Les changements climatiques : bénédiction ou malédiction

2020/12/02 | Par Daniel R. Rousse

Daniel R. Rousse, ing., M.Sc.A., Ph.D., Directeur du Groupe de recherche industrielle en technologies de l'énergie et en efficacité énergétique (t3e), Professeur titulaire au Département de génie mécanique, École de technologie supérieure, Université du Québec

Des Universitaires – Un texte antérieur de cette série de trois, tentait de montrer que les changements climatiques pouvaient, selon la perspective que l’on emprunte, être considérés tant comme une malédiction qu’une bénédiction. Quel que soit le point de vue, il faut les enrayer. Mais, comment ?

Désormais, il est bien compris par les étudiants du cours Énergie de l’École de technologie supérieure de l’Université du Québec que les changements climatiques font partie d’un tout, nommé Anthropocène, qui n’a atteint son paroxysme que parce que les relations humaines sont depuis des décennies des relations basées sur des lois économiques elles-mêmes définies par des modèles incomplets et imparfaits. Le 22 août dernier, l’humanité avait épuisé les ressources écologiques que la planète est capable de régénérer dans un cycle de 365 jours. Nous avons atteint le Jour du dépassement (https://www.overshootday.org/). On peut se consoler en pensant que la COVID-19 l’aura prolongé d’un mois cette année (c’était le 29 juillet en 2019). Mais si tous vivaient comme des Canadiens, cela se produirait le 18 mars.

J’adhère donc difficilement à une logique qui consiste à changer un développement « noir » en développement « vert » alors que le véritable bogue n’est pas dans la « couleur » mais bien dans le mot qui précède. Le « développement » à l’infini, qui sous-entend la croissance à l’infini, est désormais plus impossible que jamais, bien que des penseurs le défendent depuis 200 ans.

Dans plusieurs des dissertations du cours cité, mes étudiants, stimulés par une présentation stupéfiante du prof Yves-Marie Abraham des HEC, ont évoqué la décroissance (soutenable) comme principale, sinon seule voie de changement réelle pour atténuer (non pas éviter) la catastrophe. C’est aussi ce que je crois aussi après plus de 10 ans d’analyse de statistiques énergétiques et d’autres ressources naturelles.

Le développement durable tel que préconisé par la majorité consiste à choisir la vitesse à laquelle nous allons scier la branche sur laquelle nous sommes assis.

R.H.Tawney, cité par E.F.Shumacher, dans Small is beautiful, écrit : « Pour être de bons domestiques, les ambitions économiques n’en sont pas moins de mauvais maîtres. L’ordre économique en vigueur […] échoue pour avoir négligé la vérité suivante : puisque même les hommes ordinaires ont une âme, nul accroissement de richesse matérielle ne leur sera jamais d’aucune compensation pour des compromis qui insultent leur dignité et restreignent leur liberté… L’industrie doit répondre à des critères qui ne sont pas exclusivement économiques ». Dans ce texte d’une centaine d’années, rédigé pendant une crise, Tawney évoque bien autre chose que l’environnement, un quelque chose de bien plus profond, de fondamental, pour décrier les failles de l’économie. Une science qui devait DÉCRIRE les rapports économiques et qui désormais GOUVERNE et est en voie d’ASSUJETTIR TOUS les rapports entre les êtres humains.

L’économiste Herbert Stein, cité lundi matin par Spencer Dale économiste en chef de British Petroleum (oui, oui, BP commence à sérieusement virer au vert), disait en 1976 : « If something cannot go on forever, it will stop ». Ce qui est d’une désarmante évidence. Donc, nous sommes désormais confrontés dans une perspective temporelle à moyen terme, soit à l’échelle d’une vie humaine, à une transformation choisie ou à une transformation subie. Faire des choix, particulièrement pour les Occidentaux, sera difficile; attendre davantage le sera encore plus. La douleur sera d’autant plus intense que nous attendrons pour traiter l’abcès. Je vous laisse le soin de déterminer ce qui sera fait.

Allons plus loin que dans l’exemple de la croissance citée dans la Partie 1 de cette série, même sur une planète hypothétique quatre fois plus grosse (avec de facto 64 fois plus de ressources), sans émissions de carbone pour produire notre énergie, sans menace de pénuries et d’extinctions des espèces, la vie ne se résumerait-elle alors qu’à une longue série de transactions commerciales à l’infini, de la naissance à la mort?

Alors puisque nous sommes sur terre, oui attaquons les émissions de GES mais soyons lucides sur les autres effets pervers de notre consommation d’énergie et acceptons que nous ayons fait une erreur, une erreur grave et conséquente, il y a plus d’un siècle, en transformant le rêve d’une société du loisir en une société de consommation.

Je ne sais ce que dirait Keynes lui-même aujourd’hui alors qu’il nous demandait (dans ses Essais de persuasion, 1933) de tolérer « l’Avarice, l’Usure et la Méfiance à travers le tunnel des nécessités économiques avant de déboucher vers la lumière », vers la beauté. Il nous demandait 100 années de patience qui sont sur le point d’être révolues. Finalement, est-ce que ça en a valu la peine d’oblitérer l’éthique, la liberté, l'amour, le partage, la dignité humaine, pour favoriser le développement économique?

Le remède au changement climatique existe, il règle aussi en filigrane celui de l’intensité de toutes les destructions que l’être humain cause autour de lui. Le remède pourrait aussi en partie la vacuité de la société de consommation. Le remède fera mal, le remède laissera des cicatrices. Et plusieurs appréhendant le chaos que cela pourrait causer, proclament que la décroissance soutenable est une chimère, une utopie digne de More et pire encore.

Mais il n’en est rien. La semaine prochaine, quelques éléments qui montrent que le remède fonctionne en 2020.

Daniel R. Rousse est membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)

 

Illustration : Brignaud