Québec préfère les universités anglaises

2021/03/15 | Par Frédéric Lacroix

Les revenus globaux des universités

Les universités québécoises tirent des revenus de plusieurs sources. Par ordre d’importance, il s’agit, en moyenne et pour l’ensemble du réseau : 1) du gouvernement québécois (49,9 % des revenus totaux), 2) d’Ottawa (20,9 %) 3) de droits de scolarité payés par les étudiants québécois, canadiens et internationaux (16,4 %) et 4) d’autres sources (12,9 % : dons, fondations, secteur privé, etc.)[1].

Les subventions versées par le gouvernement du Québec sont majoritairement normées selon certains critères objectifs (surfaces d’enseignement en mètres carrés, personnel, effectif étudiant) et devraient donc être équitablement distribuées entre chaque institution. Mais cela n’est pas le cas pour les autres sources de revenus des universités. Ottawa, par exemple, investit dans les universités surtout par le biais de subventions de recherche attribuées par concours. Ce mécanisme d’attribution a tendance à favoriser les institutions qui ont déjà obtenu des subventions « d’excellence » par le passé. On notera, par exemple, que McGill University, à elle seule, obtient le tiers des fonds versés au Québec par Ottawa sous prétexte de « l’excellence » de ses demandes et de ses chercheurs. Mais qu’est-ce que cette « excellence » si ce n’est le fait que McGill, la première université fondée au Québec, a toujours bénéficié de l’appui de l’élite financière anglophone? Cette institution à qui le gouverneur anglais du Québec a fait don à sa naissance, comme une bonne fée, de généreux capitaux de départs puisés à même les biens confisqués aux Sulpiciens et aux Jésuites. Son « excellence » est due — en bonne partie — à sa richesse, richesse due à une iniquité historique, iniquité due à la Conquête anglaise, injustice jamais redressée ou corrigée[2].

Si les droits de scolarité des étudiants québécois et canadiens hors Québec sont normés en fonction des crédits de cours auxquels ils s’inscrivent, cela n’est plus le cas pour les étudiants internationaux, car leurs droits de scolarité ont été partiellement dégelés depuis quelques années et entièrement déréglementés en 2019 ; les universités sont donc libres d’en exiger des montants importants (souvent des dizaines de milliers de dollars par année) et peuvent aussi maintenant conserver l’entièreté de ces fonds pour les reverser ailleurs dans leur budget d’exploitation.

La contribution provenant de chaque source au revenu global d’une institution varie donc grandement selon l’université ; certaines universités, dont les institutions régionales du réseau de l’Université du Québec, sont presque entièrement dépendantes des fonds du gouvernement du Québec et des droits de scolarité versés par les étudiants québécois (ces deux sources représentent 90 % de leurs revenus). Leurs revenus globaux sont donc relativement faibles. Ces universités sont les « pauvresses », la classe ouvrière de notre système universitaire. Viennent ensuite les universités de plus grande taille (l’UQAM) ou les petites universités dotées de facultés plus « rémunératrices » (l’Institut national de la recherche scientifique [INRS]), l’École de technologie supérieure (ÉTS), les Hautes études commerciales (HEC)) qui forment la « classe moyenne inférieure » du réseau. Les universités dotées d’une faculté de médecine, comme l’université Laval (Laval), Sherbrooke et l’Université de Montréal (UdeM) font partie d’une classe moyenne que l’on pourrait qualifier de « supérieure ». Concordia University, qui n’a pas de faculté de médecine, mais qui dispose de juteux revenus versés par les étudiants internationaux, peut être rangée dans cette catégorie. Au sommet de la hiérarchie trône McGill University, « l’aristocrate » de notre réseau. McGill, il faut le souligner, exerce un rôle de plus en plus hégémonique dans le monde universitaire à Montréal et au Québec. Cette université est de loin la plus riche au Québec et surclasse — de loin — toutes les autres.

S’appuyant sur un ensemble de facteurs favorables; leur localisation dans les grands centres, un portefeuille immobilier souvent étendu, des fondations bien garnies, l’accès à des revenus importants grâce aux étudiants internationaux, les universités anglophones (Bishop’s, Concordia et McGill) jouissent d’une position enviable dans la hiérarchie universitaire québécoise.

