L’inquiétante intolérance de la nouvelle commissaire antiracisme

2021/01/22 | Par Collectif

Par Louise Beaudoin, Agnès Maltais et Évelyne Abitbol

Le rôle de choisir une personne chargée de faire reculer le racisme, bien réel et vécu à Montréal, n’est pas chose facile. Informé des objections qui pouvaient être faites à l’endroit de la commissaire désignée, Bochra Manaï, un des porte-parole de la mairesse a indiqué que « la Ville ne peut pas, légalement ou moralement, rejeter un candidat qualifié sur la base de ses positions ou emplois passés. »

Tout au contraire, les positions et les emplois passés ne sont-ils pas un indicateur essentiel pour juger de la capacité de la personne choisie d’accomplir sa tâche d’écouter, de rassembler, d’agir sur un sujet délicat avec le plus de nuances possible et par conséquent d’obtenir des chances de succès ?

 

Sa définition du racisme

La définition que Mme Manaï a du racisme est évidemment au cœur de la question. Rappelons que le racisme est fondé sur une idéologie, sur la croyance qu’il existe une race supérieure.

Or, la religion n’est pas une race !

N’en déplaise au parti municipal au pouvoir et au conseil municipal qui ont condamné à l’unanimité la loi 21 sur la laïcité. À l’encontre des 65 % des Montréalais qui favorisent l’interdiction des signes religieux pour les policiers et 58 % pour les enseignants (Crop sur la RMR novembre 2018).

Mme Manaï a donné en 2019 un discours rempli d’amalgames où elle a inscrit dans la même logique l’adoption de la loi sur la laïcité, l’attentat de la mosquée de Québec et celle de Christchurch (Nouvelle-Zélande). Elle a même indiqué que « le Québec est désormais une référence pour les suprémacistes extrémistes du monde entier ».

Estime-t-elle que la loi 21 sur la laïcité est raciste ? Cela semble être le cas puisque cinq fois, en entrevue au 98,5 FM avec Bernard Drainville, elle a refusé de se prononcer sur cette question. Qui ne dit mot consent !

Pense-t-elle donc que la forte majorité des Montréalais favorables à cette loi présentent des symptômes de racisme ?

 

Les défenseurs de la laïcité bafoués

Désormais, la commissaire chargée de faire reculer le fléau raciste, ne devrait-elle pas se prévaloir de cette forte tradition historique québécoise favorable à la séparation des religions et de l’État ?

On sait qu’un bon nombre de Québécoises musulmanes ou nord-africaines ont soutenu le combat pour la laïcité, celles qu’elle accuse d’être des « laïcardes ». Loin de se montrer respectueuse des divergences d’opinions au sein de la diversité québécoise, irresponsable, Mme Manaï a nommément accusé ces femmes d’avoir précipité « les Québécois dans une chasse aux musulmans » faisant d’elles des cibles à abattre pour les islamistes, les réduisant à de « pseudo-intellectuelles assurément exotiques ».

 

La critique confondue avec la haine

Sa définition du racisme est également problématique et dépasse le simple mépris pour ses contradicteurs au sujet de la laïcité. Dans un texte sur l’islamophobie, elle explique clairement que toute critique de l’islam est une forme de racisme contre les musulmans :

« Les détracteurs du terme islamophobie évoquent l’idée qu’il est possible de « critiquer » l’islam, sans pour autant « détester » les musulmans. Or, cette hostilité qui s’exprime à l’encontre de l’islam comme religion semble directement liée au rejet des musulmans eux-mêmes. »

Elle souscrit donc à « toutes les définitions de l’islamophobie comme racisme. » Ne distinguant pas la lutte contre l’islam radical, la critique de la religion et le racisme.

Avis donc à tous ceux qui osent dire que l’islam, même modéré, est fondamentalement inégalitaire, — comme d’ailleurs le judaïsme ou le christianisme. Ils sont, au vu de la commissaire, des racistes.

La commissaire Manaï juge-t-elle avec moins d’ouverture d’esprit les Montréalais qui critiquent l’islam radical ? Ou encore estime-t-elle que des imams et des ayatollahs extrémistes qui endoctrinent ceux qui décapitent et tuent au nom du prophète ailleurs sont des victimes ?

Ne serait-ce que pour ces amalgames qui ne distinguent pas la lutte contre l’islam radical et la critique de la religion, la mairesse de Montréal n’aurait jamais dû la nommer.

 

Les coupables sont-ils les démocrates ?

Dans un texte intitulé « Le quiproquo de la radicalisation », elle qualifie de « vaste supercherie » l’idée que des imams radicalisés poussent au crime et au djihad des jeunes Montréalais. Il s’agit, écrit-elle d’une « pseudo-théorie de la radicalisation comme processus théologique » promue à son avis, par les services de renseignements occidentaux. On convient que le processus de radicalisation des djihadistes occidentaux est un phénomène complexe lié à plusieurs facteurs.

Cependant, la négation obstinée de Mme Manaï du rôle joué par les réseaux islamistes violents, radicaux et financés par l’Iran, l’Arabie saoudite ou le Qatar, relève d’un dangereux aveuglement, d’un manque de discernement et de nuances.

Montréal a été épargnée, ces toutes dernières années, par le phénomène, mais l’Europe occidentale en constate les dégâts quotidiennement.

