Le pape se convertit !

2020/12/03 | Par Charles Castonguay

Gérard Bouchard vient d’annoncer sa conversion de dernière minute. Dans Le Devoir du 26 novembre dernier, il considère désormais qu’« il y a plus d’indices qu’il n’en faut pour confirmer l’état de crise dans lequel notre langue se trouve présentement […] Pour certains [qui dit certains s’exclut], le réveil est maintenant brutal. La loi 101 […] apportait une solution appropriée à une situation de crise. Nous vivons présentement un moment semblable. Une réaction de la même ampleur s’impose. »

On tombe des nues. L’Inquisition semble lui avoir arraché jusqu’à son assentiment à l’extension de la loi 101 aux études collégiales.

Notre converti revient de très loin. Voici quelques extraits piquants de ce qu’a relevé notre chroniqueur Charles Castonguay dans trois textes consécutifs publiés par l’aut’journal suite à la publication du rapport de la Commission Bouchard-Taylor en… 2008.

 

* * *

« La Commission Bouchard-Taylor dans le champ » (septembre 2008)

MM. Bouchard et Taylor avaient posé dans leur document de consultation la question fondamentale : l’inquiétude pour la survie de la majorité francophone au Québec est-elle fondée ? Ils se sont cependant contentés d’affirmer alors que « d’importants indices de francisation sont en hausse », sans offrir grand-chose d’autre à l’appui que des propos rassurants – mais faux – sur la stabilité du poids des francophones entre 1986 et 2001.

 Les médias ont d’ailleurs relevé dès la diffusion des données de 2006 que le poids des francophones au Québec est désormais en chute libre. Voilà une vraie raison de s’inquiéter. Le poids des francophones détermine en grande mesure si la majorité québécoise restera apte à intégrer les immigrants.

Un suivi rigoureux des données démontre en outre que la tendance à la baisse s’est installée depuis vingt ans déjà. Le poids des Québécois de langue maternelle française dans l’ensemble de la province, par exemple, a baissé de 0,5 point de pourcentage durant 1986-1991, de 0,4 en 1991-1996 ainsi qu’en 1996-2001 et de 1,8 entre 2001 et 2006. Dans la région métropolitaine de Montréal, les baisses correspondantes sont de 0,8 point, de 0,6, de 0,2 et de 2,6.

Autrement dit, le poids des francophones n’est jamais demeuré stable de 1986 à 2001, comme le prétendait le document de consultation Bouchard-Taylor. À en juger par la manière dont ce document laissait entendre que les francophones n’ont pas à s’inquiéter, on se doutait bien que Bouchard et Taylor allaient se ranger dans le camp des négationnistes. Cela vient de s’avérer. À leurs yeux, il ne faut pas s’en faire avec la chute abrupte du poids des francophones en 2006.

Ils brossent en effet dans leur rapport final un tableau de la situation linguistique qui, selon eux, « ne révèle pas de changements brusques, profonds ».

Toujours prompts à culpabiliser la majorité, ils précisent qu’il ne faut pas céder à un « état d’alarme », aux « paniques stériles » ou aux « visions catastrophistes ». Et surtout pas envisager de « mesures radicales » comme d’étendre la loi 101 au cégep.

À la diffusion des données de 2006 le 4 décembre dernier, les médias ont tout de suite vu plus juste qu’une commission qui a coûté des millions.

 

* * *

« Papotage et attentisme » (octobre 2008)

Dans leur document de consultation, les commissaires avaient abordé de front l’inquiétude de la majorité quant à la survie du français. Dans leur rapport final, par contre, ils ferment la marmite, sans formuler la moindre recommandation apte à dissiper l’inquiétude des francophones.

Au fond, l’attitude des commissaires à l’égard de la question linguistique se nourrit d’idées fixes plutôt que d’une appréciation attentive des tendances récentes. D’une part, il n’y a pas lieu, selon eux, de partager le « sentiment profond d’inquiétude » de la majorité, « étant donné le poids démographique qu’elle représente et l’influence prépondérante qu’elle exerce sur les institutions ».

