Contingenter les cégeps anglais : une fausse bonne idée

2021/03/10 | Par MQF

À l’instar de nombreux observateurs ces jours-ci, le Mouvement Québec français (MQF) s’oppose à la fausse bonne idée du gouvernement Legault de contingenter les cégeps anglais pour régler le problème linguistique au collégial. Plus largement, le MQF en a soupé des errements et atermoiements sans fin des Caquistes dans le dossier linguistique et tout particulièrement sur l’enjeu criant de l’anglicisation de l’éducation supérieure au Québec, sachant qu’en date de la rentrée de septembre prochain – soit dans à peine quelques mois – le français comme langue des études collégiales préuniversitaires à Montréal sera probablement déjà… minoritaire .

Comme pour meubler le temps dans l’attente de la réforme de la loi 101 promise par le ministre Simon Jolin-Barrette, voici que la CAQ lance un ballon d’essai, laissant couler l’idée de « contingenter » l’accès aux cégeps anglophones. Or, cette proposition, à mille lieues d’être « costaude », se révèle au contraire dangereusement chétive, bancale et mal avisée. Si par malheur elle devait être retenue, une telle mesure générerait plus de problèmes qu’elle n’en règlerait. Voici de plus amples explications.

 

Une fausse bonne idée à la lumière de ce qui existe déjà

« En principe, la vocation des cégeps de langue anglaise consiste essentiellement à servir les étudiants de langue anglaise issus du secondaire anglophone. Or, depuis le début des années 2000, ces institutions accueillent en majorité des étudiants non anglophones. D’ailleurs, en raison du nécessaire plafonnement des effectifs, fixé pour chaque cégep par le ministère de l’Enseignement supérieur, ce sont chaque année des milliers – oui, des milliers – de candidats au cégep anglais qui voient leur demande d’admission rejetée.

Il existe donc déjà, à l’heure actuelle, une forme très significative de contingentement pour l’accès au réseau public anglophone, surtout à Montréal ; seuls les meilleurs étudiants y étant acceptés. Par exemple, pour entrer à Dawson en sciences de la nature, on exige une moyenne générale de plus de 85 %, selon Frédéric Lacroix. Il s’en dégage, à l’évidence, un élitisme démesuré, avec toutes les violences symboliques et autres iniquités socioéconomiques que cela implique ; à contre-sens totalement des principes d’accessibilité universelle qui devraient pourtant être au cœur de notre système collégial public québécois.

Cette situation peut même nuire aux aspirations de certains étudiants anglo-québécois qui, parce qu’ils n’auront pas cumulé une moyenne générale de A ou A+, se trouveront privés de l’accès au cégep anglophone de leur choix. En l’occurrence, leur place sera plutôt occupée par de jeunes « bollés » allophones et francophones, typiquement issus du secondaire privé et de familles favorisées, désireux de vivre une très personnelle expérience d’« immersion linguistique » qui, pensent-ils non sans raison, leur servira de rampe d’accès aux privilèges de la classe anglo-montréalaise. Rappelons que cette « immersion linguistique » débouchera plus tard, pour la majorité d’entre eux selon l’IRFA, sur un véritable transfert linguistique vers l’anglais dans la vie académique ou professionnelle ; une « aliénation » linguistique – pour reprendre le terme chéri par Gaston Miron – (72% chez les allophones, 54% chez les francos).

Comme on peut s’y attendre, ce contingentement de facto, en tant qu’il existe déjà, entraîne un phénomène de rareté qui renforce sans cesse le prestige social (et économique) des institutions anglophones en général ; prestige déjà éminemment élevé du fait de l’hégémonie de la culture anglo-saxonne.

