et les minorités est très anormal, cela doit nous servir de leçon ». La leçon a porté et a été assimilée par les théoriciens du PCO qui ont longtemps parlé d’« UN Canada socialiste », d’« un État CANADIEN socialiste » et d’« UNE République socialiste ouvrière au Canada » avant d’accoucher d’UN Canada socialiste qui comprendrait deux républiques.

Quelques mois avant le référendum, le PCO a apporté quelques modifications à sa ligne politique en proposant que les deux républiques, le Canada anglais et le Québec, « devraient être unies sur la base d’une union librement consentie au sein d’un État fédératif, le Canada ». Il ajoutait que « le gouvernement central unifiant les républiques soit élu au suffrage universel et détienne des pouvoirs dans les domaines d’intérêt général pour l’ensemble du pays ». Quelle différence entre son projet et la Confédération canadienne telle qu’elle existait et existe toujours? C’est à la faveur de son « droit de dépenser », une disposition aussi vague que les « domaines d’intérêt général », que le gouvernement central est intervenu dans les champs de juridiction des provinces en niant leurs compétences constitutionnelles.

Les idées politiques ne sont pas en suspension dans l’air. Elles reflètent des intérêts particuliers et s’arriment nécessairement à des grands courants politiques historiques. Les programmes politiques d’En Lutte et du PCO ne représentaient pas les intérêts des classes exploitées du Québec et avaient peu de choses en commun, mis à part la terminologie, avec les conceptions communistes classiques. Par contre, elles s’inscrivaient tout à fait dans les deux grands courants politiques de l’histoire canadienne. Le premier de ces courants, représenté par le Parti libéral du Canada, se caractérise par le libéralisme politique, la défense des libertés individuelles, et s’est développé en opposition au nationalisme québécois. Ses deux principaux ténors ont été Sir Wilfrid Laurier et Pierre Elliott Trudeau. L’autre grand courant est basé sur une alliance entre les conservateurs et les nationalistes québécois. Il fait la promotion du nationalisme québécois, mais dans le cadre du régime fédéral. Deux de ses plus illustres représentants au Québec ont été Maurice Duplessis et, avant lui, Henri Bourassa.

Sir Wilfrid Laurier a été promu à la tête du Parti libéral du Canada avec pour mission de contrer la ferveur nationaliste qui s’était développée au Québec sous le gouvernement de Honoré Mercier après la pendaison de Louis Riel. Laurier implorait ses concitoyens du Québec de passer l’éponge sur l’affaire Riel et d’entrevoir leur avenir au sein d’un Canada où ils auraient des droits égaux à ceux des Canadiens anglais. « Nous sommes Canadiens-français, disait-il, mais notre patrie n’est pas confinée au territoire ombragé de la Citadelle de Québec. Notre patrie, c’est le Canada. Ce que je réclame pour nous, c’est une part égale de soleil, de justice et de liberté. Justice égale, droits égaux ».

Une mission semblable fut dévolue à Pierre Elliott Trudeau à la fin des années 1960: contrer le développement du mouvement souverainiste avec la promesse d’une « société juste » et l’égalité linguistique des deux peuples fondateurs. Dans le Manifeste démocratique qu’il publie en 1958, Trudeau retrace l’origine de la question nationale québécoise dans le fait que la révolution démocratique amorcée par Papineau, puis Laurier s’était embourbée « dans les querelles nationalistes et les intérêts de la bourgeoisie ». Puis, Trudeau pose la question suivante : « Au Québec, serait-ce trop nous abaisser que d’achever d’abord la révolution démocratique? » et il y répond par ces mots : « La révolution démocratique est la seule nécessaire, tout le reste en découle ». Une fois au pouvoir, Trudeau entreprend de terminer la « révolution démocratique » avec sa loi sur le bilinguisme et le biculturalisme qu’il complétera, après le référendum, avec le rapatriement de la constitution et l’Acte constitutionnel de 1982.

Le groupe En Lutte et Charles Gagnon partagent l’avis de Trudeau que « la révolution démocratique s’est embourbée dans les querelles nationalistes et les intérêts de la bourgeoisie » et qu’elle est incomplète. Après tout, que fait Gagnon sinon reprendre à sa façon, enrobée dans le discours marxisant de leur époque, le cri de ralliement de Trudeau « Démocratie d’abord », lorsqu’il écrit : « Notre organisation préconise l’instauration au Canada d’un véritable régime d’égalité des langues et des nations, d’une véritable démocratie nationale ».

