Les enjeux de l’éducation internationale

2021/01/22 | Par Anne Michèle Meggs

Le 9 janvier dernier, le philosophe et expert en sciences de l’éducation, Normand Baillargeon, s’étonnait, dans sa chronique du Devoir, du fait que des collèges, surtout privés, recrutent un nombre important de jeunes étrangers, surtout originaires de l’Inde. Il n’était pas le seul évidemment. D’autres chroniqueurs, ainsi que la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, et même le premier ministre, François Legault, étaient surpris. Pourtant tous les éléments étaient en place pour arriver à une telle situation.

 

La situation en chiffres

Le professeur Baillargeon avoue qu’il était d’autant plus étonné qu’il a travaillé à un rapport sur l’université du futur pour la ministre McCann, publié en septembre dernier. Dans ce rapport, on trouve plusieurs graphiques présentant la croissance des inscriptions internationales au niveau universitaire.

On y voit une progression constante des inscriptions internationales entre 1998 et 2008, suivi d’une croissance fulgurante entre 2008 et 2018. Cet effectif représente « une augmentation plus forte que l’effectif étudiant dans son ensemble avec une hausse de 248 % (12 943 à 44 983) comparé à 36 % (228 653 à 309 864). », par exemple :

 

La trajectoire pour le niveau collégial depuis 2011 ressemble à celle du niveau universitaire, avec 3 520 inscriptions internationales en 2011 jusqu’à 16 505 en 2019. La croissance a pris un envol significatif depuis 2017.

Une autre façon de voir les tendances est par le nombre de permis d’études émis par le gouvernement canadien, ainsi que par le nombre de permis de travail post-diplôme. Les permis d’études[1] au Québec ont connu une montée importante à partir de 2008, de 31 325 à 87 280 en 2019. La croissance a été encore plus importante en Ontario (67 705 en 2015 à 306 705 en 2019). C’est pourtant le permis de travail post-diplôme qui donne le véritable accès à la résidence permanente puisqu’il ne suffit plus d’avoir un diplôme reconnu. Au Québec, il faut maintenant également une expérience d’un an de travail. Même constat de croissance pour les permis post-diplôme. Au Québec, le nombre est passé de 1 600 en 2008 à 23 060 en 2019. La croissance a été beaucoup plus dramatique pour l’Ontario : de 7 085 en 2008 à 106 845 en 2019. Ce sont les modifications aux conditions pour ce diplôme en 2008 qui ont sûrement influencé les courbes dans les inscriptions postsecondaires internationales.

Regardons maintenant l’impact sur le nombre de personnes détentrices de ces types de permis qui ont accédé au statut de résidence permanente. Selon les données fédérales, le nombre de personnes admises au Québec ayant détenu préalablement un permis d’études était de 1 575 en 2015 et de 1 335 en 2019. Quant aux personnes admises détenant un permis de travail post-diplôme, le nombre était 2 115 en 2015 et 2 020 en 2019.

En comparaison avec l’Ontario et la Colombie-Britannique, on voit que le permis de travail post-diplôme a un impact plus significatif que le permis d’étude en ce qui concerne la transition vers la résidence permanente, surtout en Ontario (de 3 720 en 2015 à 13 485 en 2019). La Colombie-Britannique voit une tendance vers le haut, mais pas avec le même taux de croissance. Les données pour le Québec ne résument pas toute l’histoire. Il y a encore quelques milliers de personnes sélectionnées par le Québec selon l’ancien système de sélection. Ces personnes sont surtout à l’étranger. Même si depuis quatre ou cinq ans, le Québec sélectionne majoritairement des personnes à statut temporaire, elles n’accéderont pas à la résidence permanente avant que l’inventaire préalable soit entièrement traité.

Quant au pays d’origine, ce sont la Chine et l’Inde qui fournissent plus de la moitié des étudiantes et étudiants étrangers à travers le monde. Au niveau universitaire, c’est différent au Québec. À l’automne 2018, sur un total de 44 958 d’inscriptions de l’étranger, le premier pays d’origine de ces jeunes était la France avec 15 778 des effectifs, suivi de loin par la Chine avec 5 566, les États-Unis (3 115) et l’Inde (2 476). Au niveau collégial, le même automne, sur un total de 11 058 Inscriptions, le premier pays d’origine était la France (3 620), suivi de près par l’Inde (3 535). Les effectifs de la Chine arrivent à la troisième place avec 780.[2]

 

Un méli-mélo de responsabilités provinciales et fédérales

Le professeur Baillargeon pose la question suivante : « De quelles marges de manœuvre le Québec dispose-t-il pour agir en ces matières, où le Canada est parfois aussi concerné ? »

Comme dans presque tous les domaines de politique publique la réponse est forcément complexe en raison des particularités du système fédéral canadien. Le gouvernement canadien exerce un contrôle entier sur l’immigration temporaire. C’est le fédéral qui délivre les permis d’études et les permis de travail post-diplôme. Il n’y a pas de plafond sur le nombre.