D’autre part : « Il existe une inquiétude chez les Anglo-Québécois, qui ont vu leur poids démographique et politique décroître progressivement depuis 40 ans. » Ils en rajoutent, même : « La décroissance de la population anglophone, en particulier depuis 1991, a favorisé un climat d’insécurité. »

Les Deux Solitudes se seraient ainsi muées en Deux Inquiétudes. Et deux inquiétudes, ça fait une certitude : « Il n’y a donc pas de solution en vue à court terme, mais, dans l’ensemble, il n’y a pas non plus de péril véritable. »

Cela fait à nos deux commissaires une si belle jambe, que de renvoyer dos à dos les appréhensions compréhensibles de la majorité et la propagande du Quebec Community Groups Network, organisme qui a pris la relève d’Alliance Québec en matière de chantage au martyre linguistique et à l’« exode » des anglophones.

Réveille! L’une des deux grandes nouvelles apportées par le dernier recensement c’est, nous l’avons vu, que la perte de l’importance relative de la population de langue française, en marche depuis 1986, s’est singulièrement accélérée depuis 2001. L’autre, c’est que l’effectif aussi bien que le poids de la population de langue anglaise ont cessé de décroître.

En fait, durant la période 2001-2006, la population de langue d’usage anglaise a augmenté deux fois plus rapidement que celle de langue d’usage française. Si bien que dans la région de Montréal comme dans l’ensemble du Québec, la population anglophone est, n’en déplaise à MM. Bouchard et Taylor, plus nombreuse en 2006 qu’en 1991.

Nos deux moralistes l’ont suffisamment martelé : compte tenu de son poids, la majorité n’a pas à s’inquiéter.

Mais n’est-il pas naturel, justement, que l’inquiétude pointe lorsque ce poids qui assure la sécurité de la majorité se trouve en baisse depuis le milieu des années 1980 ? Et n’est-il pas naturel, voire salutaire, que cette inquiétude s’accentue du fait que cette baisse de poids s’accélère, comme le montrent les données de 2006 ? Faut-il non seulement se résigner à vivre dans un état de tension permanente mais accepter de vivre dans un état de tension croissante ?

Quand sera-t-il permis d’agir de nouveau de façon à faire baisser la tension ? Quelle est donc cette religion du petit pain, ce culte de l’impuissance et de l’abnégation ? Quel point tournant la situation doit-elle encore franchir pour qu’il soit enfin légitime de passer de la « grande vigilance » et de la « plus grande prudence » à l’adoption de nouvelles « mesures radicales », c’est-à-dire structurantes et efficaces ?

Face aux résultats de 2006, on ne peut plus soutenir que « la conjoncture est incertaine ». Poids des francophones en chute libre et poids stable des anglophones égale un rapport de force de plus en plus favorable à l’anglais et de plus en plus défavorable au français. Le ratio francophone/anglophone au Québec reculera jusqu’à nouvel ordre.

Voilà la véritable nouveauté qu’apportent les données de 2006. Voilà une nouvelle donne qui commande autre chose que papotage et attentisme.

 

* * *

« Vers un Québec de plus en plus anglais ? » (Novembre 2008)

Le recensement de 2006 a rappelé lequel du français ou de l’anglais est léthargique et lequel pète le feu.  Encore faut-il avoir l’esprit ouvert pour le voir. Les commissaires Bouchard et Taylor y sont restés résolument aveugles.

Les toutes premières années du XXIe siècle ont-elles marqué un point de renversement, après quoi la situation bascule vers un Québec de plus en plus anglais et de moins en moins français ?

Ces trois chroniques prémonitoires se trouvent réunies dans le recueil d’articles de Charles Castonguay Avantage à l’anglais ! (Éditions du renouveau québécois, 2008).

À relire intégralement, en attendant le projet de loi Jolin-Barette.