In Memoriam : Jacques Brodeur, pacifiste et éducateur né

2020/12/14 | Par Pierre Jasmin

In memoriam

Les six membres québécois officiels survivants de l’Agora des Habitants de la Terre,  Jean-Yves Proulx, Lucie Sauvé, Hélène Tremblay, Martine Chatelain, Philippe Giroul et moi, consternés d’apprendre la mort de leur leader Jacques Brodeur, ont livré avec Riccardo Petrella[i], des témoignages de sympathies à la famille de Jacques, tandis que l’association française de l’@afpeah évoquait la personnalité rayonnante et engagée de notre ami. Lucie Sauvé a souligné la précieuse collaboration de Jacques au Forum Social mondial à Montréal en 2016 pour la venue de Riccardo, Docteur honoris causa de l’Université du Québec à Montréal, qui avait alors illuminé les participant.e.s de la conférence organisée par le Centr'ÈRE[ii].

Signalons l’appui offert à Jacques dans sa position modérée mais ferme sur la loi 21 : « ÇA SERT À QUOI, LA LAÏCITÉ? À préserver une collectivité de l’intrusion du religieux dans les affaires publiques, mais aussi à protéger un espace de liberté au sein duquel toutes les religions peuvent continuer à exercer leurs prérogatives spirituelles. Voilà ce que Québec doit répéter à nos voisins du reste du Canada, avec sérénité et assurance. »

 

 Jacques Brodeur le pacifiste

Jacques se présentait depuis toujours comme animateur d’EDUPAX[iii], pour l’éducation médiatique[iv], la prévention de la violence et la promotion de saines habitudes de vie, tâches qui l’animaient depuis les beaux jours de PACIJOU, avec sa regrettée directrice Solanges Vincent et notre regretté confrère Robert Cadotte, alors directeur du groupe (1987 à 1999). Jacques a participé à l’analyse, par cet organisme spécialisé, des modèles (héros et héroïnes) proposés aux enfants à travers la culture actuelle trop américanisée (cinéma, musique, jouets, jeux vidéo, etc.). Pacijou, l’Assemblée des Évêques, la Corporation des psychologues et le maire Doré avaient appuyé à fond en 1989 notre pétition des Artistes pour la Paix qui, grâce au prestige de notre présidente Antonine Maillet, avait recueilli 156 000 noms s’engageant contre la violence à répétition érigée en modèle de résolution des conflits dans les émissions pour enfants. Nous avions soigneusement travaillé cette définition avec Jacques, d’une part, et Jean-Louis Roux, d’autre part évoquant la violence de Shakespeare nécessaire à la dénonciation des puissants et résistant ainsi à toute censure (sujet d’actualité!) des œuvres pour adultes, comme il avait, à titre de directeur du TNM contré la censure de Les fées ont soif de Denise Boucher. Nous insistions sur le caractère particulièrement nocif de la violence télévisée des « bons », à l’origine de comportements agressifs individuels et de la militarisation et des guerres colonialistes !

Nous avions aussi appuyé une intervention auprès du gouvernement Mulroney et de la CRTC (que Françoise Bertrand jadis à Télé-Québec avait en partie sabotée) pour interdire la publicité dans les émissions pour enfants, alors envahies de promotions de céréales et de boissons gazeuses sucrées et de jouets violents publicisés par les épisodes japonais animés de Goldorak, ciblés à juste titre par Jacques. Au Centre Paul-Sauvé, un spectacle que j’avais conçu, mobilisa Richard et Marie-Claire Séguin (et même Gilles Vigneault, invité surprise) et les acteurs de Chambres en ville (dont Vincent Graton sur un sketch soumis à l’approbation de la scénariste de la populaire émission Sylvie Payette, qui avait été touchée de notre attention). Le groupe Kashtin en vedette fut immortalisé par le regretté cinéaste Arthur Lamothe dans son magnifique film l’Écho des Songes (expression-définition de l’art par les Premières Nations; titre anglais Shaman never die). Cerise sur le sundae, des milliers d’enfants avaient volontairement donné, en exemples aux adultes armés, onze mille de leurs jouets de guerre favoris, rassemblés par Pacijou et toujours enterrés sous une sculpture du parc Jarry surnommée Caesura créée pour l’occasion par Linda Covit avec subvention de la Ville de Montréal.

