Immigration et plan d’action sur la langue

2021/03/17 | Par Anne Michèle Meggs

Nous attendons avec grande anticipation l’annonce du plan d’action du gouvernement du Québec pour sauver la langue française. Le ministre Simon Jolin-Barrette en parle depuis au moins le mois d’août dernier alors qu’il participait à l’étude des crédits à l’Assemblée nationale. De plus, il a créé des attentes avec des promesses de mesures « costaudes », laissant entendre que des modifications significatives seront apportées à la Charte de la langue française.

La meilleure façon d’évaluer le sérieux d’un plan d’action est la présence de cibles et l’engagement de suivis réguliers sur l’atteinte de ces cibles. Sur ce point, surtout en ce qui concerne le lien entre l’immigration et la langue française, le bilan du gouvernement n’est pas très reluisant.

Dès la présentation du document de consultation sur les seuils d’immigration en 2019, le gouvernement, avec le même ministre qui prépare maintenant le plan d’action sur la langue, a démontré sa frilosité envers des cibles mesurables. Cette tendance était particulièrement évidente en ce qui concerne les orientations touchant l’immigration et la langue. En fait, il s’agissait du plus important recul repéré dans le document.

 

Une sélection des personnes immigrantes sans engagement sur la langue

Depuis 2001, soit depuis les premiers dépôts de plans stratégiques à l’Assemblée nationale, le Québec s’est toujours donné un objectif relatif à la proportion de personnes admises déclarant connaître le français. Généralement, il y avait un engagement d’atteindre un niveau d’au moins 50 % de l’ensemble des personnes admises déclarant connaître le français. Autour de 2008 et 2009, l’objectif montait à 60 % et, pour mieux paraître, en 2016, les Libéraux ont changé l’indicateur pour ne compter que les adultes de la sous-catégorie des travailleurs qualifiés et a établi la cible à 85 %. Mais tout ça s’est arrêté avec le dépôt des orientations pluriannuelles 2020-2022 de la CAQ.

On peut deviner pourquoi le gouvernement actuel a décidé de ne plus annoncer de cibles en matière du nombre ou de pourcentage de personnes admises connaissant le français. La raison se trouve dans un document de statistiques publié récemment par le ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de la Francisation.[1] On constate que ce pourcentage a baissé plus de 8 points dans les 5 années précédant la pandémie, de 58,2 % en 2015 à 49,8 % en 2019. Puisque cet indicateur n’est plus lié à un objectif du plan stratégique, aucune explication n’est offerte pour cette tendance préoccupante. Sans cibles publiques à partir desquelles il faut rendre des comptes chaque année dans le Rapport annuel de gestion, le ministère n’a plus la même motivation à sélectionner les personnes les plus aptes à vivre en français au Québec. D’où l’importance de telles cibles.

En fait, le Ministère a mis tous ses œufs dans le panier de la francisation des adultes. Il s’agit d’une position téméraire puisqu’il a été démontré que, pour la majorité des immigrants, le transfert vers le français se fait avant leur arrivée au Québec. Selon une étude publiée en 2013 par l’Office de la langue française, « parmi les immigrants ayant fait un transfert vers le français, 62 % l’ont fait avant l’arrivée au Canada, alors que 38 % l’ont fait après ».[2] C’est donc par la sélection que le Québec obtient des gains en personnes immigrantes francophones et non par les cours de francisation au Québec, surtout chez les adultes.

 

Pas d’engagements de résultats réels en francisation des adultes (et des enfants?)

En matière de francisation des adultes, le gouvernement a décidé d’ouvrir l’offre de service aux personnes en séjour temporaire, encore une fois sans objectif chiffré. Nous payons donc maintenant l’apprentissage du français aux personnes qui n’ont pas encore manifesté un intérêt à rester au Québec. Sans un objectif chiffré, on ne peut savoir si on jette l’argent des contribuables par la fenêtre. Il est quand même ironique de payer pour la francisation des adultes avec un statut temporaire tout en permettant l’inscription de leurs enfants aux écoles anglaises.

On a aussi ouvert les cours de francisation à temps plein à toutes les personnes immigrantes sur le territoire québécois sans égard à leur date d’arrivée. Auparavant, ce n’était que les cours à temps partiel qui étaient ouverts à des personnes immigrantes présentes au Québec depuis plus de cinq ans. C’est généreux, mais on ne saura pas l’efficacité de cette initiative parce qu’on ne mesure pas les résultats et on n’a pas de cibles. À son crédit, le ministère mesure ce qu’il peut, c’est-à-dire, la « proportion de personnes immigrantes, ayant déclaré ne pas connaître le français à l’admission, qui participent à l’offre gouvernementale de cours de français dans les 3 années suivant leur admission ». Il s’est donné une cible de 50 % qui a été atteinte à peine avec un résultat de 50,4 %, selon le Rapport annuel de gestion. Ceci n’inclut pourtant pas la nouvelle clientèle aux services de francisation, les personnes à statut temporaire ou celles qui ont obtenu leur statut de résidence permanente il y a plus de 3 ans.

 

Aucun objectif à l’égard de la francisation des personnes immigrantes en milieu de travail

Plusieurs études ont été publiées au cours des derniers mois sur l’utilisation du français en milieu de travail. Elles démontrent qu’on est mieux de connaître l’anglais, surtout dans la région montréalaise, pour trouver un emploi dans des entreprises québécoises. C’est pourtant souvent l’obligation de gagner son pain qui empêche des personnes immigrantes de poursuivre leurs cours de français. Si, en plus, il faut connaître l’anglais pour travailler? Il serait intéressant d’avoir un objectif lié au nombre et à la proportion des entreprises embauchant les personnes immigrantes qui contribuent à la francisation de ces travailleuses et travailleurs étrangers dans le milieu de travail. Les syndicats le réclament depuis des années. En août dernier, le ministre alors de l’Immigration, le même monsieur Jolin-Barrette, a justifié cette lacune dans la planification pluriannuelle en disant que c’était la responsabilité du ministre de l’Emploi.

Espérons qu’avec le plan d’action sur la langue, on ne verra plus la balle être lancée d’une cour à l’autre et que de vrais objectifs mesurables seront proposés et suivis sur l’ensemble de ces enjeux importants. On veut tous voir enfin du progrès pour soutenir la vitalité et la pérennité de la langue française au Québec.

 


[1] Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de la Francisation. 2015-2019 TABLEAUX de l'immigration permanente au Québec. décembre 2020.

 http://www.mifi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Immigration-Quebec-2015-2019.pdf. p. 13

[2] Office québécois de la langue française, Trajectoires linguistiques et langue d’usage public chez les allophones de la région métropolitaine de Montréal, août 2013.

https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/sociolinguistique/etudes2013/20130823_résumé.pdf, p.7.