 

Les revenus du gouvernement du Québec

Fournissant la moitié de leurs revenus globaux, le gouvernement du Québec se trouve à être l’un des principaux bailleurs de fonds des universités québécoises.

L’argent investi par le Québec est essentiellement réparti selon trois enveloppes : 1) les fonds de fonctionnement, 2) les fonds d’investissement (ou d’immobilisation), et 3) les subventions de recherche.

La première enveloppe est versée pour compenser les coûts directs de formation par étudiant en fonction du nombre d’étudiants équivalent temps plein (EETP) selon une formule de répartition « pondérée » selon les coûts par programme et par faculté (car un étudiant en médecine, par exemple, ne coûte pas la même chose qu’un étudiant en littérature, même si les frais de scolarité qu’ils versent à l’institution sont quasi identiques). La deuxième enveloppe est versée pour compenser les coûts d’immobilisation (locaux, laboratoires, rénovation, réaménagement, etc.) reliés à ces EETP. La formule de répartition tient aussi compte du personnel équivalent temps plein (PETP) occupant ces espaces. Quant aux subventions de recherches, elles sont versées via des organismes subventionnaires suite à des concours.

En ordre d’importance, les fonds de fonctionnement sont généralement plus importants que les fonds d’immobilisation. Les subventions de recherche provenant du gouvernement du Québec sont assez marginales en comparaison des deux premiers fonds. Par exemple, en 2020-2021, Québec versait quelques 3,3 milliards de dollars aux universités dans l’enveloppe des fonds de fonctionnement. Pour la même année, 208 millions de dollars étaient versés pour le « maintien des actifs immobiliers » via le fonds d’immobilisation (cette somme exclut les nouveaux projets de développement immobilier). En comparaison, le Fonds de recherche du Québec Nature et Technologies (FQRNT) disposait de moins de 70 millions de fonds de recherche à attribuer en 2018-2019[3].

Le portrait brossé plus haut est un résumé simplifié des grandes lignes de la formule de financement des universités. Le document qui détaille les règles budgétaires, intitulé « Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec », fait 197 pages[4]. L’opacité et la complexité de la formule de financement sont telles qu’on peut se demander si le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MÉES) a réellement une vue d’ensemble de la chose ou si plutôt, d’une année à l’autre, la formule de financement est simplement reconduite avec quelques ajustements ad hoc au besoin, ajustements qui rajoutent une autre couche de complexité. La mécanique d’attribution des fonds continue-t-elle à fonctionner toute seule, un peu comme une poule sans tête, sans que personne ne se pose plus la question de savoir si elle répond aux grands objectifs que s’est fixés le Québec en éducation suite à la Révolution tranquille, soit l’accessibilité des études supérieures et l’équité envers tous les étudiants ?

L’on sait que le financement d’Ottawa aux universités québécoises favorise de façon outrancière les universités anglophones[5]. L’on sait que la politique de déréglementation des droits de scolarité des étudiants internationaux, une décision du gouvernement du Québec (du gouvernement de Philippe Couillard précisément), favorise aussi de façon scandaleuse les universités anglophones. Il semble donc légitime de se poser la question suivante : la politique de financement des universités du gouvernement du Québec, pour ce qui est des autres fonds, est-elle équitable envers les universités, peu importe la langue d’enseignement ?

Seul le MÉES, qui dispose de l’ensemble des paramètres de la formule de financement des universités, serait en mesure de répondre précisément à cette question. Ce que nous pouvons faire, par contre, c’est calculer l’équité dans la répartition des fonds entre les institutions à l’aide d’une approximation. Il semble tomber sous le sens que l’attribution des fonds devrait être approximativement proportionnelle à l’effectif étudiant d’une institution (l’EETP pondéré). Les étudiants constituent en effet la raison d’être et le cœur de tout le système universitaire ; les paramètres d’attribution des fonds devraient normalement s’articuler autour et en fonction de l’effectif étudiant.