 

Travail commun avec feu Robert Cadotte et Lucie Sauvé[v]

Robert Cadotte et Jacques Brodeur avaient aussi été les bougies d’allumage des grands combats syndicaux unis pour la paix (CSN, FTQ, CEQ) avec les Artistes pour la Paix dans les années 90, dont deux dénonciations des subventions canadiennes à l’OTAN : la campagne un F-18 pour la paix et la murale innue coin Berri et Cherrier[vi]. Deux grandes journées pédagogiques avaient, à l’initiative de Robert et Jacques, regroupé tous les employés de la CSDM (enseignants, secrétaires, concierges...). La première, en 1999, avait démarré une vaste opération de prévention de la violence; la seconde portait sur l’environnement et le projet d’une société québécoise à l’écoute des milieux défavorisés[vii].

Jacques Brodeur appuyait le travail commun à l’UQAM de Lucie Sauvé et Robert Cadotte[viii] : ce dernier, élu de 1990 à 2003 commissaire scolaire dans Hochelaga-Maisonneuve où il avait élu domicile (quartier du garage à musique inspiré par Sistema du Venezuela de Chavez de la Fondation du docteur Julien). Il était en outre titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation et psychologue, fondateur-directeur du Centre de formation sur l’enseignement en milieux défavorisés de l’UQAM d’avril 2004 à juin 2007.

Comme Robert et sa conjointe Diane Savard, Jacques incarnait « la pédagogie critique, ce courant pédagogique axé sur la déconstruction des systèmes de pouvoir en place et le développement du pouvoir-agir des enfants, comme de tous citoyens. Parce que les enfants sont déjà acteurs de la « cité » de leur monde, à l'échelle de leur classe, de leur école, de leur quartier. Le message de Jacques est encore plus approprié en cette époque de pandémie propice à l'aliénation numérique » (merci, Lucie, pour cette dernière envolée!).

 


[iii] Si l’impact de l’utilisation des écrans chez les jeunes et moins jeunes soulève de nombreuses questions dans notre société, c’est en grande partie dû au travail acharné de Jacques Brodeur. À l’origine du Défi de la dizaine, il a organisé de nombreux colloques ( Montréal, Trois-Rivières, Gatineau, Paris, Nantes… ) et visité des centaines d’écoles au Québec, au Manitoba, aux États-Unis et en France pour sensibiliser les jeunes, les parents et les enseignants aux dangers que ces nouveaux outils peuvent représenter. Une visite sur son site web Edupax.org nous donne une idée du travail colossal qu’il a accompli. Infatigable, encore cet automne, il devait se rendre en Vendée pour répondre à la demande d’une association de parents qui voulait l’avoir parmi eux pour une série de conférences. La Covid-19 l’en a empêché.

[iv] aux éditions Black Rose Books (de l’ami Dimitri Roussopoulos), signalons la parution récente de Mind Abuse: Media Violence and its Threat to Democracy par la docteure diplômée de l’Ontario Institute for Studies in Education (Université de Toronto) et membre de Pugwash, Rose A. Dyson.

[v] Lucie Sauvé, Centre de recherche en éducation et formation relatives à l'environnement et à l'écocitoyenneté; www.centrere.uqam.ca. Directrice de la revue Éducation relative à l'environnement; Institut des sciences de l'environnement - Université du Québec à Montréal.

[vii] CADOTTE, R., SAUVÉ, L. et CHARARA, Y. (2005). À la découverte de Saint-Henri (Trousse pédagogique pour mieux comprendre les milieux défavorisés). Montréal : Éditions Ère-UQAM.