Propagande et faits pro-Ouïghours…

2021/03/17 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est membre des Artistes pour la paix

Le 22 février 2021, 266 députés (zéro contre!) ont dénoncé à la Chambre des Communes un « génocide ouïghour », même en l’absence de la moindre preuve de massacres contre ces habitants peuplant à 45% le Xinjiang. Heureusement, soixante-treize députés, dont l’ensemble du cabinet Trudeau, se sont abstenus. On se rappelle le vote aberrant de la Chambre des Communes pour accorder $4 millions et demi - non pas à Mère Agnès-Mariam de la Croix, supérieure du Monastère St-Jacques à Qara en Syrie, ni à son amie Prix Nobel de la Paix Mairead Maguire[i] qui travaillaient pour la paix avec le mouvement de réconciliation Mussalaha -, mais aux Casques Blancs syriens qui allaient jusqu’à attaquer les équipes de secours des Nations-Unies : leurs vice-chefs furent ensuite piteusement rescapés par une opération militaire israélienne, tandis que leur chef, issu de la British Intelligence, James LeMesurier, allait mourir en Turquie dans de sordides circonstances. On l’a su il y a seize mois à Montréal au Centre Saint-Pierre, grâce à une rencontre d’informations courue par la communauté syrienne, organisée par Robin Philpot, Rachad Antonius (UQAM) et l’historien Samir Saul (UdeM)[ii].

Issue de la National Endowment for Democracy, organisme prête-nom de la CIA, qui cherche par tous les moyens de ses armées de lobbyistes à susciter des guerres pour nourrir le complexe militaro-industriel-académique-médiatique, ce qu’il faut appeler la propagande pro-Ouïghours a débuté l’été dernier avec le chiffre rond impressionnant d’un million de prisonniers dans des camps de rééducation (rebaptisés de concentration, pour l’effet tragique), et vu le peu de réactions en Occident, on est vite passé à deux millions; puis le 1er octobre, on a eu droit à la surenchère de la www.gentside.com :

Des millions de musulmans Ouïghours sont enfermés et torturés dans des camps de concentration en Chine. Non pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont.

 

L’OBS numéro du 4 au 11 mars

Dans cet hebdomadaire français longtemps animé par l’intègre Jean Daniel, SEIZE PAGES de matraquage de propagande avec aucun fait prouvé ou vérifiable pallient cette absence par l’enflure d’adjectifs surajoutés : « lavages de cerveau (évidemment) intensifs, endoctrinement (!) impitoyable, plan secret (!) chinois, répression féroce, forcenée (!), méthodes terrifiantes (!), martyre (!) d’un peuple, asservissements et viols systématiques (!), crimes de masse (!), génocide et camps de concentration (!), conditions atroces de faim, de saleté et de promiscuité », qu’on applique au Xinjiang pour indigner les Français contre les Chinois.

Ne cherche-t-on pas à surtout faire oublier qu’il y a pire en Haïti, en Libye et en Syrie par la faute-même des bombardements de Français tel Sarkozy à qui l’OBS ne consacre qu’une demi-page de texte à l’occasion de sa condamnation? L’hebdomadaire va jusqu’à reprendre l’anecdote mille fois utilisée dans divers films dénonçant Nazis et Gardes Rouges de Mao où un fils ouïghour est forcé de punir son père par une bastonnade que ce dernier lui pardonne d’avance avec un trémolo dans la voix; et pour ajouter du poids à l’anecdote, on la raconte comme « un secret raconté d’une voix sourde sous une lumière blafarde à l’intérieur d’un camp » évidemment non identifié et sans date.

On a hâte de lire le prochain numéro du Monde Diplomatique pour trouver de vraies infos, car même le Reader’s Digest d’autrefois n’est jamais descendu si bas, dans un tel mélodrame artificiel et réchauffé. Et ce numéro du 4 mars remplace ses nombreuses pages de critiques d’art, de livres, de films et de musique par 21 pages de mode Louis Vuitton ou autres : triomphe de l’argent…!

Bref, on reprend une propagande nauséabonde du genre des pires Paris Match de l’époque antisoviétique d’il y a quarante ans, où Bernard Henri Lévy et le « nouveau » philosophe André Glucksman, adhéraient corps et âme à la propagande maoïste « avant-garde », malgré les millions de victimes. Aujourd’hui, c’est son fils Raphaël, député au Parlement européen, qui nourrit une autre propagande. Cherche-t-il à racheter son défunt père?

 

Une telle propagande veut-elle vraiment défendre les Ouïghours?