Voilà notre hypothèse de travail. Testons-la en prenant comme exemple les fonds d’immobilisation.

 

Les fonds d’immobilisation

La répartition des fonds d’immobilisation se fait selon une formule tenant compte des surfaces reconnues par le MÉES, de la nature de ces espaces, des EETP et du Personnel équivalent temps plein (PETP) qui les occupent, etc. Le cadre normatif utilisé pour calculer la répartition des fonds se trouve ici. Ce cadre garantit, selon toute apparence et grâce à son recours à des critères objectifs, une équité dans la répartition des fonds entre les institutions.

Le détail des fonds versés en immobilisation pour chaque université est disponible sur le site du MÉES. Des données annuelles par année financière s’y trouvent disponibles. J’ai calculé les fonds versés à chaque institution via les enveloppes de maintien d’actifs immobiliers pour la période 2001-2020. Cette enveloppe ne représente pas la totalité des fonds versés en immobilisation aux universités et excluent, par exemple, les sommes affectées au développement de projets spéciaux, d’agrandissements ou de nouveaux espaces ajoutés durant l’année financière ciblée. Les sommes affectées au maintien des actifs pour une année financière donnée intègrent néanmoins dans la base de calcul les agrandissements réalisés par le passé et reconnus par le MÉES. Si on recule suffisamment dans le passé, on pourra ainsi suivre l’évolution des investissements d’immobilisation, incluant l’intégration de nouveaux espaces à la base de calcul.

La figure 1 représente la répartition des investissements d’immobilisation (dans l’enveloppe de maintien d’actifs) par le gouvernement du Québec pour la période 2001-2020 (années financières 2001-2002 à 2020-2021). La répartition est effectuée selon la langue d’enseignement des institutions ; la ligne rouge représente la part attribuée aux universités anglophones (Concordia, McGill et Bishop’s) tandis que la ligne bleue représente la part attribuée aux universités francophones (Laval, l’UdeM, HEC, Polytechnique, l’ÉTS, Sherbrooke, l’UQAM et le réseau de l’Université du Québec).

Figure 1 : Immobilisations en fonction de la langue d’enseignement sur la période 2001-2020 pour tout le Québec

On constate que la part attribuée aux universités francophones a chuté sous la barre des 70 % en 2003 (28,6 % était affectée aux anglophones en 2001) et a atteint un creux à 65,6 % en 2010 avant de remonter légèrement par la suite (tout en se maintenant sous la barre des 70 %). En moyenne, 32,3 % des fonds d’immobilisation étaient versés aux universités anglophones et 67,7 % des fonds étaient versés aux universités francophones durant la période 2001-2020.

Rappelons qu’en 2019, 25,9 % des effectifs universitaires du Québec étaient inscrits dans les trois universités de langue anglaise. En 2017, ces mêmes universités allaient chercher 29,9 % des revenus globaux de toute source au Québec. Elles touchaient aussi 20,8 % des revenus du Québec (fonds de fonctionnement, fonds de recherche et fonds d’immobilisation confondus). En moyenne, durant cette période, le poids démographique des anglophones au Québec s’est maintenu autour de 8,2 % (selon la langue maternelle).

Dans mon livre « Pourquoi la loi 101 est un échec », je démontre que les universités anglophones jouissent d’une « surcomplétude institutionnelle » d’un facteur trois en faisant le rapport des effectifs étudiants sur le poids démographique. Elles reçoivent environ 3,7 fois plus d’argent globalement qu’il n’y a d’anglophones (langue maternelle) au Québec. Ce qui signifie que les universités francophones sont sous-financées relativement au poids démographique des francophones au Québec.

Quand on fait le rapport entre les fonds d’immobilisation et le poids démographique des anglophones, on constate que les universités anglophones bénéficiaient de quatre fois plus d’argent relativement au poids démographique des anglophones sur la période 2001-2020, soit un ratio encore plus élevé que celui calculé pour le revenu global (à 3,7 fois). La part attribuée aux immobilisations pour les universités anglophones (32,3 %) dépasse nettement la part de leur effectif universitaire et aussi la part des revenus globaux que recueillent ces universités. Ces données renforcent la thèse de « l’incomplétude institutionnelle » qui mine les universités de langue française au Québec.

