Les changements climatiques : bénédiction ou malédiction

2020/12/04 | Par Daniel R. Rousse

Daniel R. Rousse, ing., M.Sc.A., Ph.D., Directeur du Groupe de recherche industrielle en technologies de l'énergie et en efficacité énergétique (t3e), Professeur titulaire au Département de génie mécanique, École de technologie supérieure, Université du Québec

Des Universitaires – Un premier article de cette série a montré, que pour impactant qu’ils soient, les changements climatiques ne sont que la partie visible ou ressentie directement par nos sens de quelque chose de plus intense et de plus profond : la destruction rapide, croissante et systématique des écosystèmes autour de nous.

Un second article de trois a tenté de montrer que tant que le mot « développement », sous-entendant croissance, sera associé à un nouveau rapport à notre environnement, nous ferons fausse route. Tant que le sens de la vie passera principalement et chaque année davantage par la consommation, aucun changement ne sera possible ni dans notre qualité de vie, ni dans celle de notre environnement. Il n’y a qu’un moyen de freiner la destruction de la planète, de réduire progressivement notre impact, de laisser à la terre la capacité de se régénérer, de revaloriser les relations humaines, de nos reconnecter à notre environnement. Il s’agit de planifier une décroissance soutenable.

Pour plusieurs cela est carrément impensable, et, en général, plus les gens sont spécialistes de l’économie mondiale, plus ils sont enclins à taxer les promoteurs d’une telle idée de fumistes et d’imbéciles. J’en suis et l’accepte. Je suis non seulement convaincu que c’est la seule chose à faire mais qu’en plus c’est faisable.

Car, si un quelconque encouragement peut être trouvé dans ce fléau qu’est la COVID-19, c’est bien celui de l’humanité qui a mis sur pause celle qui est à l’origine de sa destruction planétaire frénétique, l’économie. Les gouvernements de PARTOUT, ou presque, ont, pour sauver potentiellement des millions de vies, englouti des sommes pharaoniques. En 2018, la FAO estimait qu’il fallait « 1,06 milliard de dollars […] afin d’aider les communautés dans 26 pays ».  C’est trois fois moins que ce que coûterait un confinement automnal à Londres. Le Canada seul a dépensé plus de 300 milliards en six mois pour endiguer la COVID-19, les provinces près de 100 milliards collectivement.

J’entre ici dans un territoire « miné » en ce sens que si je puis tirer des statistiques indéniables pour cautionner mon argumentation antérieure, ici mes sources se recoupent moins. Je tente de puiser à la FAO et aux Nations unies sans avoir recours aux tabloïds. Je ne citerai donc que peu de chiffres.

Il y a du chômage, il y a de la misère, il y a du désespoir, il y a de l’insécurité. Il y a eu des heurts et il y a eu des drames, mais il n’y a pas eu de famine, il n’y a pas eu de guerre.

Nous avons survécu à la décroissance de l’économie mondiale (inégalement, il est exact, ici au Canada et ailleurs dans le monde).

Cette décroissance fut improvisée, mal planifiée (et je ne blâme personne, on ne savait pas quoi ni comment le faire), mais nous passons à travers et ce n’est pas fini, l’économie se transforme.

Spencer Dale, économiste en chef chez BP, indiquait le 14 septembre dernier, que le produit intérieur brut mondial pourrait baisser jusqu’à près de 4% en 2015 et 10% en 2050 en raison de la COVID-19 avec des perspectives plus modestes dans son scénario de base.

Des exemples montrent cependant, en Occident surtout, que la « qualité de la vie » s’améliore dans certains domaines : temps pour soi, pour la famille, pour la communauté, moins de smog, plus jardinage, meilleure alimentation, pour ne citer que ceux-là.

Ces effets sont-ils là pour rester?

Indéniablement, il a été possible pendant la COVID-19 d'abaisser les émissions de GES - essentiellement dans le transport terrestre et aérien ainsi que dans le secteur industriel - pour préserver la vie de millions de personnes. Après la pandémie, ne devrait-on pas poursuivre sur la même lancée, de manière planifiée, nuancée et ordonnée, afin de sauvegarder celles de centaines de millions (rapport de vies sauvées de 100:1 et pour chacune des années à venir) et ne pas dégrader celles de milliards de personnes (rapport 1000:1) qui naîtront au 21e siècle? Au 22e et 23e siècle?

Voilà où me poussent mes réflexions lorsque l’on me serine, avec deux siècles de retard, que le CO2 fait du mal à la terre.

Tels des enfants qui jouent avec le feu, les humains ne voient que la magnificence des étincelles, ne ressentent que le doux rayonnement des flammes de la croissance économique et ne se doutent pas que l'incendie les dévorera alors qu'ils s'affairent chaque année à attiser davantage le brasier.

Dans notre mission fondamentale, nous ingénieurs, et sans doute tout représentant de l’espèce Homo sapiens, devrions tendre à favoriser une décroissance maximale de l’exploitation des ressources naturelles (je n’écris pas de l’économie) tout en considérant comme égales à nous-mêmes les autres espèces qui peuplent la planète et en tentant de maintenir à un niveau soutenable (pas nécessairement acceptable) les effets de la décroissance sur la perte de confort et de bien être que cela engendrera, sur l’effondrement de nombreux paradigmes, d’acquis, de valeurs, de commodités.

Je crois bien humblement qu’un avenir collectif est à ce prix.

 

Daniel R. Rousse est membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)