Ce statut prééminent de l’anglais, tel qu’il se déploie au sein même de notre réseau public d’enseignement supérieur avec la sur-bénédiction financière de l’État, a pour conséquence de reléguer le statut du français au second plan, a fortiori dans la région métropolitaine, le tout sous le regard des nouveaux arrivants qui, forcément, en tireront les conclusions logiques quant à leurs choix d’avenir…

La force gravitationnelle, irrésistible, de l’anglais étant ainsi reconnue et solidement cristallisée dans notre vie publique, cette dynamique influe puissamment sur les institutions de langue française qui, elles-mêmes, auront tendance à embrasser cette réalité « de marché », comme en témoigne depuis un certain temps, hélas, l’anglo-bilinguisation de l’offre de cours dans plusieurs cégeps et universités francophones.

 

Contingenter formellement reviendrait à empirer les choses

Ce qui précède concerne uniquement la situation actuelle. Or, l’idée du gouvernement Legault portant à contingenter formellement, pour l’avenir, l’accès au réseau collégial anglophone ne ferait qu’empirer les choses en alourdissant ces phénomènes. Surtout, si par malheur l’on devait retenir cette proposition – presque insultante pour l’intelligence nationale au regard de la gravité objective du déclin du français –, hé bien cela ne changerait certes pas grand-chose au fait que des milliers et des milliers de jeunes allophones et francophones continueront encore, année après année, à se ruer vers les cégeps anglophones, avec les conséquences délétères que l’on connaît quant à la fragilisation du statut et de la vitalité de notre langue commune, notamment dans le monde du travail …

 

Le français, langue de l’âge adulte, non seulement de l’enfance

Enfin, une telle demi-demi-mesure, signe évocateur d’un gouvernement incapable de mettre ses culottes, irait à contre-sens des principes inhérents à la politique linguistique québécoise depuis la Révolution tranquille, lesquels visaient à faire du français la langue incontournable de la réussite et de la promotion sociale au Québec ; à faire du français la « langue de la piastre », pour citer René Lévesque ; à décoloniser une fois pour toutes notre rapport à la langue ; à devenir maître chez soi en s’assurant tout d’abord d’être maître de soi, comme toute nation qui se respecte.

Ainsi, le français ne devrait pas, chez nous, être perçu comme une langue infantile ou un simple passage obligé de la maternelle à la cinquième secondaire. Le français devrait être la langue de l’âge adulte, la langue du dépassement de soi, la langue des « vraies affaires ».

 

Le gouvernement Legault et la loi 101 au cégep

Devant le tournage en rond du gouvernement Legault sur la question du français au cégep, le président du MQF, Maxime Laporte a fait valoir : « Le devoir appelle monsieur Legault. Mais, monsieur Legault fait mine d’y répondre... Même si le feu est pris, il laisse sonner, encore et encore, invoquant tous les prétextes du jour pour mieux se ménager le courage d’enfin décrocher le combiné et d’agir en conséquence. Et lorsque par miracle on parvient à lui soutirer un semblant de réponse, c’est pour se faire dire que “ça va bien aller”, qu’un fusil à l’eau devrait suffire à vaincre l’incendie... Pis encore, pendant ce temps, nos pompiers “nationalistes” de la CAQ, du moins l’aile régressive de la caserne, se plaisent à jouer les pyromanes, eux qui caressent plutôt l’idée de nourrir à volonté le brasier de l’anglicisation à Montréal, en gréant McGill et Dawson de centaines de millions en combustibles… »

« Heureusement, devant un tel maelström de couardise, des voix éclairées et visionnaires s’élèvent. Des experts, des journalistes, des citoyens illustres sonnent l’alarme et réaffirment haut et fort la nécessité d’étendre la loi 101 au collégial ; seule mesure suffisamment “costaude” pour rallonger un tant soit peu l’espérance de vie du Québec français. Comme nous l’apprenait un récent sondage, cette solution, si politiquement audacieuse voire peccamineuse aux yeux de certains, se trouve désormais appuyée par une majorité de nos compatriotes – développement qui n’a rien banal. Ainsi, il est plus que temps que notre gouvernement national prenne ses responsabilités ; qu’il se trouve une colonne vertébrale. Les prochaines générations de Québécois lui en seront profondément reconnaissantes », a conclu M. Laporte.