Taux de retour énergétique du projet GNL Québec

2021/02/03 | Par Bruno Detuncq et Bernard Saulnier

Bruno Detuncq, professeur à la retraite de l’École Polytechnique de Montréal, et Bernard Saulnier, ingénieur, tous deux membres Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)

Selon le premier ministre du Québec, GNL Québec est un bon projet pour l’économie de la province, une affirmation qui est loin d’être démontrée. Dans ce contexte, une question fondamentale doit être posée : Est-ce un bon projet en terme énergétique? Et c’est là que ça se gâte.

Tout projet visant à transformer une source d’énergie primaire en énergie secondaire, par exemple de lélectricité ou de la chaleur, doit être analysé sous différents angles pour permettre une appréciation globale de ses impacts en comparaison de ceux d’autres filières énergétiques. Dans le dossier du promoteur actuellement accessible au public, il n’a malheureusement pas été possible de trouver la trace d’une approche basée sur l’analyse du taux de retour énergétique (TRE) du projet GNL Québec.

 

Le taux de retour énergétique (TRE)

Le TRE (ou EROI pour Energy Returned On energy Invested) est le ratio d'énergie utilisable finale, rapportée à la quantité d'énergie dépensée pour obtenir cette énergie. Plus la valeur du TRE est élevée, plus le projet est rentable sur le plan énergétique. Par contre, un TRE inférieur à 1 alors cette source d’énergie devient un puits d’énergie.

L’analyse développée ici utilise des données fournies par le promoteur et couvre l’ensemble du projet. Elle repose sur l’hypothèse que la finalité envisagée la plus probable du gaz naturel exporté est la production d’électricité par des centrales thermoélectriques, telle que mentionnée dans l’analyse d’impact du promoteur.

Il y a une centaine d’années, la valeur du TRE, pour le pétrole extrait en Pennsylvanie, était d’environ 100 : avec l’énergie d’un seul baril de pétrole, on pouvait en extraire 100. La tendance actuelle est à une diminution importante de cette valeur, même pour le pétrole de la péninsule arabique, qui a actuellement le TRE le plus élevé, soit environ 15. Même constat pour le gaz naturel.

Le TRE a diminué énormément avec l’épuisement des ressources de gaz et de pétrole de type conventionnel et le recours aux ressources non conventionnelles en Amérique du Nord. Ceci pour deux raisons : (1) les ressources non conventionnelles nécessitent l’utilisation de la fracturation hydraulique, ce qui demande beaucoup d’énergie, et (2) les puits s’épuisent rapidement; il faut donc, au bout de 6 mois à 2 ans, abandonner ces puits pour en forer de nouveaux.

Beaucoup d’énergie est perdue dans ce processus. Dans le cas des énergies fossiles, ces pertes d’énergie occasionnent une augmentation tout aussi importante des émissions de gaz à effet de serre (GES), ce qui est à éviter le plus possible en cette période de dérèglement climatique.

Le concept de TRE (EROI) a ceci d’intéressant qu’il permet de comparer entre elles des sources d’énergie très différentes. Dans le cas de grands complexes hydroélectriques avec réservoirs annuels ou multi-annuels, comme au Québec, une valeur du TRE d’environ 100 est courante. Une fois le barrage construit et les infrastructures installées, l’énergie qui est utilisée pour l’exploitation est gratuite et les besoins internes des centrales sont minimes. De plus, les barrages ont une durée de vie relativement longue.

Selon une étude[1] de 2014, les énergies solaire et éolienne montrent des valeurs de TRE situées entre 10 et 20, mais l’évolution de ces filières suggère que ces valeurs sont plus élevées. Ainsi, une méta-analyse[2] datant de 2020 montre que, pour l’énergie éolienne, les valeurs de TRE sont de l’ordre de 35 pour les grandes installations terrestres récentes, et d’environ 17 pour les grandes installations en mer. Pour ces filières, les émissions de GES produites lors de la fabrication et de la construction des installations deviennent pratiquement nulles durant la phase d’exploitation.

Pour les filières du pétrole et du gaz non conventionnels, le TRE est faible et varie en fonction de la difficulté d’extraction du combustible, du nombre d’étapes entre l’extraction et la combustion. L’épuisement graduel et inexorable des réserves fait diminuer la valeur du TRE d’année en année, car la ressource est de plus en plus difficile à extraire. Ce qui n’est pas le cas des sources d’énergie renouvelables, dont le TRE demeure constant ou augmente avec les avancées technologiques.

Afin de ne pas surcharger le texte, nous présenterons uniquement les résultats de calculs sous forme de pourcentage de l’énergie annuelle exportée à partir du Saguenay. Toutes les étapes du projet ont été prises en comptes, sauf l’exploration, qui est peu énergivore et mal documentée.

La valeur de 100% a été donnée à l’énergie qui serait exportée. L’extraction du gaz naturel demande 5,9% du total, le raffinage demande 0,2%, le transport par gazoduc 2,5%, la liquéfaction 3,97%, le transport par méthanier 1,7%, la regazéification 0,4%, et les pertes à l’étape de la production électrique 49%.

L’énergie nette de l’ensemble du système sera l’énergie contenue dans le gaz naturel à la source moins toutes les portions d’énergie nécessaire pour que le système fonctionne et moins toutes les pertes d’énergie. Le TRE consiste donc à comparer l’énergie électrique finale (énergie utile) à tout ce qui en coûte énergétiquement pour la produire.

 

Le TRE calculé du projet GNL Québec est de 3,9

L’inclusion des phases de construction des installations de forage, gazoducs, usine de liquéfaction, méthaniers et centrales thermoélectriques dans les calculs du TRE fait fortement baisser la valeur calculée de 3,9.

Alors, comment justifier un tel projet? Il semble que l’industrie des hydrocarbures, dans laquelle des capitaux énormes ont été investis, ne perçoit pas la réalité objective de son impact sur la société et sur l’environnement.

En terme énergétique, ce projet n’est absolument pas justifié, compte tenu du très mauvais résultat de retour énergétique. Si on compare ce résultat avec ce qu’il est actuellement possible d’atteindre avec les énergies renouvelables, principalement pour les grandes installations terrestres d’éoliennes, il est financièrement absurde d’investir dans des projets de GNL. Mais, surtout, lorsque l’on compare les conséquences écologiques de ces deux approches, la filière du gaz de fracturation est une vraie catastrophe. Ceci aussi bien au niveau global de l’urgence climatique qu’au niveau local en termes de détérioration des sols, de l’eau et des milieux vivants.

Il faut donc refuser l’implantation d’une usine de liquéfaction du gaz naturel au Saguenay.

Le mémoire de Bruno Detuncq, présenté au BAPE Énergie Saguenay, est disponible sur le site du RVHQ.[3]