On pourrait penser que la nouvelle commissaire estime au moins que les assassins des caricaturistes et du personnel de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher à Paris ont répondu aux appels aux meurtres lancés par les imams et les ayatollahs violents du Moyen-Orient, appels relayés par des prédicateurs djihadistes locaux. Pas du tout !

 

L’occident responsable du manque d’intégration ?

Dans un texte ahurissant consacré à cette tuerie, Mme Manaï porte la totalité du blâme sur la France et les écueils qu’ont connus ses politiques d’intégration. La nouvelle commissaire s’attriste même du fait que son analyse sur l’échec des valeurs républicaines françaises « échappe à ces millions de marcheurs » réunis dans la foulée de l’attentat pour défendre le droit à la liberté d’expression et réprouver la haine de la civilisation occidentale portée par les djihadistes.

Si le texte juge que la politique française envers sa population arabe et ses banlieues a créé des conditions de l’aliénation d’une partie de la jeunesse, on est surpris de ne pas y lire à tout le moins un mot sur la coresponsabilité des recruteurs islamistes.

Une nuance ici, la France qui nous a précédés sur ce chemin a compris que pour vivre harmonieusement il faut séparer l’islamisme de l’islam.

 

Les forces maléfiques occidentales

Mme Manaï introduit bien dans son texte un élément géopolitique. Elle parle de « l’union des forces maléfiques » qu’elle décrit ainsi : « une solidarité inconditionnelle des États les plus meurtriers de l’Histoire ». Elle qualifie de « forces maléfiques » les pays occidentaux qui ont participé à des opérations militaires au Moyen-Orient. Elle ne parle ni de l’Iran, ni de l’Irak, ni des talibans, ni de la Turquie, etc.

Tous ces écrits sont disponibles sur le site du Huffington Post Québec.

Ne serait-ce que pour ce délire spirituel, la mairesse de Montréal aurait dû choisir un/e candidature avec un profil de rassemblement, de tolérance et surtout de pédagogie citoyenne.

L’idée que se fait Mme Manaï du racisme et des racistes, des Montréalais et des Québécois, est qu’ils portent en eux ce dangereux stigmate du racisme, qu’elle a pour mandat de les accompagner et de les redresser sur les chemins de la tolérance et de l’acceptation de l’autre, c’est-à-dire sur le chemin de l’acceptation de l’islam radical et contre cette dangereuse loi de la laïcité.

Faire, entre autres, cet amalgame entre race et religion revient à la négation totale de la liberté de conscience, une liberté des plus fondamentales qui est au cœur de la démarche laïque. Comment peut-on lutter contre le racisme et contre la discrimination tout en bafouant complètement cette liberté fondamentale ?

Alors que la laïcité permet justement une neutralité viable pour TOUS les citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses.

 

* Parmi les signataires 

Louise Beaudoin, ex-ministre des Relations internationales (Québec)
Agnès Maltais, ex-ministre de la Culture et des Communications (Québec)
Évelyne Abitbol, ex-conseillère spéciale à la diversité culturelle à l’Assemblée nationale
Mohand Abdelli, P.Eng., ingénieur retraité, Montréal
Jawad Amerzouk, chercheur doctorant en sociologie des problèmes publics, et conseiller en développement des compétences. (UQAM)
Suzie Baillargeon, enseignante retraitée pour enfants immigrants
Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque québécois (MLQ)
Frédéric Bastien, historien
Sylvie Bergeron, écrivaine
Étienne-Alexis Boucher, Société nationale de l’Estrie
Zahra Boukersi enseignante
Ferid R. Chikhi, conférencier & formateur
François Côté, avocat
Claude Kamal Codsi, président du Rassemblement pour la laïcité (RPL)
Francine Desjardins. gestionnaire
Andrée Devault, professeur à la retraite
Amin Djema, gestionnaire TI et vlogueur
Anne-Emmanuelle Lejeune, membre du CA, PDF.-Québec
Nadia El-Mabrouk, membre du RPL
Marie-Claude Girard, membre du RPL
Louise Guilbault, membre de PDF.-Québec
Ensaf Haidar, militante et défenseure de la Laïcité (FRBL)
Hassan Jamali, écrivain et professeur à la retraite
Lucie Jobin, membre du RPL
Yves Laframboise, membre du RPL
Richard Lajoie, enseignant
Ghisline Larose, féministe
Mona Latif-Ghattas, écrivaine
Leila Lesbet, Conseil du statut de la femme (CSF) Québec (2013 à 2018)
Christine Levesque, professeure et membre du CA de PDF.-Québec
Hélène Massé, enseignante
Léon Ouaknine, écrivain
David Rand, président, Libres penseurs athées (LPA)
Andréa Richard, membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)
Louis Robichaud, artiste
Guillaume Rousseau, avocat
Johanne St-Amour, féministe
Ferroudja Si Hadj Mohand, membre de l’association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL) féministe universaliste
Claire Simard, professeure-chercheuse retraitée et membre du CA de PDF.-Québec
Khaled Sulaiman, journaliste et écrivain
Nicole Vermette, orthopédagogue retraitée, membre de PDF.-Québec
Michel Virard, président, Association humaniste du Québec (AHQ)