Legault, la « cancel culture » et les étudiants internationaux

2021/02/08 | Par Pierre Dubuc

Dans son livre essentiel Pourquoi la loi 101 est un échec (Boréal), notre chroniqueur Frédéric Lacroix montre qu’au cours de la période 1995-2019 « presque la moitié des nouvelles inscriptions dans les universités à Montréal s’est faite dans les institutions anglophones ». Si bien que Concordia dépasse maintenant l’UQAM au chapitre des effectifs.

Une des principales causes de cette situation est la chasse aux étudiants internationaux, parce que le financement des universités en dépend. De 2009 à 2019, leur nombre a pratiquement doublé, passant de 24 936 à 48 357.

« Sans surprise, souligne Lacroix, Concordia et McGill sont en tête du classement pour ce qui est du nombre absolu d’étudiants internationaux accueillis et de la hausse absolue du nombre d’étudiants internationaux sur cette période. Les étudiants internationaux constituent 26,3% de l’effectif total de Bishop’s, 30,5% de celui de McGill et 26,3% de celui de Concordia: dans les universités anglophones, plus d’un étudiant sur quatre est un étudiant international. Prises dans leur ensemble, les universités anglophones ont accueilli, en 2019, 43% des étudiants internationaux inscrits au Québec. »

On les courtise, on les cajole et on se plie à leur chantage. Selon certains observateurs, la peur de les perdre – et de l’argent qui vient avec – expliquerait la mollesse, voire l’absence, de réaction des autorités universitaires devant les atteintes flagrantes à la liberté d’enseignement et à la libre expression des idées sous la bannière de la « cancel culture ».

Ce qu’on sait moins, c’est que cette situation découle d’une décision concernant le financement des universités prise par François Legault, lorsqu’il était ministre de l’Éducation en l’an 2000. Citons longuement à ce sujet Frédéric Lacroix :

« L’évolution récente des effectifs universitaires est largement due à la formule de financement des universités qui a été introduite en février 2000 par le ministre de l’Éducation du gouvernement de l’époque, François Legault. Cette formule mettait fin aux fonds attribués sur une base historique, c’est-à-dire aux fonds qui étaient largement reconduits d’une année à l’autre à l’identique, majorés pour l’inflation. Elle allouait plutôt un certain montant par étudiant.

« L’argent suivait maintenant les effectifs: plus ceux d’une université gonflaient, plus le financement provenant de Québec augmentait. On a également créé une formule pour exprimer l’effectif en «étudiants équivalent temps plein» (EETP) afin de convertir les étudiants à temps partiel en étudiants à temps plein. Parallèlement, on a mis en place une modulation visant à mieux financer les facultés «lourdes», plus chères (sciences, génie et, surtout, médecine et dentisterie), et à moins financer les facultés «légères» (philosophie, littérature, sciences sociales, droit), moins coûteuses. En outre, les cycles supérieurs étaient mieux financés que le premier cycle, selon une hiérarchie accordant plus d’argent à la maîtrise relativement au baccalauréat, et encore davantage au doctorat.

« Les universités ne disposant pas de facultés «lourdes», telles l’UQAM ou certaines institutions régionales appartenant surtout au réseau de l’Université du Québec (UQ), se sont donc vu assigner officieusement, en vertu de cette politique de financement, un rôle d’universités minor: comme les diplômes qu’elles offraient étaient limités aux facultés «légères» et comme leur vocation était restreinte, leur financement gouvernemental serait relativement faible (ainsi que leurs dépenses, en théorie).

« Les universités possédant des facultés «lourdes», comme McGill, l’UdeM, Laval et Sherbrooke, obtenaient, par contraste, un rôle d’universités major: leur financement serait plus important. L’effet pervers majeur de cette formule aura été, vu que le financement était maintenant proportionnel au nombre d’étudiants, de créer de toutes pièces un «marché» de l’éducation au Québec et de déclencher une course au nombre d’inscriptions entre les universités, sans chercher à corriger les inégalités structurelles présentes dans le système. Le réseau de l’UQ, en particulier, a eu tendance à multiplier les petits établissements et les campus afin de maximiser la cueillette d’étudiants et de subventions associées. (…)

« Chose certaine, cette formule de financement ne corrigeait pas les injustices historiques, injustices qui favorisaient depuis longtemps les universités anglophones. Rappelons qu’au début des années soixante celles-ci touchaient 28,5% des subventions accordées aux universités du Québec. Cette part attribuée aux anglophones allait rester relativement stable dans les décennies suivantes, les francophones se partageant le 71,5% restant, et ce, malgré la fondation de l’UQAM et le développement fulgurant du réseau de langue française.

« La part attribuée aux universités de langue française a donc toujours été non seulement bien inférieure au poids démographique des francophones, mais très en deçà du 90% dont elles auraient dû bénéficier pour assurer la complétude institutionnelle du réseau postsecondaire français. Cette formule a même aggravé le déséquilibre financier en faveur du réseau universitaire anglophone.

« La formule élaborée par le gouvernement péquiste en 2000 aurait dû, pour redresser un tort historique, chercher à pondérer le financement des institutions de langue française de façon à leur assurer une part correspondant à 90% du total. Or, les universités anglophones recevaient 30% du budget en 2004-2005, comparativement à 29,3% en 1997-1998.

« Ainsi, la formule intégrait l’injustice historique du surfinancement des institutions anglophones comme base de départ et, transformant l’éducation supérieure en marché, leur ouvrait des portes pour qu’elles accroissent leur avantage sur les universités de langue française. Disposant d’un important capital de prestige, de fondations richement dotées, enseignant dans la langue la plus prestigieuse de notre époque, elles partaient avec une longueur d’avance. McGill, en particulier, allait pouvoir se déployer dans un créneau porteur et lucratif: la recherche et les cycles supérieurs. Concordia allait prendre son essor, gonfler son effectif au premier cycle et déclasser l’UQAM.

« La situation catastrophique du français à Montréal aujourd’hui peut être attribuée en bonne partie à ce refus de reconfigurer l’architecture institutionnelle de la métropole afin d’assurer aux francophones une complétude institutionnelle qui corresponde à leur poids démographique. Il s’agit là d’un échec collectif de grande envergure. »

Ajoutons qu’aujourd’hui le permis d’étude conduit au permis de travail et à la résidence permanente, sans que, pratiquement, le Québec ait son mot à dire, comme l’a démontré notre chroniqueuse Anne-Michèle Meggs dans son article Les enjeux de l’éducation internationale.

Voilà où nous a menés l’approche « comptable » de notre comptable en chef ! Pas étonnant qu’il ait mis sur la liste des priorités de son gouvernement des millions de dollars pour l’agrandissement de Dawson et McGill ! « L’éducation est ma priorité » proclame-t-il. You bet !

Un gouvernement nationaliste, dites-vous ?