Pourtant le Québec dispose d’un certain nombre de leviers. C’est le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) qui accrédite et désigne les établissements d’enseignement et les programmes reconnus à des fins d’un permis d’étude. Cette étape est critique parce que, selon l’Accord Canada-Québec, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Inclusion (MIFI) donne son consentement préalable, en forme d’un Certificat d’acceptation du Québec pour études, aux personnes admises à un établissement reconnu par le MES qui font ensuite une demande d’un permis d’étude au fédéral. De plus, le permis de travail post-diplôme est réservé aux personnes avec un diplôme d’un établissement d’enseignement désigné par une province.

Il est à noter que le permis de travail post-diplôme n’est pas lié à la province d’où provient le diplôme. Une personne diplômée au Québec possédant un tel permis peut travailler n’importe où au Canada et déposer une demande pour la résidence permanente à partir d’une autre province.

Les ententes entre le Québec et d’autres pays peuvent favoriser la diversification des sources des effectifs, comme en témoigne l’entente avec la France.

Quant à la transition vers la permanence, le MIFI détermine qui accédera à la résidence permanente au Québec, surtout dans la catégorie économique. Les conditions de la dernière réforme du PEQ (volet étudiant) incluent non seulement un diplôme québécois, mais également au moins un an de travail au Québec.

Mais les mesures administratives découlent – ou devrait découler – des orientations politiques. En matière d’éducation internationale, le système fédéral canadien permet un potentiel d’orientations fédérales qui vont à l’encontre des priorités provinciales.

Le deuxième pays au monde (après les États-Unis) pour l’attraction des étudiantes et étudiants internationaux est l’Australie. Depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral australien a une stratégie sur l’éducation internationale axée sur – quelle surprise – l’éducation. Elle mise sur l’excellence de l’enseignement, sur la recherche, l’innovation et le développement, sur la protection des jeunes et leur qualité de vie (incluant un appui à l’industrie du recrutement accompagné d’un encadrement serré), sur la contribution de l’éducation au développement international. On y trouve, par exemple, un souci d’offrir des programmes axés sur les besoins des pays d’origine des jeunes. On n’y trouve aucune référence à l’immigration ni à la main-d’œuvre.

Au Canada, c’est le fédéral qui a élaboré une stratégie d’éducation internationale, la dernière mouture a été annoncée à l’aube des élections de 2018. Ottawa n’ayant pas juridiction sur l’éducation, cette stratégie est pilotée par le ministère responsable du commerce international, avec la collaboration de ceux de l’emploi et de la main-d’œuvre et de l’immigration. Les priorités ne sont donc pas axées sur l’éducation. Le jour même du cri du cœur du professeur Baillargeon, le ministre fédéral a annoncé un autre assouplissement des permis de travail post-diplôme par ces mots : « Notre message aux étudiants et diplômés étrangers est simple : nous ne voulons pas seulement que vous fassiez vos études ici, nous voulons également que vous demeuriez ici. » Faut-il se surprendre qu’on accueille les jeunes qui envisagent les études postsecondaires comme un chemin vers la résidence permanente ?

La stratégie canadienne considère aussi les étudiantes et étudiants internationaux comme une solution aux pénuries de main-d’œuvre et une façon de rajeunir la population active au Canada. Cette attitude est également présente au Québec. En réaction à l’annonce de la baisse des niveaux d’immigration à l’automne 2018, la rectrice de l’Université de Laval a réclamé « un accroissement du nombre d’étudiants internationaux dans une capitale qui manque cruellement de bras et de cerveaux ».

 

Peut-on voir grand au Québec ?

Il est impossible dans une seule chronique de toucher à tout le potentiel et à tous les enjeux liés à l’éducation internationale. Il s’agit d’un domaine pourtant de prestige avec des avantages potentiels énormes pour tous les acteurs concernés :

  • Les jeunes de l’étranger qui, diplômés au Québec, témoignent dans leur pays et ailleurs dans le monde de leur expérience et tissent des liens économiques, culturels et sociaux ;
  • Les jeunes du Québec qui passent quelques années à l’étranger pour revenir avec une expertise et des compétences recherchées ;
  • Des institutions québécoises à la fine pointe de l’enseignement supérieur ;
  • Des pays en voie de développement de la Francophonie.

Pourquoi n’a-t-on pas inclus ces enjeux dans le mandat pour le rapport sur l’université du futur au Québec ? Peut-être parce qu’on pense encore comme province.

 

[1] Les données sur les permis temporaires représentent le nombre de détenteurs au 31 décembre de l’année concernée.

[2] Données tirées des réponses écrites aux demandes de renseignements particuliers lors de l’étude des crédits 2020-2021 en août 2020. Disponible sur le site de l’Assemblée nationale.