Il est intéressant de noter que la part d’immobilisation qui va à Concordia était de 10,3 % en 2020 tandis que celle attribuée à l’UQAM était de 8,3 % ; depuis 2001, le MEES investit significativement plus à Concordia qu’à l’UQAM. Il est aussi à noter que l’UQAM a été déclassée par Concordia sur le plan des effectifs étudiants dans les dernières années[6]. Ce déclassement de l’UQAM par Concordia a donc été préparé et financé par Québec de longue date.

Avec 19 % du total en 2020, McGill touche la part la plus importante des sommes en immobilisation de toutes les universités au Québec. L’UdeM en recueille 16,3 % et Laval 16,9 %. Les sommes affectées aux immobilisations reflètent bien le rang des universités dans l’écosystème universitaire à Montréal : McGill d’abord, l’UdeM, Concorda et ensuite l’UQAM. À Montréal, McGill est l’université hégémonique et est en train, comme un trou noir, de « satelliser » et d’aspirer les autres universités dans son orbite. L’UdeM, par exemple, a maintenant un recteur issu du sérail de McGill[7]. Cela n’est pas anodin.

 

À Montréal

Voyons quelle est la part des fonds d’immobilisation affectés aux universités anglophones et francophones sur l’île de Montréal (figure 2).

Figure 2 : Immobilisations en fonction de la langue d’enseignement sur la période 2001-2020 pour tout le Québec

 

On constate à la figure 2 que les fonds d’immobilisation investis dans les universités francophones et anglophones de Montréal sont à quasi-égalité sur toute la période 2001-2020. Cela est tout de même étonnant étant donné qu’en 2001, 38 % de l’effectif universitaire seulement était inscrit dans les universités anglophones sur l’île de Montréal (39,5 % en 2019). Pour les anglophones, la moitié des fonds d’immobilisation est attribuée à seulement 39,5 % des effectifs.

 

Immobilisations par EETP pondérés

Le financement en immobilisations est normé en fonction des surfaces des universités, du personnel (le PETP) et des effectifs étudiants en étudiants équivalent temps plein (EETP). Spécifiquement, il s’agit des EETP « pondérés ». L’effectif d’EETP pondéré financé par université se trouve ici (Annexe 1.19).

Il est donc possible de diviser les investissements en immobilisation par les EETP pondérés pour obtenir les investissements en immobilisation par « tête de pipe ». Bien sûr, cela n’est pas la seule métrique de normalisation utilisée pour le calcul des investissements en immobilisation, mais on peut penser que cela devrait être une approximation assez juste, c’est-à-dire que les investissements en immobilisations devraient suivre d’assez près les effectifs étudiants, raison d’être de tout le système. Si ce n’est pas le cas, cela signifierait que les conditions physiques et institutionnelles d’études (par exemple, la surface de laboratoire par étudiant) ne sont pas équivalentes d’une institution à l’autre ou d’une langue d’enseignement à l’autre.

La figure 3 présente les investissements en immobilisations en milliers de dollars (k$) par EETP pondéré pour 2019-2020, pour l’ensemble du Québec.

Figure 3 : Immobilisations par EETP pondéré en milliers de dollars (k$) pour 2019-2020 selon l’institution

 

On constate que, alors que nous attendions une distribution assez uniforme, la somme attribuée à chaque institution par EETP pondéré varie d’un facteur de presque quatre entre les institutions.

L’INRS se démarque et obtient la somme la plus élevée par EETP pondérée de toutes les universités au Québec. L’INRS est une université de deuxième et de troisième cycle, consacrée exclusivement à la recherche, et il semble que la formule utilisée pour le calcul des EETP pondérés n’arrive pas à tenir compte correctement de cette nature particulière de l’INRS. Du reste, l’on constate que les HEC obtiennent 2,7 fois moins d’argent que Bishop’s. La variabilité du financement par EETP pondéré est surprenante.

