De l’esquive et du raccourci dans les transferts en santé

2020/12/15 | Par Claudette Carbonneau

L’auteure est présidente des OUI Québec

À peine engagé, le débat sur la nécessaire hausse du transfert canadien en santé semble dévier sur la pente glissante du vieux film trop souvent visionné. Dommage, car cet air de déjà vu risque de compromettre le droit des Québécois de compter sur un système de santé qui répond à ses besoins fondamentaux.

Dès sa mise en place, le système de santé canadien a dû s’appuyer sur une forte contribution financière du gouvernement fédéral en raison du partage des pouvoirs et des ressources qui a cours au Canada. Au départ, la contribution fédérale était fixée à 50 % des dépenses. Aujourd’hui, elle n’est plus que de 22 %. Ce désengagement marqué a des conséquences majeures.

Notre système de santé est continuellement au bord de la rupture, malgré le fait qu’il accapare plus de 50 % du budget du Québec. Dans ce contexte, nul ne peut reprocher à François Legault de partir en croisade pour revendiquer un rehaussement de six milliards de dollars des paiements de transfert en santé, compte tenu de l’ampleur du désengagement fédéral et du déséquilibre fiscal qui existe toujours au Canada.

Ce qui est déroutant par ailleurs, c’est de constater que l’histoire semble vouloir se répéter et qu’on s’apprête une fois de plus à refaire les mêmes choses en espérant des résultats différents.

L’attachement aux principes de la loi canadienne ne justifie pas le statu quo.

Il était par exemple troublant de lire, dans la page Idées du Devoir du 10 décembre dernier, le mauvais procès que certains font à la résolution unanime de l’Assemblée nationale pour défendre ses compétences en santé. Défendre cette compétence équivaudrait selon les auteurs, en certaines occasions du moins, à se réfugier dans un nationalisme frileux prêt à brader les grands principes directeurs que sont l’universalité, l’accessibilité et la gestion publique de notre système de santé.

Soyons sérieux, la Loi canadienne sur la santé permet déjà au fédéral de réduire les transferts aux provinces pour assurer l’application de sa loi. En conséquence, ce qui est visé par Justin Trudeau en conditionnant le milliard qu’il propose d’ajouter pour les soins en CHSLD est d’une autre nature. Cette façon de faire procède d’une volonté de s’approprier de plus en plus de pouvoirs, au mépris des leçons de la pandémie quant aux méfaits de la centralisation et à l’importance d’une gestion de proximité. Au fil des ans, le fédéral est passé maître dans l’art d’utiliser son pouvoir de dépenser comme véritable cheval de Troie de l’affirmation canadienne, tout aussi post-nationale soit-elle !

Avoir à cœur les grands principes de la Loi canadienne sur la santé, c’est aussi se préoccuper du désengagement d’Ottawa alors que la hausse des paiements de transfert se situe année après année bien en deçà de l’évolution réelle des dépenses en santé. Se préoccuper de l’accessibilité, c’est aussi savoir dénoncer les compressions draconiennes que le fédéral a parfois opérées, non pas au nom de principes, mais pour équilibrer ses propres finances sur le dos des provinces. Ces coupes sont à l’origine de la pénurie de main-d’œuvre qui met encore à mal le réseau.

 

Et la stratégie québécoise ?

L’histoire se répète aussi quand on regarde la stratégie du gouvernement du Québec. Miser à ce point sur un front commun des provinces a ses limites. Le rappel des événements entourant le rapatriement de la Constitution de 1982, la saga de l’accord du lac Meech, et la signature en rangs dispersés des ententes fédérales-provinciales en 2017 concernant le financement de la santé donnent à réfléchir.

Enfin, compte tenu des partis en présence, le recours au débat électoral pour se donner un rapport de force ne suffira probablement pas à masquer que oui, le Parti conservateur est moins porté sur les conditions attachées aux transferts, mais il est aussi le champion du « moins d’État », comme en témoignent les compressions opérées par Stephen Harper dans les paiements de transfert et la discrétion d’un Erin O’Toole sur la hauteur des engagements qu’il entend prendre.

Fatalement, il faudra se résoudre à recommencer éternellement les mêmes batailles ou encore il faudra s’assumer et s’attaquer de front au caractère dysfonctionnel de la fédération canadienne. Au cœur de ce débat, il y a toujours les questions non résolues du pouvoir fédéral de dépenser, du partage des pouvoirs et du caractère national du Québec. On ne pourra pas continuellement pratiquer l’esquive, alors que la qualité des services de santé et les idéaux d’égalité des chances et de justice sont en cause. Le faire serait une honteuse démission.