L’approche constitutionnelle fera long feu et marquera de façon indélébile la gauche québécoise, souvent à son insu. L’adoption de la Charte des droits fédérale, incluse dans la Constitution de 1982, aura un impact considérable. La Charte des droits deviendra la référence suprême pour la société. Une bonne partie de la gauche marxiste, disparue après le référendum de 1980, renaîtra sous la forme d’une gauche « chartiste ». La référence à la Charte des droits, peu importe sa version, sera la clef de voûte des programmes politiques du Rassemblement pour une alternative politique (RAP) et de l’Union des forces progressistes (UFP). La Charte imposera le triomphe de l’individu sur le collectif, entérinera la disparition de toute référence à l’oppression nationale et de classe et son remplacement par les droits de différents sous-groupes sociaux. L’échec du référendum de 1995 amplifiera le mouvement de ferveur à l’égard des Chartes des droits qui atteindra même les rangs des intellectuels souverainistes. Prenant prétexte des propos de Jacques Parizeau sur les « votes ethniques », une école intellectuelle souverainiste s’emploiera à bannir toute référence « ethnique » dans la définition du nouveau nationalisme québécois. Le nationalisme dit « ethnique » est remplacé par le nationalisme civique. La question de l’oppression nationale disparaît. C’est autour de la Charte des droits que s’articule ce nouveau nationalisme.  Ce n’est pas là le moindre des triomphes de Pierre Elliott Trudeau et la contribution de Charles Gagnon à cette victoire n’est pas négligeable.

Quant au programme politique de l’autre organisation maoïste, la Ligue, devenue PCO en 1979, il a beaucoup en commun avec le programme d’une autre Ligue, la Ligue nationaliste canadienne créée par Henri Bourassa en 1903.

La Ligue de Bourassa proposait un programme en trois points. Le premier concernait les relations entre le Canada et la Grande-Bretagne. La Ligue réclamait « la plus large mesure d’autonomie politique, commerciale et militaire avec le maintien du lien colonial ». Le Canada n’était pas, bien entendu, à cette époque une colonie de la Grande-Bretagne, mais une puissance impérialiste de plein droit, malgré les liens de dépendance politique avec l’Angleterre. Ce que revendiquait Henri Bourassa, c’était une plus grande « indépendance » de l’impérialisme canadien face à l’impérialisme britannique, tout en demeurant dans le bloc impérialiste dirigé par cette « superpuissance » de l’époque. En 1980, la Ligue maoïste réclame elle aussi « la plus large mesure d’autonomie » de l’impérialisme canadien, face cette fois à l’impérialisme américain, mais une « autonomie compatible avec le maintien » du Canada dans le bloc impérialiste dirigé par les États-Unis.

Sur le plan des relations fédérales-provinciales, les deux Ligues véhiculent encore une fois la même position. Bourassa réclamait pour le Québec « la plus large mesure d’autonomie compatible avec le maintien du lien fédéral ». C’est très exactement le programme constitutionnel du PCO qui prône pour le Québec « la plus large mesure d’autonomie (régionale) compatible avec le maintien du lien fédéral », comme nous l’avons vu précédemment. Le PCO reprend, en fait, sous la forme de sa revendication de deux Républiques égales, le Canada-anglais et le Québec, dans le cadre d’un seul État fédéral, la thèse de Henri Bourassa sur l’égalité des « deux peuples fondateurs ». Pour Bourassa, comme pour le PCO, ce programme visait à « développer un canadianisme plus général et diminuer l’antagonisme à l’égard du Canada-français ».