Voyons maintenant ce qui en est pour l’île de Montréal et ses universités (Concordia, McGill, l’UdeM, HEC, Poly, l’UQAM et l’ÉTS).

Figure 4 : Immobilisations par EETP pondéré en milliers de dollars (k$) pour 2019-2020 selon l’institution pour l’île de Montréal.

 

On constate à la figure 4 que McGill domine le classement en fonds d’immobilisation sur l’île de Montréal, suivie par Concordia, l’ÉTS, l’UdeM, l’UQAM, Poly et HEC.

La figure 5 présente les investissements en immobilisation selon la langue d’enseignement à Montréal (pour Concordia, McGill, l’UdeM, HEC, Poly, l’UQAM et l’ÉTS).

Figure 5 : Immobilisations par EETP pondéré en milliers de dollars (k$) pour 2019-2020 selon la langue d’enseignement pour l’île de Montréal.

 

On constate que les investissements en immobilisation dans les universités anglophones sont supérieurs, et de beaucoup (de 56 %) à ceux qui sont effectués dans les universités de langue française sur l’île de Montréal.

 

Conclusion

Au Québec, les universités anglophones bénéficient d’un net avantage (d’un facteur quatre en proportion au poids démographique) pour ce qui est des fonds d’immobilisation investis par le gouvernement du Québec. Sur l’île de Montréal, un étudiant « pondéré » qui étudie en anglais bénéficie de 56 % de plus de fonds d’immobilisation qu’un étudiant qui étudie en français.  

Un tel écart laisse songeur : pour reprendre une terminologie à la mode, serions-nous en présence d’une discrimination « systémique » envers les universités de langue française au Québec? Les juristes qui traitent de discrimination concluent à l’existence d’une telle chose dès lors que des effets indirects, même involontaires, entraînent une différence de traitement constante et incapacitante sur la base d’une distinction comme la langue. Ce qui semble bien être le cas ici.

Cette iniquité de répartition des fonds s’ajoute aux iniquités d’attribution des fonds de recherche qui favorisent aussi les universités anglophones ainsi qu’à la politique de déréglementation des droits de scolarité pour les étudiants internationaux, qui bénéficie presque exclusivement aux universités anglaises. Celles-ci récoltaient 65 % des fonds versés par les étudiants internationaux en 2018-2019, soit 68,6 millions pour Concordia et 89 millions pour McGill comparativement à seulement 13 millions pour l’UdeM[8].

McGill, l’aristocrate de notre réseau universitaire, récolte la somme la plus importante en investissements d’immobilisation de tout le réseau, et ce, depuis au moins vingt ans (les données antérieures n’étant pas accessibles). McGill récolte 68,6 % plus d’argent par EETP pondéré que sa plus proche concurrente l’UdeM.

Voilà le contexte dans lequel il faut analyser le don que le gouvernement du Québec s’apprête à faire de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill, un projet gargantuesque qui augmentera de façon très importante la surface et les EETP reconnus à McGill (ce qui augmentera ensuite de façon permanente les investissements en immobilisation pour McGill, la propulsant encore plus haut dans le classement). Le gouvernement du Québec s’apprête à consolider la position dominante de l’université la plus riche au Québec.

Rappelons que McGill dispose annuellement de revenus de quelque 1,44 milliard de dollars[9] (dont 236 millions provenant d’Ottawa et 365 millions provenant de droits de scolarité), possède 1,7 milliard de dollars dans sa fondation[10], et des biens évalués à 4,9 milliards de dollars[11]. Alors que l’Université du Québec dépend à 90 % des fonds versés par le gouvernement et les étudiants du Québec, moins de la moitié du budget de McGill est dépendant de ces deux sources de revenus. McGill est un véritable empire financier.

