Un voyage en Abitibi avec Raymond Lévesque

2021/02/16 | Par Pierre Dubuc

Raymond Lévesque était un ami de longue date de l’aut’journal. Nous avons publié de ses textes; nous en avons même refusé à l’occasion. Et je me souviens qu’avec Paul Rose, nous allions le rencontrer pour lui expliquer le bien-fondé de notre refus. Dans sa défense des « p’tites gens », il lui arrivait de se tromper de cible ou de prêter flanc à des poursuites en diffamation quand il s’en prenait férocement à certains leaders péquistes. Mais je me souviens surtout de l’avoir accompagné lors d’une tournée d’une semaine en Abitibi. C’est de cela que je veux maintenant parler.

En 1988, un incendie criminel détruisait un entrepôt de barils de BPC à Saint-Basile-le-Grand en Montérégie, laissant le gouvernement aux prises avec 20 000 tonnes de BPC extrêmement toxiques. La solution un temps envisagée a été la construction d’un incinérateur à Senneterre en Abitibi. Mais, rapidement, un groupe de citoyens de la région s’est formé pour s’opposer à ce projet aux émissions polluantes. Ils sont entrés en contact avec l’aut’journal afin que nous les aidions à faire connaître leur lutte à l’échelle du Québec.

À cette époque, Raymond Lévesque avait monté un spectacle sur l’environnement avec Céline Arsenault et Sylvie Painchaud, qui collaborait à l’aut’journal. Surgit alors l’idée d’une tournée de spectacles en Abitibi pour soutenir la lutte de ce groupe de citoyens. Pour l’organisation de la tournée, on nous met en relation avec un certain Monsieur B., dont vous comprendrez pourquoi il est préférable de taire le nom.

Dès notre arrivée à Val d’Or, nous nous sommes rapidement rendu compte que quelque chose clochait. Nous avons appris par la suite que le dénommé Monsieur B. s’était mis à dos l’ensemble des membres du groupe environnemental en voulant s’approprier tout le crédit – et les éventuels bénéfices financiers – de la tournée.

En déambulant dans les rues de Val d’Or, il est devenu évident que notre hôte n’avait pas fait le minimum d’efforts pour informer la population de la tenue des spectacles. Les gens arrêtaient Raymond sur la rue pour le saluer et lui demandaient : « Quel bon vent vous amène à Val d’Or, Monsieur Lévesque ? » Manifestement, ils n’avaient pas vu les 2 ou 3 affiches que monsieur B. avait collées dans quelques-uns des restaurants de la rue principale.

Ce qui était hautement prévisible s’est malheureusement produit. À Val d’Or, Rouyn-Noranda, Amos, Senneterre, les salles étaient quasiment vides. Raymond était évidemment déçu, mais pas surpris. Sa réaction oscillait entre deux pôles. Tantôt, il s’attribuait – faussement – la responsabilité de l’échec. « Je ne suis pas Gilles Vigneault. Je n’ai jamais attiré beaucoup de monde à mes spectacles ». Tantôt, il s’emportait – avec raison – contre Monsieur B. « Il aurait fallu qu’il travaille avec tout le groupe pour informer la population et l’inviter au spectacle ». Et le tout se concluait par un « There Is No Business Like Show Business ».

Le dernier spectacle était prévu à Barraute, la petite municipalité d’où était originaire Monsieur B. Il n’y avait pas de salle de spectacle proprement dite à Barraute. Pouvait en tenir lieu, avec beaucoup d’imagination, un genre de mezzanine dans l’aréna local.

À notre arrivée, nous retrouvons le dénommé Monsieur B. effondré dans l’escalier qui mène à la mezzanine, complètement dévasté. Il ne s’est vendu que deux billets ! Il n’a rien préparé, rien décoré. Pas monté de scène, pas placé de chaises. Sans doute, en avait-il conclu que le spectacle serait annulé. C’était mal connaître Monsieur Lévesque.

Raymond trouve une paire de ciseaux, des bouts de tissus, et se met à confectionner des guirlandes, qu’il accroche au plafond. Il aligne des boîtes à beurre pour supporter un contre-plaqué 4 x 8 qui servira de scène devant une dizaine de chaises pliantes qui font office d’auditoire. À l’heure prévue, il accueille les deux spectatrices, des dames d’un certain âge, en leur assurant que le spectacle aura bel et bien lieu.

Et le spectacle a eu lieu. Avec Raymond qui lit des poèmes – sa surdité l’empêche de chanter – et Céline et Sylvie qui interprètent ses chansons. Jake Rouleau de Senneterre est aux commandes du système de son. Le spectacle se déroule comme s’il y avait salle comble, comme s’il y avait 100, 200, 500, 1000 spectateurs ! Avec le même professionnalisme. Raymond le justifiera ainsi : « Elles ont payé leurs places. On ne peut tout de même pas les punir pour ceux qui ne sont pas là ! Elles ont droit à un spectacle en bonne et due forme. »

Puis, à la toute fin du spectacle, pour me remercier d’avoir eu l’idée de cette tournée et de les avoir accompagnés, Raymond me dédie ce soir-là ce que je considère comme étant sa plus belle chanson : « Dans la tête des hommes ». (J’ai appris dernièrement que c’était aussi sa préférée). Ce fut un des plus beaux spectacles auquel il m’a été donné d’assister. Mais c’était aussi une des plus belles et inoubliables leçons de vie.

Merci Raymond !

 

DANS LA TÊTE DES HOMMES

Dans la tête des hommes,
Qui sait ce qui se passe ?
Dans la tête des hommes,
Moins connue que l’espace.

Il y a de l’amour,
Beaucoup plus que l’on pense,
Mais la lutte des jours,
Éternelle défense,

Pose tant de problèmes
À la bonne conscience,
Mais faut souvent quand même
Frapper pour l’existence.

Dans la tête des hommes,
Il y a de grands rêves,
Quand ils en font la somme,
Bien peu qu’ils parachèvent.

L’espoir, est-ce un mensonge?
À l’heure régulière
Agrémente leurs songes
D’éclatantes lumières.

Il y en a qui patientent
Mais d’autres qui se lassent
D’un fleuve qui serpente
Englouti dans sa vase.

Dans la tête des hommes,
Il y a la folie
Des guerres qui consomment
Et les hommes et la vie,

Puis il y a encor
L’immense solitude
Aussi devant la mort,
L’éternelle inquiétude.

Dans la tête des hommes,
Même les plus moroses,
Dans la tête des hommes,
Il y a aussi des roses,

Les roses de l’enfance,
Une maison, une mère,
Un jardin, des vacances,
Que c’était beau naguère !

Dans la tête des hommes,
Il y a un empire,
C’est l’empire de Rome,
Des regrets qui déchirent.

Et jusqu’au dernier jour,
L’empire de l’amour.
Ah, le besoin d’aimer,
D’aimer pour s’oublier !