Enfin, et c’était là le troisième volet du programme de la Ligue nationaliste canadienne, on prônait la mise en place d’« une politique de développement économique et intellectuel exclusivement canadien » que Bourassa expliquait ainsi : « Je veux qu’on garde pour le peuple les richesses du peuple ». Nul doute que, si Bourassa avait vécu au début des années 1980, il se serait joint au PCO pour s’opposer au démantèlement de Pétro-Canada. Quatre-vingt ans avant la création du PCO, Bourassa avait déjà formulé l’essentiel de ce qui allait constituer son programme. La seule différence, c’est que Bourassa, en 1903, ne voyait pas la nécessité de dire que cela constituait un programme « communiste ». Mentionnons au passage que la filiation entre Bourassa et la Ligue n’était pas qu’idéologique. L’arrière petite-fille de Henri Bourassa siégeait sur le Comité central du PCO.

Le PCO partage aussi avec Bourassa la promotion d’un certain nationalisme au Québec. Contrairement à En Lutte, le PCO reconnaît différentes manifestations économiques, culturelles et linguistiques de l’oppression nationale et met de l’avant des revendications qui y sont associées, sauf bien entendu l’accession du Québec à l’indépendance. Il est amusant de noter comment la Ligue a jumelé son nationalisme québécois avec sa défense du fédéralisme. La manchette de La Forge du 24 juin 1978 est la suivante: « À l’occasion du 24 juin et du 1er juillet :  Fêtons notre lutte contre l’oppression nationale. Combattons pour un Canada socialiste ».

Le nationalisme québécois de la Ligue pouvait à l’occasion être très étroit. Le PCO est allé jusqu’à affirmer que « le référendum doit consulter seulement les membres de la nation dominée, c’est-à-dire les Québécois francophones » (La Forge, 2 :5). Plus tard, il est revenu sur la question, non à la faveur d’une autocritique, mais d’un « rectificatif ». « Cependant, ceci ne veut pas dire que nous devons refuser le droit de participer au référendum aux minorités. Ceci serait une erreur tactique que même le PQ ne commet pas » (Rectificatif dans la question nationale – Document interne).

Le rêve pan-canadien de Bourassa fut de courte durée. Il s’écroula avec la crise de la conscription de 1917. Avant la guerre, Bourassa avait conclu une alliance avec les conservateurs de Borden pour déloger Laurier du pouvoir. Une fois Borden au pouvoir, Bourassa tenta d’utiliser les sentiments anti-impérialistes qui se manifestaient au sein de la population québécoise pour négocier un appui à la conscription en échange du retrait du Règlement 17 en Ontario qui niait les droits du français. Mais Borden refusa et, avec la crise de la conscription, s’écroulait la carrière politique de Bourassa.

L’alliance entre les conservateurs canadiens-anglais et les nationalistes québécois a connu quelques autres épisodes. En 1959, le gouvernement conservateur de John Diefenbaker a pris le pouvoir à la faveur d’une entente avec l’Union nationale de Maurice Duplessis. Vingt ans plus tard, le conservateur Joe Clark bénéficiait de l’appui du gouvernement Lévesque par créditistes interposés. Finalement, l’exemple le plus récent est la victoire de Brian Mulroney en 1984 à la faveur de la politique du « beau risque » de René Lévesque. Le gouvernement Mulroney propose alors une ultime solution à la question nationale québécoise avec l’entente du Lac Meech. Le concept de « société distincte » élaboré à cette occasion pour satisfaire les revendications québécoises ressemble beaucoup à ce que Jean-François Lisée nous dit dans L’œil de l’aigle être la solution états-unienne à la crise politique canadienne : « Une formule que le Québec pourrait appeler la souveraineté et que le reste du Canada pourrait appeler la Confédération ». Mais les libéraux fédéraux font échouer l’entente du Lac Meech et Lucien Bouchard claque la porte du Parti progressiste-conservateur pour fonder le Bloc québécois. Pour asseoir le nouveau parti sur une base plus large, Bouchard entretient des relations étroites avec la CSN et un certain nombre de militants de la CSN font le saut avec le Bloc. Serait-on surpris d’apprendre que bon nombre d’entre eux sont d’anciens militants du PCO, dont le plus illustre est nul autre que Gilles Duceppe, l’actuel chef du Bloc québécois.

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Ce texte est tiré du livre de Pierre Dubuc, L’autre histoire de l’indépendance, un ouvrage paru en 2003 aux Éditions Trois-Pistoles. Les autres extraits se trouvent dans le Dossier : L’après Octobre, sur le site de l’aut’journal.