McGill est également un important propriétaire foncier ; elle dispose de 730 000 mètres carrés d’espaces dont 613 000 mètres carrés reconnus par le MÉES. Même si McGill n’accueille pas le plus important effectif étudiant, elle est l’université possédant le plus vaste campus au Québec. Notons que l’UdeM a 598 000 mètres carrés d’espace reconnu et 122 263 EETP pondérés (4,9 m2/EETP) tandis que McGill a 87 809 EETP pondérés et 613 000 mètres carrés (7 m2/EETP)[12]. Que ce soit sous l’angle de l’argent investi par EETP ou sous celui de la surface par EETP, on peut constater que McGill surclasse toutes les autres. Mais cela ne suffit pas encore. Le plan de développement immobilier de McGill, le « Master Plan » qui prévoit les développements immobiliers futurs, est un document comptant… 182 pages [13]! On notera qu’à la page 95 de ce document, l’ancien hôpital Royal Victoria apparaît d’ores et déjà comme un des campus de McGill (le « Upper Campus East ») alors même que le transfert de cette institution publique à McGill n’est pas encore réalisé.

Malgré l’existence de méthodes objectives de normalisation de l’attribution des subventions d’immobilisation par Québec, il semble que la politique de financement des universités actuelle favorise de façon importante les universités anglophones en général et McGill en particulier dans l’attribution de subventions d’immobilisations au Québec.  

Il faut noter dans le « Document d’information sur le financement universitaire » produit par l’Université du Québec, il est indiqué que « le fondement de la grille [de pondération des EETP] est partiellement arbitraire étant donné les choix effectués pour la construire[14] ». On ne saurait mieux dire. La grille de pondération semble avoir été construite en intégrant comme base, sans chercher à le corriger, le surfinancement historique de l’université McGill, chose déjà relevée par l’historien Michel Brunet en 1963[15]. Surfinancement qui se perpétue aujourd’hui.

Dans le cas de Concordia et de McGill, ces universités jouissent d’une situation géographique avantageuse car elles desservent une clientèle urbaine, peu dispersée sur le territoire. Elles sont à même de concentrer leur développement au centre-ville de Montréal où elles possèdent des actifs immobiliers de grande valeur. En surfinançant leur enveloppe d’immobilisations, Québec amplifie leur avantage urbain.

L’étudiant est au cœur de la mission éducative des universités et devrait aussi être au cœur de la politique de financement. Cette politique de financement devrait viser à assurer, autant que faire se peut, des conditions d’études comparables partout sur le territoire québécois afin de donner à chaque étudiant une véritable égalité des chances. Il semble que la complexité et l’opacité de la formule de financement des universités aient fait perdre de vue cet objectif fondamental au MÉES (et aussi au gouvernement du Québec).

Les étudiants qui choisissent de s’inscrire dans une université anglaise au Québec sont favorisés ; ils disposent de plus de fonds d’immobilisation que les autres étudiants. L’on savait déjà que cela était le cas pour le financement provenant du gouvernement fédéral, qui favorise de façon odieuse les universités anglophones. Il est assez surprenant, par contre, que cela soit également le fait du gouvernement du Québec.

 


[1] « Document d’information sur le financement universitaire », Université du Québec, janvier 2020, https://www.uquebec.ca/reseau/fr/system/files/documents/memoires_avis_ra...

[2] Voir « Pourquoi la loi 101 est un échec » (Boréal, 2020) pour la toile de fond de cette interprétation.

 

[5] « Pourquoi la loi 101 est un échec » (Boréal, 2020)

[6] Voir « Pourquoi la loi 101 est un échec », Boréal, 2020, p.117

[7] Daniel Jutras, nommé recteur en 2020, a enseigné à McGill University pendant 35 ans. https://www.ledevoir.com/societe/education/573948/un-nouveau-recteur-dan...

[9] « Financial Statements », The Royal Institution for the advancement of learning/McGill University, p.3, https://www.mcgill.ca/vpadmin/files/vpadmin/english_audited_financial_st...

[10] Pourquoi la loi 101 est un échec, p. 170

[11] Au 30 avril 2019

[14] « Document d’information sur le financement universitaire », Université du Québec, janvier 2020, p. 19 https://www.uquebec.ca/reseau/fr/system/files/documents/memoires_avis_ra...

[15] Michel Brunet, « Le financement de l’enseignement universitaire au Québec », L’académie canadienne-française, Montréal, 1963.