Il s’agit de réagir avec une sobre fermeté, non par une contrepropagande aussi peu crédible, mais par des faits établis : l’histoire des Ouïghours nomades et musulmans est bien synthétisée dans l’excellent éditorial de Pierre Dubuc le 5 mars dernier[iii]. Prônant seuls la valeur de la laïcité en Amérique du Nord, les Québécois sont plus sensibles à la validité de la lutte chinoise contre toutes superstitions religieuses; mais en contrepartie, vu notre situation de minorité, nous sympathisons davantage avec des preuves d’ethnocide, du moins de restriction de langue et de culture au Xinjiang, - mais qui s’en indigne à notre époque de GAFAM mettant en danger les cultures locales dans le monde?
D’autre part, si la vraie raison du parlement canadien n’est pas d’attaquer la Chine, mais de défendre les Ouïghours, pourquoi, demande Matthew Behrens[iv], le Canada refuse-t-il l’entrée au pays où leurs familles résident pourtant, à trois détenus ouïghours, innocentés même par une cour militaire pourtant partiale d’accusations de terrorisme? Ils ont non seulement connu la prison en Chine mais aussi jusqu’à sept années à Guantanamo Bay où les Américains ont même permis aux Chinois de les interroger sans ménagements : Ayub Mohammed, Salahidin Abdulahad and Khalil Mamut…

 

L’ONU a rejeté l’accusation de génocide contestée par la Chine

M. Dubuc a rappelé « le 29 octobre 2019 à l’ONU où 23 pays (dont les États-Unis, le Royaume-Uni, etc.) se proposèrent de dénoncer, devant un comité des Nations Unies » les politiques colonialistes chinoises au Xinjiang, pour se heurter à un mur de « 54 pays (dont 28 africains) défendant et même complimentant la politique chinoise dans la province du Xinjiang ». L’ONU n’est heureusement plus manipulable comme au temps des Conseils de sécurité des puissances nucléaires, où le Canada appuyait les pires atteintes à l’autonomie de pays comme la Libye et Haïti au prix de milliers de morts.

M. Dubuc a l’honnêteté intellectuelle de ne pas prêter foi à toutes les informations du journaliste toulousain Maxime Vivas livrées en entrevue à Robin Philpot[v] et reprenant des passages de son livre Ouïghours, pour en finir avec les fake news (éditions de la route de la soie, pro-chinoises), écrit après deux visites en 2016 et 2018 au Xinjiang, ce qui est plus que les informateurs CIA de notre Parlement. La majorité des Ouïghours se préparerait avec ouverture au passage de la route de la soie, projet pharaonique civil de la Chine pour accéder au XXIe siècle, le Canada préférant investir $12.5 milliards dans TransMountain.

L’ambassadeur chinois au Canada, Cong Peiwu, a affirmé que les Ouïghours recevaient une formation professionnelle et linguistique intensive dans des camps de rééducation afin de vaincre leur pauvreté et prospérer dans la société chinoise; il conteste les allégations de persécution religieuse, affirmant que les Ouïghours sont libres de pratiquer leur religion dans leurs mosquées, dont il a montré des images de modernisation. Il a qualifié de fiction l’accusation à l’égard des femmes ouïghoures, en illustrant que la population du Xinjiang avait augmenté de 25 % entre 2010 et 2018, chiffre qui, selon lui, contredit les accusations de stérilisation forcée et de génocide. Si ces chiffres lui donnent en partie raison, je lui rétorquerais, fort de mon expérience de concerts au Tibet en 1993, que des chiffres similaires y étaient alors proclamés par la Chine, mais plutôt attribuables à une immigration accélérée de gens de nationalité Han à l’intérieur de ses frontières.

Enfin, M. Dubuc perçoit justement « l’effondrement de l’Union soviétique et l’indépendance des ex-républiques soviétiques musulmanes de la région servant de terreau pour la création du Parti islamique du Turkestan oriental (avec l’appui de la Ligue islamique mondiale pour l’Unification, une organisation panislamique d’Asie centrale), comme responsables de nombreuses actions terroristes islamistes au Xinjiang ». Ses frontières communes avec huit pays, la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Inde, et surtout le Pakistan et l'Afghanistan ont exposé le Xinjiang à des débarquements de terroristes djihadistes formés par des moudjahidines à une guerre antichinoise. Peut-on les blâmer de les avoir emprisonnés?

On lira dans mon deuxième article comment l’aide aux Ouïghours, généreusement fournie par Raphaël Glucksman et la réfugiée Dilnur Reyhan, est hélas, pour leurs alliés militaristes malintentionnés, asservi à une propagande antichinoise. Pas étonnant que ces impérialistes confondent avec une opération idéologique nos appels motivés par la simple humanité à sauver la Palestine, privée de vaccins par Israël qui n’en manque pas, et le Yémen des massacres (réels) perpétrés par l’Arabie saoudite armée par les soins des pays occidentaux (y compris nos blindés ontariens).